Le procès de l'affaire liée à l'homicide involontaire du jeune Aboubakr Guir s'est ouvert hier, devant le tribunal de Chéraga près la Cour de Blida. Quatre inculpés d'homicide involontaire, de non assistance à personne en danger et de défaut de présentation de papier du hors-bord qui a causé l'accident mortel, ont comparu librement devant la présidente du tribunal. Rappelons-le, le jeune Aboubakr Guir a été atrocement tué le 2 octobre 2010 par un chauffard des mers. Il pratiquait la plongée à quelques mètres à peine de la plage faisant face à la résidence d'Etat, Club des Pins, quand il a été violemment heurté par les hélices d'un hors-bord. Son conducteur, le laissant pour mort, avait pris la fuite. Le corps de la victime était resté à flotter dans son sang, pendant deux heures, avant d'être repêché. L'enquête menée par la Gendarmerie nationale a mis en cause les quatre inculpés, qui se sont présentés hier devant la juge. Auditionnés, les mis en cause ont nié avoir heurté le jeune plongeur, affirmant avoir découvert le corps et alerté les gardes-côtes qui leur ont demandé de ne pas intervenir et de ne pas toucher à la scène de l'accident. Beaucoup de contradictions ont été relevées entre les auditions à la barre des inculpés et leurs déclarations devant le juge d'instruction. Il a ainsi été déclaré une première fois que O. Youcef, l'un des quatre accusés, conduisait le hors-bord le jour de la découverte du corps d'Aboubakr, avant qu'il ne soit affirmé, hier, devant la présidente de séance que le conducteur était un autre inculpé, à savoir C. Amine. Mieux, les deux autres inculpés, qui étaient également à bord de l'embarcation ce jour-là, ont déclaré ne pas avoir souvenir de qui tenait le volant du hors-bord. Après avoir alerté par téléphone les gardes-côtes, les inculpés ont quitté le lieu de l'accident et sont rentrés à la base, selon leurs déclarations. Des témoins se sont ensuite succédés à la barre. Certains affirment n'avoir rien vu, d'autres ont appuyé la version des accusés alors que les principaux témoins de la partie civile, absents, ont été cités sur la base de leurs propos consignés dans l'arrêt de renvoi. Il n'empêche que les déclarations de certains témoins, qui se sont présentés à la barre, se révèleront très importantes et seront d'ailleurs évoquées par la défense de la partie civile lors des plaidoiries. A l'exemple du témoignage de ce conducteur d'un jet-ski, qui affirme s'être approché du hors-bord où se trouvaient les quatre inculpés qui lui auraient conseillé d'éviter d'aller dans la direction de l'accident, arguant «la présence d'une marre de sang qui provient sûrement d'un gros poisson heurté par un bateau». Pourtant, comme le soulèvera Me Miloud Brahimi, avocat de la famille de la victime, dans sa plaidoirie, «les inculpés avaient bien vu qu'il s'agissait d'un corps et avaient alerté les gardes-côtes. Pourquoi mentir alors ? Mieux, l'un des inculpés a, instinctivement, déclaré lors de son audition à la barre : “Aboubakr avait le visage dans l'eau”. Ce qui confirme que les mis en cause n'avaient pas seulement vu un corps dans l'eau mais avaient aussi reconnu la victime». Lors des débats contradictoires suscités par les questions des avocats des deux parties aux accusés et aux témoins, certains points ont été soulevés comme celui de savoir si un hors-bord à deux hélices et d'une grande puissance pouvait causer les blessures constatées sur le corps de la victime ou le couper carrément en morceaux. Chaque partie défendant sa thèse tentait de faire adopter ses propres conclusions aux témoins considérés comme des connaisseurs dans le domaine des bateaux. La juge a fini par intervenir et dire : «Un hors-bord aussi puissant qu'il soit peut juste frôler une victime avec ses hélices, ce qui engendrerait des blessures, comme il peut aussi, en heurtant un corps de plein fouet, le couper en deux. C'est exactement comme le cas des accidents de voiture». L'autre point mis en exergue est celui de savoir si la victime, une fois heurtée, était encore en vie. Me Bentoumi, avocat de la famille de la victime, a évoqué cette question en revenant sur les auditions des inculpés qui ont déclaré qu'autour de la victime, au moment de leur découverte, il n'y avait pas de marre de sang : «Ce qui implique qu'Aboubakr, abandonné, s'est vidé de son sang. En plus, il est scientifiquement prouvé que tant que les poumons contiennent de l'air, le corps flotte. Aboubakr a été repêché du fond de la mer». Les avocats de la famille de la victime ont considéré l'abandon d'Aboubakr, alors qu'il était sûrement en vie, comme un «deuxième assassinat» et ont affirmé que la fuite des inculpés en raison de l'irrégularité du hors-bord qui n'avait aucun papier légitimant sa présence légale sur le territoire algérien, ne justifie pas leur acte. Les défenseurs de la mémoire d'Aboubakr iront plus loin dans leurs accusations en se demandant pour quelles raisons les inculpés ont quitté le lieu du drame s'ils n'avaient rien à se reprocher : «Pourquoi se sont-ils empressés de cacher l'embarcation dans la zone de saisi des gardes-côtes ? On peut même se permettre de supposer qu'il y ait complicité avec des éléments de ce corps.» Pour eux, l'accusation n'aurait pas dû se limiter à l'article 288 du Code pénal qui évoque l'homicide involontaire mais l'appuyer également par l'article 290, qui souligne que les peines sont doublées dans le cas où l'auteur du délit «[…] a tenté, soit en prenant la fuite, soit en modifiant l'état des lieux, soit par tout autre moyen, d'échapper à la responsabilité […]». La défense des accusés a, ensuite pris le relais pour détruire les charges retenues contre leurs mandants. Cette dernière a commencé par mettre en exergue le fait qu'aucune trace de sang ou d'ADN n'a été trouvé sur les hélices du hors-bord en question avant de se demander si le heurt d'une hélice avec un corps humain pouvait la déformer ? En fait, la déformation de l'hélice a été retenue comme preuve dans le dossier. Les avocats ont également évoqué des témoignages faisant état de la sortie de la base nautique, le jour de l'accident, d'autres embarcations et qui se trouvaient dans la même zone que le hors-bord de leurs clients. Le procureur de la République a choisi de ne pas faire de réquisitoire et s'est suffi d'annoncer 3 ans de prison assortis de 100 000 DA d'amende contre O. Youcef, le principal accusé d'homicide involontaire, et un an de prison assorti de 50 000 DA d'amende contre les trois autres accusés. Le procès s'est terminé sur une note de tristesse avec les paroles et les sanglots de la maman d'Aboubakr, qui n'a cessé de répéter: «Je ne pardonne pas. Car Aboubakr a été abandonné. Il était peut-être encore en vie. Un accident mortel peut arriver certes mais si le conducteur du hors-bord avait pris la peine de tenter de secourir Aboubakr ou juste de retirer son corps de l'eau, j'aurais pu accepter la cruauté du destin.» Le verdict sera rendu le 18 octobre prochain. H. Y.