De notre envoyé spécial à Paris (France) : Lyes Menacer Lorsque les brigades de choc, formées en 1958 par le préfet de Paris, le sanguinaire Maurice Papon, une chasse à l'Algérien avait fait des ravages dans la banlieue parisienne dans le milieu de la classe ouvrière de notre pays, notamment dans le bidonville de Nanterre. Des descentes quotidiennes, de nuit comme de jour, étaient organisées par les policiers et les gendarmes dont le seul but était de terroriser les Algériens. Profitant de l'arrêt des négociations entre le général Charles de Gaulle et le FLN, Maurice Papon a voulu avoir sa «bataille de Paris» comme avait fait le général Bugeaud à Alger. Des ouvriers algériens, soupçonnés de travailler au sein du FLN, de lui cotiser à la Fédération de France du Front de libération nationale ou d'être carrément derrière certains assassinats perpétrés contre des policiers, sont enlevés, torturés et jetés dans la Seine ou dans la périphérie de la région parisienne. Combien de corps ont été retrouvés dans les bois de Boulogne ou de Vincennes, là où les autorités françaises avaient ouvert le Centre d'identification, quasiment réservés au fichage des Algériens. Selon l'historien français Gilles Manceron, il existe plus de 180 000 fiches d'identification d'Algériens, un chiffre qui reste approximatif tant certaines archives demeurent jusqu'au jour d'aujourd'hui interdites d'accès aux chercheurs intéressés par la question algérienne. Dans son documentaire «17 Octobre 61 : dissimulation d'un massacre», sorti en 2001, Daniel Kupferstein est revenu sur cette période avant d'aborder la question du massacre de la nuit du 17 octobre, durant laquelle la violence policière, sous les ordres de Maurice Papon, lui-même couvert par le Premier ministre Michel Debré (en désaccord avec la politique algérienne du président Charles de Gaulle), avait atteint le summum de la sauvagerie et de l'inhumanité. Le réalisateur français a abordé tous ces évènements sous un autre angle. Il s'était intéressé en fait au rôle joué par la presse française de l'époque dans la dissimulation de ce qui s'était passé avant, pendant et au lendemain du 17 Octobre 61. L'auteur du film s'est appuyé sur les archives de l'époque pour démontrer la complicité de nombreux journaux dans l'accablement des Algériens qui, pourtant, étaient sortis manifester pacifiquement contre la discrimination dont ils étaient victimes. Maurice Papon avait imposé un couvre-feu contre les musulmans algériens leur interdisant de sortir entre 20h30 et 6 heures du matin. Ce qui a été considéré par les ouvriers algériens comme une atteinte à leur liberté de mouvement et une manière d'aggraver leur misère sociale. Interrogé par Daniel Kupferstein, le journaliste français René Dazy s'était scandalisé du comportement de la presse française qui avait relayé la version officielle des évènements alors que les images vidéo et les photographies prises montraient tout à fait le contraire des propos tenus par Maurice Papon. Gilles Martinet du défunt France Observateur (aujourd'hui connu sous le nom du Nouvel Observateur), s'est longuement attardé sur les descentes de la police dans les imprimeries pour saisir les journaux qui avaient osé chercher la vérité sur le massacre d'Octobre. La logique de l'étouffoir avait primé sur la liberté d'expression et le droit des citoyens français de savoir ce qui s'était réellement passé cette nuit-là. Engagé dans la bataille de la reconnaissance par l'Etat français de ce massacre, le journaliste et auteur français Pierre-Vidal Naquet, s'est soulevé contre ce qu'il appelle «étouffoir organisé» par le gouvernement de l'époque pour empêcher la mise en place des commissions d'enquête au niveau du Parlement et de la police. Pierre-Vidal Naquet a qualifié la prison de Vincennes d'un «camp de concentration» et les pratiques de la police française de «méthodes nazies». Il a fallu vingt ans pour voir un journaliste de la télévision, en l'occurrence Marcel Trillat, qui a réalisé un reportage émouvant sur les victimes de ce massacre à huis clos. «J'ai réalisé ce travail en espérant qu'un reportage puisse leur servir de tombe», répond Marcel Trillat, les larmes aux yeux lorsqu'il évoque les tombes anonymes du cimetière de Thiais (en région parisienne), des tombes d'ouvriers algériens dont on ignore toujours l'identité. Encore plus indigné, le journaliste français Georges Mattei ajoute : «Ce jour-là (17 Octobre 1961), le peuple de Paris était devenu un indicateur de la police». Cinquante années sont passées et le 17 Octobre est toujours absent des manuels scolaires français. De nombreux français issus de l'immigration ignorent cette douloureuse page de l'Histoire de leurs parents. Pour Georges Mattei, «l'oubli, c'est la continuation du massacre, c'est une injure contre un peuple (aussi bien français qu'algérien), une injure contre l'humanité».