Propos recueillis par Pierre de Gasquet et Virginie Robert des Echos L'initiative du gouvernement américain de créer un nouveau véhicule de cantonnement des actifs «toxiques» des banques vous paraît-elle adaptée à la situation ? Il faut d'abord bien comprendre la nature du problème auquel on est confrontés. Il y a un secteur de l'économie où la dette est trop lourde, c'est celui de l'immobilier. Il faut donc la réduire ou alors augmenter les revenus. C'est ce qui a été tenté avec les chèques d'abattement fiscal distribué aux contribuables. Mais ils n'ont représenté que quelques centaines de dollars par foyer : ce n'était pas suffisant. La seule solution est de diminuer la dette en retirant tous ces actifs pourris des bilans de banques et en réduisant leur valeur faciale. On a déjà eu recours à ce type de structure de cantonnement par le passé. Il y a eu la Resolution Trust Corporation (RTC) pendant la crise des Savings and Loanns (caisses d'épargne) à la fin des années 1980, mais aussi la Home Owners Loan Corporation (HOLC), qui a repris des actifs douteux lors de la crise de 1929, et la Reconstruction Finance Corporation (RFC) qui injectait des fonds publics dans les banques en difficulté, mais solvables. Est-ce suffisant pour enrayer la crise ? Non, il ne faut pas s'arrêter à la seule reprise d'actifs toxiques. Il faut également réduire la valeur faciale de ces dettes pour que les foyers puissent, effectivement, les rembourser. C'est ce qu'avait fait le HOLC. C'est la seule façon d'éviter des saisies massives. En fait, nous avons besoin d'une combinaison des trois structures précitées. Plus encore qu'un RTC pour reprendre les actifs des banques en faillite, nous avons besoin d'un HOLC pour regrouper les actifs des banques en difficulté mais encore solvables et, enfin, il faut un RFC pour recapitaliser les banques trop fragilisées. C'est ce que devrait faire le gouvernement, injecter du capital dans les banques commerciales sous forme d'actions préférentielles. Il y a donc plusieurs étapes indispensables ? Oui, regrouper les actifs pourris dans une structure de cantonnement ne sert à rien si on ne réduit pas la dette des particuliers. Car, s'ils ne peuvent pas payer, nous aurons un tsunami de défaillances et les banques vont couler. Et si elles coulent, c'est l'économie avec. Quel coût final peut représenter ce plan pour le contribuable ? Le gouvernement doit payer ces actifs à un prix à la fois réduit mais aussi suffisamment élevé pour ne pas étrangler les banques. La différence entre les deux représente la subvention réelle du gouvernement. Ainsi, un actif valorisé à 100 sera payé 85 à une banque mais on ne demandera que 70 au débiteur. La subvention est de 15. Sur un total de 1 500 milliards d'actifs illiquides, pour 15 cents de subvention sur 1 dollar, cela représente un coût final de 225 milliards de dollars pour les contribuables. Il y a déjà près de 6 000 milliards de dollars de crédits immobiliers qui sont garantis par l'Etat à travers Fannie Mae et Freddie Mac et 6 000 milliards dans le secteur privé, dont 1 500 milliards sont des prêts à risques. Cela revient, au fond, à nationaliser les crédits immobiliers. Parce que, si vous ne le faites pas, ce sont les banques qu'il faudra nationaliser ! Car, il n'y a que le gouvernement pour renflouer le capital des banques aujourd'hui. Vous attendiez-vous à une récession ? La récession va durer dix-huit mois et, malgré ce plan, elle sera la pire que l'on ait connue depuis quarante ans. Le PIB américain va reculer de 3% sur un rythme annualisé pendant les six prochains trimestres. On ne verra pas de reprise technique avant le second semestre 2009. Si vous prenez les données réelles, la récession a commencé au premier trimestre 2008. Peu à peu, vous verrez que les données officielles seront révisées en ce sens, à l'exception du deuxième trimestre à cause des chèques qui ont été distribués. La consommation américaine est en train de chanceler et la confiance des ménages est au plus bas. La zone euro est déjà en récession. Toutes les économies des pays développés se contractent ; 55% du PIB mondial est déjà en récession ! D'autres banques vont-elles disparaître ? Je pense qu'environ 200 banques vont faire faillite. Surtout des petites, avec moins de 4 milliards de dollars d'actifs, dont une bonne partie sont des actifs immobiliers. Celles qui ont, en Californie ou au Nevada, financé les logements, les grands magasins… là où la crise immobilière a été la plus dure. Les banques régionales aussi vont être touchées. Elles ressemblent beaucoup à IndyMac, la banque californienne qui a été placée sous tutelle. Washington Mutual et Wachovia sont pratiquement insolvables. Quel est, selon vous, l'avenir des banques d'investissement ? Il n'y a pas une banque d'investissement qui va rester indépendante. Celles qui restent vont devoir s'adosser à une banque commerciale. Il y a trois raisons à cela. La première, c'est qu'il n'y a plus de tritisation. Or, cela représentait une part importante de leurs revenus et de leurs résultats. La deuxième, c'est qu'elles vont de plus en plus être réglementées comme des banques commerciales, ce qui implique des niveaux de capitaux supérieurs. La troisième, c'est qu'elles se comportent comme des banques en empruntant à très court terme, en usant d'un important effet de levier, en prêtant de l'argent, mais elles ne peuvent pas s'appuyer sur les liquidités qu'apportent des dépôts. Même si Goldman Sachs a été mieux géré que les autres, il se heurte à ces mêmes difficultés. Regardez ce qui s'est passé ces six derniers mois. Trois des cinq banques d'investissement de Wall Street ont disparu, la quatrième discute une fusion et Goldman Sachs lui- même n'échappera pas au mouvement. Elles ont besoin de sources de liquidités stables. Vous savez, les banques d'investissement empruntent tellement d'argent chaque nuit que, si la confiance disparaît, tout s'écroule. Si Citigroup, qui a fait plus de 50 milliards de pertes et provisions, n'avait pas eu ses dépôts, il ne serait plus là aujourd'hui. Le rachat de Merrill Lynch par Bank of Amerian est-il judicieux ? Oui, dans la mesure où une banque d'investissement ne peut plus se passer de l'appui d'une banque commerciale. Mais Bank of America a incroyablement surpayé Merrill Lynch et il cumule les risques car il a déjà racheté Countryweide, le premier fournisseur de crédits immobiliers aux Etats-Unis. L'histoire de Lehman est différente. La banque avait beaucoup d'actifs toxiques et est devenue insolvable. Personne n'a pu estimer son prix. Approuvez-vous le sauvetage de Bear Stearns avec l'aide des pouvoirs publics ? Cela a surtout été le sauvetage des créanciers de Bear Stearns. Personne n'aurait payé pour cette banque, exactement comme dans le cas de Lehman Brothers, s'il avait fallu reprendre ses actifs toxiques. Le gouvernement s'en est chargé et c'est pour cela que JP Morgan Chase a accepté de reprendre la banque. Mais il l'a fait également parce qu'il était l'une des principales contreparties de Bear Stearns, sur les «credit default swaps». Si Bear Stearns coulait, JP Morgan Chase risquait de couler avec. Il serait donc plus approprié de parler du sauvetage de JP Morgan. Au final, comment jugez-vous les efforts de la Réserve fédérale et du Trésor pour résoudre cette crise ? D'abord, ils se sont trompés. Il y a un an et demi, ils ont dit que c'était un problème mineur sur le marché de l'immobilier. On peut retrouver leurs déclarations sur Google. En réalité, ce «problème mineur» s'est transformé en la pire récession jamais vue depuis 1929. Ensuite, ils ont assuré que la crise du «subprime» était un problème de niche et serait limitée. On a bien vu que tout a été touché : les dettes des municipalités, les prêts des étudiants… On n'a jamais vu pareille crise du crédit ! Enfin, ils ont prétendu que l'effondrement du marché immobilier, qui a contribué à un tiers de la création d'emplois ces six dernières années, n'aurait aucun effet sur le reste de l'économie ! L'été dernier, ils ont été gagnés par la panique et ont commencé à réduire les taux directeurs à tout-va. Ils ont adopté une approche au coup par coup, sans prendre la mesure du risque systémique. Nous n'avons jamais été aussi près d'un écroulement complet du système financier ! In les Echos du mercredi 24 septembre 2008