La Banque centrale américaine (Fed) a dévoilé en fin de semaine dernière la nature des actifs dont elle a hérité lors du sauvetage en 2008 de deux établissements financiers majeurs : l'assureur AIG et la banque d'affaires Bear Stearns, rachetée par JPMorgan Chase. Ces révélations font suite à l'insistance de plusieurs avocats, de membres du Congrès, ainsi que de l'agence de presse Bloomberg, qui avait saisi les tribunaux dès 2008 pour obtenir ces listes, demande acceptée par les juges en première instance puis confirmée en appel. Détenus par la Banque de réserve fédérale de New York, une branche de la Fed, ces actifs seraient encore plus toxiques que prévu. Placés par la Fed au sein de trois véhicules ad hoc, des entités financières gérées par la société BlackRock, le total des actifs se chiffrerait à 80 milliards de dollars environ (soit 60 milliards d'euros), selon le Wall Street Journal. Composé de produits dérivés comme des CDO ("collaterized debt obligations", titres de dette complexe), des MBA ("mortgage-backed securities", actifs adossés à des prêts immobiliers), des instruments de couverture (les fameux "credit default swap"), mêlés à des obligations et à du numéraire, le contenu de ces portefeuilles se situerait selon les analystes (voir à ce sujet la note d'Alphaville, blog du Financial Times) très largement en dessous de "l'investment grade", seuil à partir duquel les agences de notation déconseillent tout investissement. Sur 161 pages se succèdent des identifiants (comme "BSCMS_03-PWR2 X2 144A") d'actifs parqués dans trois sociétés appelées Maiden Lane I, II et III, que seuls les spécialistes peuvent déchiffrer, ce qui leur a pris plusieurs jours. Pour ceux qui sont allés fouiller derrière ces codes, ces actifs sont encore plus toxiques que la Fed ne l'a laissé entendre à l'époque. "Dire que ce portefeuille est un amas d'ordures, c'est être méchant avec les ordures", écrit David Zervos, spécialiste des marchés de taux chez Jefferies & Co., dans une note citée par le Wall Street Journal. "Si ça, c'étaient des actifs de catégorie investissement, comme la Fed l'a affirmé à l'époque, alors à quoi devaient ressembler les actifs de Lehman pour que la Fed et le Trésor disent qu'ils ne pouvaient pas lui faire de prêt?", s'interroge Robert Eisenbeis, économiste chez Cumberland Advisors, cité par l'agence financière Bloomberg. Bloomberg avait saisi les tribunaux dès 2008 pour obtenir ces listes, invoquant le droit à l'information. Et deux juges, en première instance puis en appel, lui ont donné raison, ne laissant plus de recours à une banque centrale qui tenait à garder le secret. Ce portefeuille comprend de nombreux produits dérivés, comme des titres de dette complexes (CDO), des actifs adossés à des prêts immobiliers (MBS) ou à d'autres actifs (ABS), des instruments de couverture (CDS, contrats de "swap"), mais aussi du numéraire et des obligations. On lit le nom d'emprunteurs de Bear Stearns qui, si on en croit la presse, montre la propension de la banque à financer des projets immobiliers voués à l'échec. Est cité le cas d'Extended Stay, groupe hôtelier qui a déposé le bilan en juin. Le Financial Times a trouvé des cas de CDO dont la note est tombée au dernier cran avant le défaut ("C"). "Si le portefeuille Maiden Lane ne contenait à proprement parler pas de produit toxique quand il a été créé, maintenant oui, c'est une certitude", commente un blog du quotidien britannique. Via des CDS, la Fed se retrouve aussi contre son gré assurée contre un défaut de paiement d'États comme la Californie, ou du rehausseur de crédit Ambac, qui a fait défaut sur une partie de sa dette justement. Pour beaucoup, la Fed se forge une expérience utile de la gestion d'actifs à problèmes, qui lui font appréhender le travail des banques lors de cette crise. Un membre républicain de la Chambre des représentants, Darrell Issa, pense qu'elle aurait dû s'en passer: il souhaite une enquête sur la baisse de la valeur du portefeuille de Maiden Lane I, qui regroupe les actifs de Bear Stearns. Mais sur plusieurs années, ces pertes pourraient être comblées. "Ce qu'il y a de bien quand on est la Fed, c'est qu'on peut être extrêmement patient. Donc elle est en train de vendre ces actifs progressivement, quand cela vaut le coup, et garde les autres jusqu'à maturité pour maximiser son profit", souligne Daniel Inviglio, du magazine The Atlantic.