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Massacre de la tribu des Ouffia : repentance, refusée…
Propos réels d'un entretien imaginaire
Publié dans La Tribune le 01 - 11 - 2011

Comment expliquer le choix de Rovigo comme gouverneur général de l'Algérie ?
L. LANIER : Le choix était malheureux. Savary se conduisait avec une brutalité aveugle. Il écrasa d'impôts les Algériens, noya dans le sang les moindres tentatives de révolte, comme la tribu des Ouffia, qui fut totalement exterminée. En fait, la politique de Savary se résumait en deux mots : sabrer les Arabes, accabler d'impôts les survivants.
F. KOHN-ABREST : Il avait fait pire. Foulant aux pieds toute pudeur et toute bonne foi, Rovigo fit fusiller deux caïds qui étaient venus à Alger, se fiant à sa parole et munis de sauf-conduits.
Il n'était pas le seul à commettre de telles atrocités…
L. LANIER : Le général Pierre Boyer qui commandait à Oran adopta, lui aussi, envers les indigènes, un système de gouvernement implacable, impitoyable ; les soldats eux-mêmes le surnommait «Pierre le cruel».
MAURICE WAHL : Ce général rendait la domination française odieuse à force de cruautés Le représentant de «La question algérienne». Les soldats étaient payés pour chaque tête coupée. Certains trouvèrent que le prix n'en fût pas assez élevé. Tenez, je vous lis ce que rapportait le Moniteur Algérien du 14 octobre 1836, sous la rubrique Bône (actuel Annaba) : «Avant-hier 9, il y a eu ici une belle affaire […]. Vingt têtes ont été envoyées ici ; soixante-huit au bout des baïonnettes ont été comptées à la rentrée du camp. C'est une très belle affaire et un début qui ouvre la voie.»
Revenant à la tribu des Ouffia. Vous affirmez que la France avait «souvent égalée et dépassée» en cruauté les précédents envahisseurs de l'Algérie. Qui a ordonné le massacre ?
LE BARON PICHON : Ouffia était une tribu paisible, vivant en bonne intelligence avec les tribus voisines. Elle vivait d'une agriculture de subsistance et des services qu'elle offrait aux tribus voisines, tels qu'élevage et gardiennage de leur bétail. Elle fermait les yeux sur les étrangers qui viennent, parfois, empiéter sur son territoire. Elle était installée à quelques mètres du poste militaire de Maison Carrée (El Harrach).
LE GENERAL BERTHEZENE : C'était une tribu inoffensive, elle ne s'occupait que de l'élevage et fournissait Alger en beurre et en lait. Elle a été exterminée, en 1832, sous des prétextes qui me paraissent vains.
CHARLES LAGARDE : Il ne m'appartient pas de parler de la cruauté très réelle des Arabes ; mais nous l'avons souvent égalée et dépassée, et les premières années de la conquête ont été signalées par des abominations que l'histoire ne peut ni taire ni absoudre.Je me borne à rappeler l'infortunée tribu des Ouffia qui fut, comme on le sait, massacrée entièrement par erreur. Entre autres dépouilles exposées par les vainqueurs sur le marché de Bab Azzoun, on vit des bracelets de femmes encore attachés à des poignets coupés, et des boucles d'oreilles où pendaient des morceaux de chair déchirés.Je ne fais que prendre un fait entre mille.
Comment les choses se sont réellement passées ?
CAMILLE ROUSSET : Dans la nuit du 6 au 7 avril 1832, trois cents chasseurs d'Afrique et trois cents hommes de la Légion étrangère (800 soldats, selon certains, Ndr) cernèrent le douar : tout fut saccagé ; hormis quelques femmes et quelques enfants, tous furent tués ; il y eut 70 morts… En pareil cas, disait un de ceux qui présidaient au massacre, il faut mettre son cœur dans la poche.
Pour compromettre encore plus, dans sa détestable cause, ceux qui avaient été les exécuteurs de ses ordres, le duc de Rovigo fit distribuer le prix du sang, l'argent produit par la vente des troupeaux de la tribu détruite : 14 000 francs aux chasseurs d'Afrique, 10 000 francs à la Légion étrangère et 800 aux guides arabes qui avaient conduit la colonne.
VICTOR-AMEDEE DIEUZAIDE : Le corps de troupes du 1er Chasseur et du 3e bataillon de la Légion étrangère commandé par le général Foudoas, sortit d'Alger pendant la nuit du 6 avril 1832, surpris au point du jour la tribu endormie sous la tente et égorgea tous les malheureux Ouffia, sans qu'un seul cherchât même à se défendre.
C'est très grave ce que vous dites…
VICTOR-AMEDEE DIEUZAIDE : Ce qui est bien plus grave encore et dont la responsabilité ne saurait être entièrement limitée à la seule personne du général en chef (le duc de Rovigo), c'est que les féroces exécuteurs de cet ordre barbare ne firent aucune distinction d'âge ni de sexe. Femmes, vieillards et enfants, tous furent impitoyablement massacrés.Au retour de cette honteuse expédition, nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances. Et horreur ! M. Pellissier raconte, dans ses Annales algériennes, que l'une d'elle servit à un horrible festin.
Quelle horreur ! De prétendus civilisateurs se livrant au cannibalisme…
VICTOR-AMEDEE DIEUZAIDE : Tout le bétail enlevé fut vendu à l'agent consulaire du Danemark, M. Cartestin. Le reste du butin fut exposé au marché de la porte Bab Azzoun. On y voyait des bracelets de femmes qui entouraient encore des poignets coupés, et des boucles d'oreilles pendant à des lambeaux de chair. Le produit des ventes fut partagé entre les égorgeurs.
LE REPRESENTANT DE LA REVUE AFRICAINE : Je m'abstiens de retracer ici des faits qui ne sont pas dignes d'éloges. Chez les Ouffia, l'armée française n'a même pas épargnée les femmes, les vieillards et les enfants ; on a même vu plusieurs enfants à la mamelle sacrifiés sur le sein de leur mère.Les habitations ont été brûlées, les bestiaux volés, nos marchés remplis d'objets pillés. On y a vu aussi (comme l'ont déjà dit mes coreligionnaires), des bracelets encore attachés aux poignants sanglants qui les portaient et des boucles d'oreilles teintes encore du sang des oreilles d'où on les avait arrachées.Des actes aussi inhumains se sont malheureusement renouvelés à chaque rencontre de l'armée française avec des bédouins. On dit même que des femmes ont été vendues comme on vendait des animaux.
Vous êtes sûr de ce que vous dites ?
VICTOR-AMEDEE DIEUZAIDE : Il y a plus grave. Dans un ordre du jour du 8 avril, qui atteignit les dernières limites de l'infamie, le général en chef (Rovigo) eut l'impudence de féliciter les troupes de l'ardeur et de l'intelligence qu'elles avaient déployées et de leur donner un témoignage public de sa haute satisfaction.Le soir de cette journée à jamais néfaste, la police ordonna aux Maures d'Alger d'illuminer leurs boutiques en signe de réjouissance.
LE REPRESENTANT DE LA COMMISSION D'AFRIQUE MIS EN PLACE SUR CETTE AFFAIRE : C'est vrai. Des réjouissances furent organisées pour célébrer la victoire et le massacre…
ARSENE BRETEUIL : Le baron Pichon assure que cette tribu n'avait pris aucune part à l'attentat dont on voulait punir les auteurs. N'importe ! L'exécution eut lieu et le général Savary la célèbre avec enthousiasme.
Est-ce vrai que l'intendant civil Pichon s'était désolidarisé des actes barbares du duc de Rovigo ?
P. CHRISTIAN : Il a été puni pour cela le même soir. M. Pichon, qui avait le tort grave, aux yeux du général en chef (Rovigo), d'improuver cet indigne massacre, fut contraint de subir une sérénade mauresque dans la cour de sa maison.On aurait de la peine à ajouter foi à de pareilles turpitudes, si leur existence n'était fondée sur des preuves indiscutables.Pour comble d'iniquités, le malheureux cheikh des Ouffia n'avait échappé à cette rage d'extermination que pour tomber victime d'un assassinat judiciaire, peut-être plus odieux encore.
Comment ça ? Expliquez-vous ?
P. CHRISTIAN : Il fut traduit devant un conseil de guerre, condamné à mort et exécuté, bien qu'on eût déjà acquis la certitude que les Ouffia étaient innocents de l'attaque commise contre de prétendus ambassadeurs du désert (sud du territoire).
Un crime odieux…
LE BARON PICHON (intendant civil à l'époque du massacre des Ouffia) : Vous me rappeler là un événement bien malheureux et qu'il n'a pas été dans mon pouvoir de prévenir, malgré tous les efforts que j'ai faits pour cela.Voici ce qui motiva la sévérité extrême de M. le duc de Rovigo. Celui-ci reçut, le 5 avril 1832, plusieurs Arabes qui se dirent députés des tribus du désert pour établir entre nous et elles des relations amicales. Le général les accueillit avec bienveillance : il leur fit cadeau de manteaux rouges et remis à chacun des envoyés 50 francs d'argent.Ces hommes partent satisfaits ; mais arrivés à la Maison Carrée, le 6 au soir, ils sont assaillis par des Arabes vagabonds qui, les ayant traités de lâches et de traîtres au pays, les dépouillèrent de tout ce qu'ils avaient reçu, et les forcèrent ensuite à regagner Alger.M. le duc de Rovigo apprend ce fait : sans prévenir personne, il fait préparer une expédition de 800 hommes qui part, dans la nuit du 6 au 7 pour la Maison Carrée.La troupe surprend la tribu ; un massacre impitoyable est fait de tout ce qu'on rencontre ; l'on s'empare des bestiaux et autres butins appartenant à cette malheureuse tribu : des soldats revenus de cette expédition portaient, m'a-t-on assuré, au bout de leurs baïonnettes des oreilles de femmes chargées de pendants.
On avait fait 18 prisonniers, parmi lesquels se trouvait le cheikh de la tribu. Il est mis en jugement, condamné par le conseil de guerre, son pourvoi en révision est rejeté ; la veille de l'exécution, qui eût lieu le 19 avril, 12 jours après l'expédition, plusieurs tribus voisines envoyèrent des députés pour obtenir sa grâce... Peine perdue.Malgré ses prières et mes supplications, réunies à celles du général Trezel et celles des tribus des Khechna, où les voleurs s'étaient réfugiés, la grâce fut refusée et le malheureux exécuté.
Dans cette expédition, hommes, femmes, enfants, personne ne fut épargné.La police fit illuminer (la ville) pour cette victoire.
Mais pourquoi assassiner le cheikh, puisque tout le monde était convaincu de l'innocence de sa tribu dans le vol qui lui fut attribué ?
VICTOR-AMEDEE DIEUZAIDE : Mais, on ne pouvait pas acquitter le chef sans décider implicitement que la tribu si terriblement châtiée n'avait pris aucune part au crime, et imprimer un stigmate indélébile sur le front du duc de Rovigo.La tête du cheikh roulant devant la porte Bab Azzoun ne fut donc qu'un holocauste offert par quelques séides, pour conserver intact l'honneur du général en chef.
Comment savez-vous cela ?
VICTOR-AMEDEE DIEUZAIDE : L'aveu en fut fait par un des membres du conseil de guerre, en présence du capitaine d'état-major Pellissier et de plusieurs autres militaires qui en furent indignés. Je ne saurais trop insister pour faire ressortir l'ignoble conduite du duc de Rovigo dans toute cette affaire.
Est-il vrai que le duc de Rovigo et vous étiez «à peu près sûr» que les fameux députés seraient arrêtés dans la plaine de la Mitidja ? Pourquoi vous n'avez rien fait pour les escorter alors ?
M. PICHON : On était à peu près sûr que les députés du désert seraient arrêtés dans la plaine de la Mitidja à leur retour. Le duc m'en a parlé dans ce sens, le 6 avril, jour de leur départ. Il m'avait entretenu d'avance des mesures qu'il prendrait si cela arrivait. Elles ont été bien différentes de celles qui ont été prises ; il ne s'agissait que de faire arrêter tous les Arabes qu'on trouverait au marché jusqu'à la restitution des objets volés.J'allais sortir (de chez moi) de bon matin, le 7, lorsque le capitaine Leblanc, attaché à l'état-major, arrivait fort inquiet, vint me dire : ce que le général avait prévu est arrivé.
Pourquoi assassiner le cheikh, puisque vous saviez qui étaient les voleurs ?
M. DIEUZAÏDE : Les voleurs, on l'a su avant l'exécution du cheikh de la tribu Ouffia, appartenaient à la tribu des Khechna, voisine du petit Atlas ; son cheikh avait renvoyait tous les effets (volés), avec une lettre qui demandait au duc de Rovigo la libération du malheureux cheikh des Ouffia.«Vous avez massacré des innocents, lui écrivait-il, des gens qui vivaient sous votre protection […]. Si vous continuez, vous n'aurez aucun approvisionnement de l'intérieur du pays. Nous savons que vous pouvez en recevoir de France, cela vous est égal. Nous plaignons nos compatriotes qui sont avec vous», avait ajouté le cheikh des Khechna.
Et quelle a été la réaction de Rovigo ?
M. DIEUZAIDE : Si le duc de Rovigo n'eut pas été inaccessible à tout sentiment d'humanité, cette lettre eût sauvé le cheikh des Ouaffia. Mais le général en chef demeura impassible, et malgré les preuves incontestables de l'innocence de l'infortuné (cheikh) Rabia, il n'en persista pas moins dans la résolution de le faire traduire devant un conseil de guerre.Il continuait ainsi l'assassinat commis à l'aide de la force des armes, par un moyen tout aussi coupable, l'abus illégal des formes judiciaires. Car le conseil de guerre était souverainement incompétent.
Comment ça, incompétent ?
M. DIEUZAIDE : Un arrêté du 15 octobre 1830 du général Clauzel stipulait en son article 1er que «les conseils de guerre connaîtront des délits et crimes commis par des habitants du pays, dans toute l'étendue du royaume d'Alger, sur les personnes ou la propriété des Français ou des auxiliaires de la France».D'après les termes de cet article, les indigènes ne devenaient justiciables des conseils de guerre en matière de crime ou de délits que dans une hypothèse unique : lorsque ces crimes ou ces délits avaient été commis au préjudice des Français.Mais comme les prétendus députés du désert n'étaient ni des Français ni des auxiliaires à la solde de la France, les crimes commis à leur encontre ne pouvaient donc être déférés à cette juridiction.
Le duc de Rovigo ignorait-il que les affaires criminelles entre musulmans relevaient de la seule compétence des caïds ?
M. DIEUZAIDE : Le duc de Rovigo n'ignorait pas cela. Dans un arrêté du 16 août 1832 qui porte sa signature, relatif à l'institution d'une cour criminelle, il écrit à l'article 6 que les affaires correctionnelles et criminelles entre musulmans continueront à être jugées par le cadi maure. C'est donc un cadi maure qui devait juger (cheikh) Rabia.
Cheikh Rabia a-t-il bénéficié d'une défense devant le conseil de guerre ?
M. DIEUZAIDE : Il est superflu de faire remarquer qu'en présence d'une condamnation infaillible et pour ainsi dire concertée d'avance, la défense de l'accusé ne pouvait être sérieuse.Je lis à ce sujet, dans un auteur dont le témoignage ne pouvait être suspect, que le chef Rabia fut assisté au procès par un défenseur tellement décrié qu'il avait été exclu de tous les tribunaux civils.
Il ignorait d'ailleurs la langue arabe et toute la procédure avait été faite en français, et avec une telle précipitation qu'il était impossible que l'accusé eût eu le temps moral nécessaire pour répondre aux charges relevées contre lui.Et ce n'est pas tout ; après le meurtre, il faut signaler le vol. Car, il est extrêmement rare que l'assassinat ne soit pas précédé ou suivi de la soustraction (confiscation) des biens qui ont appartenu aux victimes (2 000 moutons, 700 bœufs et 30 chameaux furent saisis chez les Ouffia).
Il fut même établi qu'une grande partie de ce bétail appartenait à des tiers, confiée aux Ouffia qui n'étaient que des gardiens. Ce bétail n'avait pas été restitué aux propriétaires.
Comment étaient vécus le massacre de la tribu Ouffia et l'assassinat de son chef chez ceux que vous appelez les indigènes ?
M. DIEUZAIDE : La fin tragique des Ouffia et l'infâme exécution de Rabia, dont l'innocence était notoire, avaient produit une vive agitation parmi les indigènes […]. Au mois de mai suivant, une reconnaissance (patrouille) de 30 hommes de la Légion étrangère fut surprise par un groupe d'Arabes à une lieue de Maison Carrée. Ses hommes furent égorgés sans commisération. Des soulèvements avaient eu lieu dans toute la Mitidja à l'appel de cheik Sidi Saada.
LE REPRESENTANT DE LA SOCIETE LIBRE D'AGRICULTURE, DE SCIENCE, DES ARTS ET BELLES LETTRES D'EVREUX (France) : Le massacre des Ouffia et l'assassinat de leur chef furent une des exécutions les plus sanguinaires qu'il y ait jamais eu, et un des jugements les plus iniques.Le massacre a été couronné par l'inique condamnation du chef de la bourgade, vieillard septuagénaire, contre lequel ne s'élevait pas un indice de connivence ou de complicité. Il a été mis à mort.
Et vous M. Milleret, pourquoi vous n'intervenait pas dans ce débat ?
JACQUES MILLERET : Nous venons apporter l'ordre et la justice, et sur de simples soupçons nous massacrons une tribu entière, celle des Ouffia ! Plus tard, on la reconnaît innocente et on ne fait aucune réparation.A Bône, des têtes sont tranchées sans jugement […]. Nous apportons la civilisation et nous brûlons Mascara et les douars qui se trouvent sur le chemin de Constantine.
Qui étaient réellement les membres de la délégation reçue par le duc de Rovigo ?
ARSENE BERTEUIL. C'étaient, au dire de plusieurs Maures dignes de foi, des aventuriers et des imposteurs. L'Agha qui les avait reçu à Koléa, sur le passage, les avaient signalés comme tels.Cette intrigue, mystérieuse à tous points, a été montée, nous avons de fortes raisons de le croire, par une coterie de chrétiens et de juifs.
Cela pouvait être aussi des hommes de main du duc de Rovigo qui ont organisé l'attaque des fameux délégués, d'autant qu'elle s'était déroulée non loin d'une caserne militaire d'El Harrach (Maison Carrée) ?
CAMILLE ROUSSET : Je me rappelle avoir lu, un jour, un texte sur la folie de Rovigo, écrit par un officier de son état-major. Le duc de Rovigo perd la tête ; il devient fou par l'approche d'un danger qu'il exagère, écrivait l'officier en question le 10 août 1831.Hier, dans une espèce de conseil où nous étions une vingtaine, écrivait l'officier, Rovigo a sérieusement parlé de mettre dans les vasques des fontaines qui sont sur la route par où nous sortirons en cas d'attaque, de l'eau de vie et du sucre, de façon à faire une espèce de gorge que les soldats boiraient en passant, le tout pour les empêcher de se gorger d'eau.Il nous a conté dix autres absurdités de la même force, écrivait encore l'officier. Où diable Bonaparte avait déniché ce ministre-là ! La peur lui fait tourner la tête, et puis il est d'une telle versatilité que trois ou quatre fois dans un jour, il change d'avis et d'idée, relevait-il.(M. Rousset évoque une embuscade qui avait coûté la vie, le 24 mai 1832 au matin, à 25 soldats de la Légion étrangère et à 20 chasseurs d'Afrique près de Maison Carrée. Le duc de Rovigo organisa une expédition sous le commandement du général Buchet «pour aller châtier la tribu des Isser». Mille deux cents soldats de la légion étrangère, 100 zouaves et 15 artilleurs avec 2 obusiers de montagne furent embarqués, le 10 juin, sur les frégates Calypso et Zélée, le brick Zèbre et deux bâtiments à vapeur Pélican et Rapide. Mais, l'opération a lamentablement échoué, ses organisateurs ridiculisés et humiliés. De tous les points de la côte l'escadre était vue ; l'ennemi par conséquent averti, s'est mis sur ses gardes. La nuit venue, les deux versants de la vallée de l'Isser s'éclairèrent d'une multitude de feux. Pendant le retour, c'était entre les loustics du régiment une dispute à qui remercierait le général en chef de la jolie partie de plaisir avec illuminations et promenade en mer qu'il avait eu la bonté d'organiser en leur faveur. Il y avait des gens qui, d'un bout de la plaine à l'autre, se moquaient encore davantage ; c'étaient les indigènes.)
P. CHRISTIAN : La troupe n'osa pas débarquer, comme si nous n'avions su que tuer des hommes endormis, des femme et enfants…
Conclusion
Détrompez-vous. Les «invités» de cet entretien imaginaire (mais aux propos réels) ne furent pas des anticolonialistes. Bien au contraire. Aucun d'eux ne remit en cause la politique coloniale de la France. Certains furent mêmes de fervents partisans et défenseurs de cette politique. Tout en constatant, en 1847, que la société algérienne fut rendue «plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu'elle n'était avant de nous connaître». Aléxis de Tocqueville fut partisan d'une colonisation totale de l'Algérie.En fait, leur seule et unique divergence avec le sanguinaire duc de Rovigo résidait dans la méthode à employer pour coloniser l'Algérie.
M. A. H.


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