Nos chemins professionnels et les routes de nos vies respectives se sont, un jour, décroisés. Ils se sont séparés il y a longtemps de cela et c'était déjà dans une autre vie lorsque la terre ancestrale vivait l'angoisse d'un quotidien de feu et de sang et l'incertitude d'un lendemain dont on désespérait de voir poindre un jour le jour. Mais quand la nouvelle de son départ définitif d'ici-bas, voyage ultime, trajectoire de l'ultime, nous fut confirmée par un fraternel confrère au Sénat algérien perché, un verset coranique propre aux preux et pas seulement aux meilleurs des pieux a de suite habité l'esprit. Dieu, dans son infinie mansuétude dit en effet que les âmes pures seront, le jour du Jugement dernier, à la droite du Seigneur, le Clément et Miséricordieux, dont les deux mains sont droites car la droite est le métacarpe de la miséricorde divine. Bey Ali Boudoukha, dit fameusement B.A.B., alias Malik Soukhna de Hammam Soukhna, quelque part du côté d'El Eulma, connu aussi comme Amar Bensalem, son blaze radiophonique, est parti. Il a rejoint le royaume des Cieux, hier matin, dans un hôpital parisien où, en un combat ultime mais désespéré, il a lutté contre un mal pernicieux et redoutablement récidiviste. Ce seigneur de la plume pointilleuse, ce militant du mot juste, du sens précis et de l'exigence de rigueur, s'est éteint à l'âge de 60 ans. Comme il fut, comme cela lui sied, dans la discrétion, dans le silence des humbles qui furent les siens depuis toujours. Pas facile d'écrire donc à propos d'un confrère qui fut en d'autres temps, d'autres lieux, d'autres espaces communs, un compagnon, un éclaireur et un guide dans des territoires d'idées et de combats d'émancipation partagés. Certes, le compagnonnage fut d'une durée déterminée, celle que les circonstances, à un moment donné, déterminent nécessairement, fatalement. Un départ du pays pour l'auteur de l'hommage posthume qui rompt alors le fil de l'amitié et dénoue les liens de luttes apparentées. Peines et peurs communes mais surtout des aspirations renouvelées à un meilleur démocratique à La Nation, hebdomadaire de l'ardente aspiration à la liberté en Algérie, qui renaît de ses cendres journalistiques sur le Web, tel un phœnix politique. Ils ont bien raison ses amis de toujours, ses frères du combat démocratique ininterrompu et poursuivi sur le site Internet Maghreb Emergent, un observateur sagace et sans complaisance des évolutions de son pays, de dire de lui qu'il était un homme d'engagement jamais trahi, un professionnel hors pair et un journaliste d'une densité exceptionnelle. Cet homme placide et zen était d'abord une superbe voix radiophonique, dont les accents graves et métalliques remplissaient les ondes de la Chaine III de la radio algérienne, bien avant d'être depuis longtemps celle d'Ammar Bensalem, la voix algérienne qui parlait de l'Algérie, à partir d'Alger, sur l'antenne de Radio France Internationale (RFI). Durant les années rouges du terrorisme noir et pendant les années 2000 de la stagnation politique et de la difficile et couteuse reconstruction du pays, Ali Bey a fait entendre et fait lire son immense exigence de liberté. Un engagement de militant progressiste exprimé dans les rangs d'un FLN réformateur et moderniste et dans un syndicalisme de dignité professionnelle à la radio algérienne. Un engagement commencé à la Chaine III, poursuivi à l'hebdomadaire La Nation et, auparavant, dans ses avatars éditoriaux que furent La Quinzaine, La Semaine et La Nation Quotidien. A La Nation, Ali exprimera dans la clarté, avec un courage constant son soutien à l'offre de paix représentée par le Contrat de Rome. La célèbre Plate-forme de Sant'Egidio, combattue «globalement et dans le détail» par le régime algérien mais qui avait réussi le tour de force de faire accepter au FIS l'idée de passer du sacré au profane, du prosélytisme religieux et armé à la politique, tout simplement au contrat démocratique. Même engagement pour la même exigence et même cohérence politique poursuivis de 1998 à 2000 dans Libre Algérie, journal du FFS, un des signataires du Contrat de Rome. Porte-voix et porte-plume de tous les engagés algériens dans le combat pour les libertés démocratiques, Ali sera encore témoin vigilant et lucide des luttes démocratiques dans son pays sur le site Algéria-Interface, premier journal algérien en ligne, créé à Paris par des journalistes algériens exilés en France. Même engagement, même combat, exprimé avec la même cohérence dans L'Epoque, hebdomadaire satirique, démocratiquement engagé, créé par la regrettée Baya Gacemi, campagne de luttes communes. En proie à un mal sournois, qu'il a cru avoir terrassé lorsqu'on lui assura qu'il avait atteint son stade de rémission, B.A.B. redoubla d'ardeur éditoriale en participant à la création de l'agence de presse Interface Medias en 2003, éditrice de Maghreb Emergent. Enfin, avant sa propre fin, la boucle journalistique sera bouclée avec le retour aux sources du journalisme de combat démocratique. Il s'effectuera avec un ressourcement à La Nation, de retour sur le Net, plus que jamais mordant, incisif, corrosif, fidèle à la ligne des origines démocratiques. B.A.B., Bey Ali Boudoukha, Malik Soukhna, était un grand journaliste. Grand parce qu'il fut une des grandes dignités que compte la profession. Homme de conviction et d'intransigeance, jamais complaisant avec les puissants de son temps, il était surtout un des hommes les mieux renseignés sur les arcanes du régime dont il ne fut jamais un relais ou un échotier prévenant, obligeant, serviable ou servile. Il finit donc comme il a commencé. Désormais, cet homme juste et du juste mot est à la Droite du Seigneur. N. K.