Photo : A. Lemili De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi La situation est critique ! Les pénuries en médicaments nécessaires à la prise en charge des cancéreux s'ajoutent aux difficultés de décrocher des rendez-vous à court terme pour des séances de chimiothérapie. Ce constat a été fait maintes fois. Et les malades ne cessent de lancer des appels de détresse désespérés, que personne ne semble entendre. Les malades perdent espoirs et rendent l'âme parfois dans le silence avant même de bénéficier de leur rendez-vous de radiothérapie trop éloigné, s'étalant sur des mois… «Parfois, lorsqu'on les convoque, aucune réponse ne nous parvient. On finit par comprendre que c'est fini…», lâche amèrement un spécialiste du service de radiothérapie au niveau du Centre anti-cancer (CAC). Les malades chroniques, dont les cancéreux, souffrent le martyre. Et ce n'est pas les promesses ressassées à chaque intervention des responsables qui vont soulager les malades ni mettre un terme au manque flagrant de médicaments et de prise en charge. L'échéance de 2014 à l'issue de laquelle le ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière a garanti une couverture optimale du cancer semble trop loin au regard de l'urgence. Le modèle brandi avec fierté à chaque circonstance par le ministre de la Santé sur les prototypes des pays huppés jugés identiques aux modèles algériens quant à la thérapie et la méthode adoptées pour lutter contre le cancer risque d'être sérieusement perturbé vu la problématique lancinante relative aux lobbys des médicaments. Pour certains observateurs, c'est de la poudre aux yeux. «On peut théoriquement élaborer une esquisse. Mais le plus important, c'est de pouvoir garantir sa matérialisation. Cela fait cruellement défaut. On n'est pas parvenu à réguler un secteur du médicament miné par des ‘‘trabendistes'', alors que tous les textes inhérents au fonctionnement du créneau sont notifiés», s'accordent à dire des intervenants du secteur de la santé à Constantine.La sortie du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, après les nombreux SOS lancés par les cancéreux, s'est fait entendre dans le milieu pharmaceutique, aussi bien par les importateurs que les distributeurs : se plier à la bonne gestion ou céder la place. Le ministre de la Santé, Djamel Ould Abbès, qui, depuis sa nomination, n'a cessé de promettre des solutions à tous les problèmes dont celui de l'organisation du marché du médicament, et des améliorations pour tous les services et prestations, a finalement lamentablement échoué. Le Premier ministre comme le Président ont fini par s'impatienter et ont décidé de passer à l'acte. C'est ainsi qu'on dépoussiérera le projet de création de l'Agence nationale du médicament qui sommeille depuis 2008.Qu'en pensent les malades ? Ce n'est pas gagné d'avance… sauf si, cette fois-ci, la bureaucratie et les lobbys sont neutralisés pour permettre à cette agence de devenir opérationnelle et réguler le marché. Des rendez-vous trop espacés dans un CAC «agonisant» Conçu pour un ratio prédéterminé pour une population restreinte, le Centre anti-cancer de Constantine accueille les cancéreux de toutes les wilayas de l'Est et du Sud-est. «C'est une situation qui contraint les médecins à user de leur savoir pour tenter de colmater les insuffisances. Mais souvent on n'y peut rien. Le traitement doit exister en intégral et les machines devront être rénovées ou confortées par d'autres pour apporter la synergie appropriée au souffrant», explique-t-on. Ce constat a été posé lors des 7èmes journées de cancérologie organisées le mois dernier à Constantine et au cours desquelles le professeur F. Djamâa avait déploré que «ceux qui ne bénéficient pas de radio ou de chimiothérapie… seraient en train de mourir». Seul «un malade sur trois concernés par ce genre de thérapie en tire réellement profit», ajoutera-t-il avec contrition. Une telle déclaration devrait interpeller les pouvoirs publics sur le peu de moyens mis à la disposition du CAC de Constantine et qui restent dérisoires. Trois machines «vieillottes» pour plus de 19 wilayas. Un surnombre bien en deçà des capacités de traitement disponibles. A cela s'ajoutent les ruptures récurrentes de stock de médicaments. Sur ce point, notre première interlocutrice met l'accent sur la vétusté des machines à cobalt utilisées pour la radiothérapie. «Leurs ressources n'ont pas été renouvelées alors que le temps requis de 5 ans est dépassé. On continue de les utiliser pour la huitième année consécutive…», s'alarme-t-elle. Au même chapitre, la spécialiste révèlera : «Actuellement, ce sont des drogues destinées aux cancéreux du poumon qui sont introuvables au CHU de Constantine.» La crise de médicaments perdure et elle est sommairement palliée. En ce qui concerne les rendez-vous accordés aux nouveaux patients, «ceux-ci doivent attendre un mois pour bénéficier d'une première consultation et plus de deux mois pour avoir séance de radio ou chimiothérapie», explique la même source hospitalière. On estime à plus de 3 000 le nombre de patients qui défilent chaque année sur les deux machines de traitements destinés à la radiothérapie, sans compter les services de consultation et de chimiothérapie qui en comptent autant. «L'ouverture de l'extension du CAC ne solutionnera pas la problématique du surnombre dont souffre le CHU. Il faudra apporter les moyens adéquats pour espérer répondre à la demande. Ce qui interpelle les responsables des différentes willayas pour accélérer la cadence au niveau des chantiers où sont implantés des espaces de soins voués aux cancéreux notamment à Batna et à Annaba. «Avec l'ouverture de ces centres, pression sur le CHU Benbadis diminuerait, ce qui ne peut qu'être bénéfique pour les malades des circonscriptions limitrophes», analyse la spécialiste qui revient sur la nécessité de doter le Centre de nouvelles machines dans les plus brefs délais, car selon elle, les voyants sont plus qu'au rouge. «Les 10 000 nouveaux cas de cancer par an en Algérie, ce n'est pas une mince affaire», s'alarment les spécialistes ajoutant que «seule une prise de conscience qui dépasse les états d'âme conflictuels peut apporter l'espoir. On n'en finit pas avec ces histoires de médicaments et des CAC en retard d'achèvement qui enveniment la vie des malades. Ces derniers demandent une seule chose : être traités dans la dignité». C'est le vœu, voire la requête, formulée il y a plus d'un mois par le professeur Bouzid à l'ouverture des journées scientifiques susmentionnées. A bon entendeur. Oncologica, une association active aux moyens limités Pour tempérer un tant soit peu de l'inquiétude et du désespoir des cancéreux, l'association Oncologica apporte, avec les moyens du bord, sa contribution à cette frange. «Nous ne bénéficions d'aucune aide particulière. Toutefois, on fait de notre mieux pour assister les malades, notamment les démunis parmi eux, dans l'élaboration des scanners extra hôpital à la faveur de la convention morale qu'on a entérinée antérieurement avec une clinique privée», souligne M. Morad, président de l'association. Pessimiste sur la situation qui prévaut au CAC, aggravée de surcroît par la pénurie de médicaments, le bénévole se dit dans l'incapacité de venir en aide à tous les patients des wilayas de l'Est. «C'est de notre devoir d'assister tous les cancéreux. Malheureusement, nos moyens ne nous permettent pas de satisfaire tout le monde, et le CAC ne peut pas prendre plus qu'il n'en peut», dira-t-il. Occupant un siège au pavillon du CAC, Oncologica se charge notamment de l'inscription des patients résidant en dehors de Constantine pour les rendez-vous et se rend au chevet des malades qui transitent par le centre d'accueil du Khroub et de Diar Errahma. «C'est la thérapie du cancer du sein qui pose problème. Beaucoup de femmes affluent», dira le président qui, au passage, lance un appel aux dons afin de permettre aux adhérents d'accomplir leur noble tâche humanitaire dans des conditions favorables dans l'intérêt des cancéreux. D'autant plus que l'association Oncologica ne bénéficie d'aucune subvention, fût-elle symbolique, des deux assemblées. «Pour être clair, nous n'avons pas formulé de requêtes auprès des responsables locaux», indique le président de l'association. Mais si l'association n'a rien demandé, cela ne devrait pas empêcher les responsables locaux de l'aider, à partir du moment où ils voient qu'elle est présente sur le terrain et active du mieux qu'elle peut.