S'il ne s'agissait pas de Sonatrach, première compagnie énergétique africaine, douzième groupe pétrolier au niveau international, un des tout premiers exportateurs de GNL et de GPL, cinquième vendeur mondial de gaz naturel, second fournisseur de gaz de l'Europe et, par-dessus tout, principal pourvoyeur en devises de l'Algérie, le récent limogeage de son PDG. aurait été un acte ordinaire. Presque un non événement. La destitution de Noureddine Cherouati était en effet prévisible, l'homme ayant été mis sur siège éjectable par l'ancien ministre de l'Energie Chakib Khelil. Rien d'étonnant de voir alors son successeur, un fin connaisseur du secteur, se défier d'un PDG. trouvé en place et ayant vocation à assurer un intérim à durée indéterminée. Ancien ministre de l'Energie lui-même, Youcef Yousfi a vite reproché à Noureddine Cherouati son incapacité managériale. Il a surtout douté de sa capacité à redresser l'entreprise, en rétablissant notamment la confiance des cadres et des partenaires étrangers de Sonatrach, après les terribles scandales de corruption qui ont secoué la compagnie. A commencer par la super pompe à fric que fut BRC et, à finir par les marchés litigieux ayant abouti à la décapitation du management précédent de Sonatrach. Mais, bien plus que les conditions de nomination et de limogeage de Noureddine Cherouati et de sa relation de confiance avec son nouveau ministre de tutelle, c'est l'héritage de Chakib Khelil qui est le plus en question. Au-delà même de l'interrogation au sujet de qui dirige à Sonatrach et qui la gouverne réellement par ailleurs, c'est l'état des lieux qui inquiète au plus haut point, malgré les déclarations optimistes mais convenues d'Abdelhamid Zerguine, le remplaçant de Noureddine Cherouati. Au cœur du problème, notamment, la taille de l'entreprise qui emploie aujourd'hui 160 000 hommes, soit le double du français Total mais avec un chiffre d'affaire trois fois moindre ; la qualité de son management, la gestion de ses pléthoriques ressources humaines et l'attractivité actuelle du secteur des hydrocarbures, bien faible, il faut le souligner. Lourdes tares auxquelles s'ajoutent la dégradation de certains gisements, l'état de vétusté, voire de délabrement dans lequel se trouvent certaines unités de production, les usines de liquéfaction de gaz en particulier, et, ne l'oublions pas, l'énorme retard en matière de formation et dans le domaine de la recherche et du développement. Il y a aussi la question de la pertinence de la présence à l'étranger de Sonatrach qui n'a pas assurémént les moyens de ses ambitions internationales démesurées. S'il n'est pas apocalyptique, ce tableau inquiète au plus haut point les spécialistes car il est celui d'une compagnie opaque, marquée par l'incurie et de plus en plus gangrénée par la corruption, la petite et la grande, dont les affaires révélées en 2010 par le DRS et pris en charge par la justice, ne sont finalement que la partie immergée de l'iceberg. Tout comme le ministre de l'Energie, le nouveau PDG. de Sonatrach, lui aussi un familier de la Maison, aura à mesurer vite l'état dé démobilisation, de découragement, voire de désespérance dans lequel se trouvent les personnels de la compagnie, en premier lieu les équipes dirigeantes et les cadres intermédiaires, habités par le désarroi, minés par un profond sentiment d'insécurité et nageant dans un climat de paranoïa aigu consécutif aux affaires de corruption. Au-delà de tout, le rétablissement de la confiance des cadres, qui commence par l'abandon de la gestion népotique de la dernière décennie, l'instabilité au poste et la précarité de la fonction, est le chantier prioritaire d'Abdelhamid Zerguine et de Youcef Yousfi. Vaste entreprise dont la première œuvre serait le (re) changement de statut de l'IAP, l'extraordinaire pépinière de formation de pétroliers algériens, créée en 1965, que Chakib Khelil a littéralement offerte au norvégien Statoil spécialisé dans le forage et l'exploitation offshore. L'Institut algérien du pétrole qui risque de former, plus encore qu'hier, des cadres de grande valeur pour le plus grand bénéfice de nombreuses compagnies étrangères. Ainsi, derrière la question stratégique de la formation, de la motivation et de la mobilisation des cadres algériens, se profile un paradigme politique déterminant pour la gestion de la rente pétrolière, donc pour l'avenir du pays : l'exploitation intensive ou extensive des hydrocarbures. Vieux débat, récurrent et jamais tranché, qui fut naguère à l'origine du fameux Plan Valhyd, pour valorisation des hydrocarbures. Un plan, qui comme son nom l'indique, privilégie une exploitation intensive du sous-sol pour en extraire le maximum de ressources pour un maximum de richesses financières susceptibles de faire entrer le pays dans un cercle vertueux de développement industriel et de prospérité économique, deux objectifs bien aléatoires. C'est la philosophie Valhyd qui a présidé à l'adoption de la première mouture de la Loi sur les Hydrocarbures qui allait favoriser la restauration du régime des concessions pétrolières, en 2005. Et c'est son abandon qui a permis de sauvegarder le système de partage de production et les intérêts de Sonatrach, quelque temps plus tard. Ce débat n'est pas définitivement tranché, des forces centrifuges et des forces centripètes s'affrontant encore à ce sujet, à l'intérieur et à l'extérieur du régime. D'où l'idée que Cherouati et d'autres, sont après tout l'arbre PDG. qui cache la forêt Sonatrach.