A huit jours du premier scrutin législatif depuis la chute de Moubarak, la violence bat son plein en Egypte, faisant entrer le pays dans une atmosphère d'inquiétude généralisée. Ces affrontements sanglant ne sont pas sans rappeler la vague de contestation qui a emporté le clan Moubarak. Le climat de suspicion à l'égard des intentions des militaires égyptiens qui contrôlent le pays est grandissant, au fur et à mesure que s'approchent les rendez- vous électoraux cruciaux pour l'avenir du pays. L'armée égyptienne, dont Moubarak est issu et qui dirige le pays à travers le Conseil suprême des forces armées CSFA, a conforté les soupçons et l'incrédulité d'une bonne partie des Egyptiens en présentant une proposition constitutionnelle qui la soustrait totalement au contrôle du gouvernement et du Parlement. Cette proposition constitutionnelle vise à accorder à l'armée une autorité exclusive sur la gestion de ses affaires et de son budget. Dans les faits, cela signifie octroyer à l'armée une autonomie totale et exclusive face au pouvoir civil. Cette situation est considérée comme un véritable retour en arrière par rapport aux objectifs initiaux de la révolution. Le gouvernement de transition du Premier ministre Essam Charaf enchaine depuis le retour de la violence les réunions de crise sur les moyens de contenir une situation qui risque de déraper vers le chaos. Le conseil militaire, véritable détenteur du pouvoir actuellement en Egypte depuis le séisme politique qui a vu le départ de Hosni Moubarak, se retrouve, de fait, au cœur de la problématique post révolution. La très symbolique place Tahrir, au Caire, est occupée par des milliers de manifestants et les contestations des Egyptiens, dans leurs différences politiques et idéologiques, reprennent de plus belle. Les images de la police anti-émeute tirant régulièrement des gaz lacrymogènes pour contenir la foule près du ministère de l'Intérieur, à proximité de la place Tahrir, replongent la capitale égyptienne dans la période de la révolte anti-régime du début de l'année. Des appels à des manifestations de masse également sont lancés dans d'autres régions du pays, comme à Suez, sur la mer Rouge, ou dans la ville d'Ismaïlia. La place Tahrir, foyer de la révolte qui a provoqué le départ du président Moubarak en février, est devenue le baromètre politique de l'Egypte post Moubarak.. Les manifestants scandant des slogans hostiles au pouvoir militaire, réclamant la chute du maréchal Hussein Tantaoui à la tête du Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui dirige le pays depuis le départ du président Moubarak et la chute de son clan. Pour beaucoup d'Egyptiens, le Conseil des forces armées poursuit toujours la politique de Moubarak ; rien n'a changé après la révolution et les sacrifices consentis. L'hostilité à ce militaire septuagénaire, qui fut pendant vingt ans l'omnipotent ministre de la Défense de Hosni Moubarak et l'un de ses plus proches collaborateurs, est de plus en plus grandissante. Les législatives qui doivent débuter le 28 novembre et s'étaler sur plusieurs mois s'annoncent des plus délicates dans un pays fragilisé par une révolution qui a eu raison du clan Moubarak mais visiblement pas du «système» dans son ensemble. Mais un scrutin pourrait-il avoir lieu avec un minimum de régularité dans les conditions actuelles ? Un membre du CSFA, le général Mohsen al-Fangari, a assuré que ces élections se tiendraient bien comme prévu. Le report du scrutin n'est pour l'heure pas envisagé malgré une situation alarmante. Plusieurs personnalités politiques et des intellectuels, parmi lesquels l'ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique Mohamed El Baradei, ont publié un document demandant un délai supplémentaire pour ces élections, dans le cadre d'une révision du calendrier politique du pays. Ils proposent notamment de s'atteler à former une assemblée constituante, puis une élection présidentielle et terminer enfin par les législatives. Ce n'est guère l'avis des militaires qui ont décidé de mettre la présidentielle (dont la date n'est pas encore décidée) à la fin de ce processus politique, et de ne rendre le pouvoir aux civils qu'une fois élu un nouveau chef de l'Etat. Ce qui est mal accepté par une grande partie des Egyptiens qui y voient une mainmise sur l'avenir politique du pays par l'armée. Ainsi, en présentant une proposition de constitution qui met l'armée à l'abri du contrôle du Parlement, le gouvernement de transition a mis le feu aux poudres. La gestion de la transition par le Conseil suprême des forces armées CSFA était censée aboutir à la réalisation du changement souhaité par les Egyptiens qui ont réussi à chasser Moubarak du pouvoir. Mais en inscrivant dans la constitution que l'armée s'occupera seule de ses affaires, on risque de (re)mettre le pays dans la même situation explosive prévalant durant l'ère Moubarak. M. B.