Entretien réalisé par Amirouche Yazid La Tribune : Quel constat faites-vous de la situation actuelle en Syrie ? YAHIA OKAB : Le pouvoir despotique pousse la situation vers de multiples dangers en choisissant la voie «sécurito-sanguinaire». Il refuse depuis des mois de répondre aux revendications du peuple en niant aux Syriens leur droit naturel à la liberté et à la diversité. Ce régime a exercé pendant des années l'assassinat organisé appuyé par des arrestations et des tortures. Il use même de l'exportation de la terreur. Ce même régime s'est efforcé aussi à impliquer l'armée dans une guerre contre le peuple, alors que la mission de l'armée consiste à libérer les terres du Golan occupé et à protéger le peuple en adéquation avec sa raison d'être. La situation me paraît compliquée. Le pouvoir est en train de pousser, de manière forte, à une intervention extérieure. Cette force extérieure hésite encore. Cet extérieur est néanmoins gêné par la facture de victimes quotidienne. La responsabilité de cette situation incombe au régime : il a poussé plusieurs nationalistes de l'armée à refuser de tirer sur les «leurs». Ce qui a créé aujourd'hui ce qui est désigné par l'armée nationale libre, devenue un facteur important dans l'équation interne. Que représentent pour vous les dernières décisions de la Ligue arabe ? La Ligue arabe a longtemps et beaucoup attendu. Le peuple syrien n'a jamais abandonné les causes des Arabes. Il a ainsi misé sur le soutien des Arabes. Des slogans ont été scandés dans ce sens, à l'image de «Votre silence nous tue». Même quand la Ligue a donné au régime à deux reprises, la possibilité de se corriger, il s'est entêté dans la voie du chaos. Devant l'exacerbation de la situation, la Ligue a fini par lancer son initiative, qui a été refusé au départ par le pouvoir syrien. Mais il a fini par l'admettre dans sa forme. Cela ne l'a pas, cependant, empêché de continuer à massacrer, le seul exercice qu'il maîtrise. Il y a eu par la suite les étranges modifications apportées à l'initiative, qui a été vidée de son sens. Quel rôle peut jouer l'opposition dans ce contexte où la Syrie frôle la guerre civile, sinon une intervention étrangère ? Disons la vérité. L'opposition syrienne, dans toute sa diversité, n'a pas été l'acteur principal dans le soulèvement. Le mérite revient à nos jeunes et à notre peuple. Cela n'enlève en rien les luttes historiques de l'opposition. Remarquons aussi que deux idées reviennent fortement ces derniers jours : la guerre civile et l'intervention étrangère. Cependant, on oublie d'évoquer le réel rôle du régime dans cette situation. Il faut rappeler à cet égard comment la tête du régime qualifiait les manifestations au départ. Il parlait de «fitna» et de conspiration. Il ne veut pas admettre que s'il avait satisfait les revendications initiales du peuple, les choses auraient évolué autrement, et le pays n'aurait pas connu de tels massacres. Le régime syrien conçoit toujours les réformes comme un reniement. Il a généralisé la violence tout en espérant mener la révolte à la guerre civile ou l'intervention étrangère. Mais les révoltés syriens veillent au grain. Ils refusent l'idée d'une révolte d'une seule catégorie sans les autres. Ils persistent à dire que le peuple est un et indivisible. Il faut ainsi être frappé de cécité pour ne pas saisir le refus du peuple à toute intervention étrangère. D'où l'absurdité et surtout la malhonnêteté de ce discours agitateur de l'intervention étrangère. Il faut insister néanmoins sur cette demande de protection internationale des civils en cas de massacres et de tueries. Les instances de l'opposition ont expliqué le sens et les limites de la protection internationale soutenue par la Ligue arabe. L'opposition refuse tout dérapage vers la guerre civile. Ce qui est appelé «le troisième courant» propose un dialogue entre Syriens en Syrie. Que pensez-vous de cette démarche ? Nous avons un proverbe qui dit «comme celui qui va au pèlerinage quand les gens en revenaient». Autrement ce genre d'appel est révolu. Le régime a tué toute initiative dans ce sens. Je n'ai pas l'intention de classer les auteurs de cet appel. L'actuel régime n'est pas là depuis hier, il est à sa 42e année. Il n'a pas besoin d'examen. L'héritier imposé par la force, en se taillant une Constitution sur mesure et en insultant la République, est en place depuis 11 ans. Il avait donc tout le temps pour engager les réformes souhaitées. Mais qu'a-t-il fait, si ce n'est se draper derrière un discours qui n'aurait pas été compris ? Le comportement du régime indique-t-il une disponibilité quelconque de réforme et de dialogue ? Le dialogue n'est pas un procédé valable devant un régime qui n'est pas conscient de sa responsabilité. Or, ce régime est obsédé par le crime. Une offre de dialogue avec ce régime relève plutôt de l'insensé. Des analystes disent que le régime syrien compte sur l'Irak et le Liban pour éviter de possibles sanctions de la Ligue arabe… Il faut bien observer les significations. Nous savons tous comment a été formé le gouvernement irakien : sa composante, ses références idéologiques et ses rapports avec la sphère régionale. Cette thèse révèle davantage la nature du régime syrien qui recourt facilement à la carte du communautarisme. Les sanctions économiques, l'Irak et le Liban, cela ne peut pas tenir la route. L'Irak est noyé dans les dettes et la corruption ; le Liban est un pays aux petits moyens. L'Iran peut-être pour sauver le régime des effets des sanctions économiques. Ce qui nous recommande d'appeler à réclamer des sanctions qui ne toucheront que le régime et ses symboles. Il ne faut pas que l'ensemble du peuple en subisse les conséquences.