Il a suffi d'un épisode neigeux inédit et de l'agglomération exceptionnelle de flocons dans plus de vingt wilayas pour que de vastes portions du territoire national, couvertes d'un manteau blanc, mais transies de froid, découvrent qu'on a un régime mais pas encore un Etat. La neige, avec ses plaquettes, ses aiguilles, ses cristaux, ses colonnes creuses et ses dendrites sans cesse formées, a mis à nu l'impéritie du régime. Elle a surtout révélé la vacuité d'un Etat impuissant à faire face à des situations d'urgence, surtout pas à des cas d'urgence extrême enregistrés en Kabylie et dans certaines régions de l'est du pays. L'entassement de la poudreuse, parfois à des niveaux record de plus de 5 mètres en zones montagneuses, a montré que le 5 Juillet 1962 est une date qui n'existe pas dans le calendrier de compatriotes oubliés de Dieu et du pouvoir. Il a aussi dénudé un régime qui n'est pas blanc comme neige, quand bien même accablerait-il une météo en folie mais prévisible, fustigerait l'incurie des collectivités locales dépourvues du minimum incompressible de moyens ou fulminerait contre le hasard et Monsieur pas de chance. Dans des circonstances exceptionnelles, qui ne justifient pas pour autant l'incapacité, l'impuissance de l'administration et l'inaptitude des collectivités territoriales, c'est l'armée et les corps de sécurité qui ont paré au plus pressé et colmaté les brèches, avec, c'est à souligner, des équipements insuffisants et inadaptés. Quand un régime qui est le pouvoir et un Etat qui est nous tous, en soient réduits à l'intervention salutaire, mais limitée des hommes en armes, en temps de sinistre, c'est que l'indépendance du pays n'est pas parachevée et que l'Etat reste à construire. Et, alors que certains de nos compatriotes, dans les zones enneigées et isolées, sont revenus à des conditions de vie moyenâgeuses, le régime, lui, se fait des cheveux de neige à l'idée que l'abstention aux prochaines législatives enregistrerait un score record digne des niveaux de neige atteints en Kabylie, dans les Babors, les massifs de Collo et le plateau des Aurès ! Alors qu'il neigeait à flocons continus, le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, organisateur des premières élections libres, transparentes et honnêtes, ouallah, c'est le régime qui le jure ainsi, inondait les citoyens de SMS, en jet continu. Ces messages sont censés leur donner des ardeurs électorales, un soudain engouement civique et une faim de politique qu'ils n'ont jamais éprouvés ou si peu depuis 1962 ! «Voter, est acte de citoyenneté et de responsabilité», affirme un des shorts messages du ministère de l'Intérieur qui veut nous convertir téléphoniquement à la citoyenneté électorale. Une citoyenneté «responsable», dont il semble éprouver les vertus, après 50 ans d'élections à la Naegelen, comme l'a admis le Premier magistrat du pays, lui même. Le régime découvre subitement les vertus de la politique et se convertit soudainement à une sorte d'immaculée conception électorale, s'ingéniant alors à vouloir instaurer une culture politique et une pratique démocratique qu'il n'a pas pu - plutôt pas voulu - instaurer cinq décennies durant. C'est alors qu'il légalise, comme un boulanger administratif, par fournées entières, des partis-champignons aux sigles improbables, aux programmes introuvables et aux militants indécelables. L'agrément, à tire-larigot, de partis qu'on ne saurait situer à droite, à gauche, au centre, aux extrêmes, en haut ou en bas, sauf leur référence, mécanique et psittaciste, à la Déclaration du Premier novembre 1954, a laissé froids nos compatriotes. Dès lors, comment les Algériennes et les Algériens, notamment les jeunes, ne resteraient-ils pas de glace quand le régime veut les mobiliser par SMS ? Et les partis, surtout les tout nouveaux, par le truchement d'annonces publicitaires pour candidatures électorales ou pour adhésion à des formations ectoplasmiques ? Il en va donc de la politique, des élections et de la démocratie comme il en va de la neige : tout tombe soudainement et le régime, qui veut être à l'abri des vents du changement, en fait des tonnes, au risque de se draper du manteau du ridicule politique. Comment pourrait-il en être autrement quand il a, cinquante ans durant, moins la parenthèse 1988-1991, déconsidéré la politique en lui créant son désert, pardon, son vide sidéral, car il y a quand même de la vie dans le désert où existent aussi des oasis irriguées ! Dans un champ politique fermé tel un cercle vide, qu'importe donc si des partis, à l'état de particules, sauf, bien sûr, les clientèles partisanes du régime et les partisans de l'offre islamiste éclatée, en viennent aujourd'hui à boycotter, à hésiter de boycotter ou à participer à des législatives qui ne donnent pas la chair de poule comme le ferait le froid par temps de neige. Certes, l'abstention électorale a toujours été proportionnelle au degré de discrédit de la politique et des politiciens. A chaque fois, le taux enregistré se situe réellement à des niveaux élevés. Mais, cette fois-ci, le score d'abstention tant redouté par le régime, risque d'atteindre un sommet inédit. Dans le désert de la politique où le régime a le plus souvent pratiqué la politique du désert, la neige amoncelée, le gaz butane de nos compatriotes désespérés, la malvie généralisée et un régime fossilisé, sont les meilleurs agents électoraux de l'abstention. N. K.