Nos compatriotes établis au Canada s'habituent avec la rigueur du climat nordique : des températures pouvant atteindre -30° C, voire -40° C, un manteau blanc de plusieurs centimètres, de la pluie verglaçante, etc. Mais la vie ne s'arrête pas pour autant. Reportage. Les flocons qui peuplent l'air glacial de Montréal ajoutent de la tristesse au ciel qui a épousé la couleur grisâtre depuis plusieurs semaines déjà. Même si la neige a atteint entre 30 et 40 cm par endroits et que le mercure a fait une chute vertigineuse vers les abysses des -25° C, d'aucuns affirment ici que l'hiver est moins rigoureux que d'habitude. En dépit des tempêtes de neige et du mauvais temps, la roue de la vie ne s'arrête pas pour autant. La vie institutionnelle, socioéconomique et culturelle continue. Montréal vit à plein régime. C'est que les pouvoirs publics ont mis tous les moyens pour faciliter la vie à la population. À titre d'exemple, la ville de Montréal a consacré, dans son budget annuel, une enveloppe de 150 millions de dollars pour le déneigement durant l'hiver 2012. Budget colossal s'il en est, cet argent servira à dégager quelque 6 500 km de trottoirs et à déneiger 4 100 km de chaussée. Des opérations qui nécessitent la mobilisation de 3 000 employés, nous informe-t-on auprès de l'administration du maire Tremblay. Le déneigement constitue un reflexe naturel chez les Québécois pour qui la neige est une identité chez les peuples nordiques. Les déneigeuses s'emploient, jour et nuit, à ramasser la poudreuse sur les routes dégagées en deux tours, trois mouvements. Les immigrants qui s'installent au Québec se familiarisent, avec des fortunes diverses, avec ce climat que beaucoup pourtant n'ont pas connu dans leurs pays d'origine. Peut-être parce que la plupart d'entre eux ont connu la neige en Algérie, nos compatriotes s'adaptent avec une facilité déconcertante à ce climat nordique. Ici, tout le monde porte presque les mêmes habits, l'hiver venu : des gants, des bonnets, des blousons, des bottes, etc. Bref, des vêtements chauds avec quoi affronter le froid accentué souvent par l'effet éolien. Karim s'emploie à déneiger devant sa maison. Au bout de quelques minutes, son escalier est dégagé ; on dirait qu'il n'a pas neigé par ici. Ce geste est devenu un rituel pour tout le monde. “Chaque matin, je procède au déneigement. Je nettoie aussi ma voiture avant d'aller au travail. C'est devenu, pour moi, un rituel”, dit-il entre deux clopes grillées à pleins poumons. Depuis huit ans qu'il est établi à Montréal, notre interlocuteur estime que l'hiver de cette année est le moins rigoureux. L'hiver rigoureux ? Il en a vu d'autres. Comme durant l'année 2008. Son voisin rencontré au café Tikjda, l'un des points de chute de nos compatriotes, est du même avis. Lui se dit désormais prêt à affronter les hivers d'ici, quelle que soit leur rigueur. Les tempêtes de neige ne le gênent pas outre mesure pour faire ses emplettes, notamment les week-ends. Résidant majoritairement dans le secteur Saint-Michel, Jean-Talon, Saint-Léonard, Anjou, mais aussi à Laval, les Algériens mènent leur train-train de vie sans changer grand-chose à leurs habitudes. Du shopping, les courses habituelles, le boulot, la garderie ; la neige ne les empêche pas dans la vie de tous les jours. Hiver comme été, quand on se promène sur la rue Jean-Talon, l'on n'est pas du tout dépaysé, dès lors que la plupart des commerces appartiennent à des Maghrébins, essentiellement Algériens. On peut même se procurer du soda Hamoud Boualem, des beignets kabyles ou des mhadjeb algérois. Les week-ends, les cafés algériens ne désemplissent pas. Des amis s'attablent pour une partie de dominos qui s'éternise toute la soirée. Certains de nos compatriotes, qui semblent plus ou moins branchés, adoptent le mode de vie québécois. Ainsi, les week-ends sont consacrés aux sorties en famille. Une fois, c'est le resto ; une autre fois, c'est le cinéma. Maintenant, la mode reste le “Village des neiges”. Une sorte de festival de neige organisé, à pareille période, au parc Jean-Drapeau sur l'île artificielle. L'événement est à sa 29e édition. Des constructions en glace accueillent des visiteurs qui trouvent à leur disposition restauration, chambres, animation, jeux en plein air, etc. Lyes et sa femme sont un couple d'infirmiers. Ils viennent d'acquérir la citoyenneté canadienne. Ils mènent un train de vie satisfaisant, à leurs yeux. Pour faire plaisir à leurs deux enfants, ils vont au “Village des neiges”, histoire de changer d'air. “Cela nous permet de décompresser après une semaine de dur labeur”, confie l'Algéro-Canadien. D'autres Algériens préfèrent faire un saut au Mont-Royal, une colline qui domine Montréal, avec vue imprenable sur le centre-ville. Un coin qui rappelle le site Tikjda dans le majestueux Djurdjura. Beaucoup viennent skier ici. Montréal souterrain Si la vie n'est pas trop chamboulée par les tempêtes récurrentes de neige, le sous-sol de la ville de Montréal offre de meilleures commodités aux usagers. Autrement dit, il y a, sous la neige, une vie souterraine trop animée et plus conviviale. Le sous-sol de la ville traversé par un fouillis de lignes métro, c'est 33 km de long qui abritent quelque 2 000 commerces, entre magasins et restaurants, allant de la Place Ville-Marie qui fêtera son cinquantenaire en septembre prochain à la gare centrale d'où l'on peut rallier New York par train, en passant par le Centre Bell, la mythique salle de l'équipe de hockey de Montréal. Près de 250 000 personnes utilisent ce réseau de la ville souterraine raccordée à dix stations de métro. Si les Montréalais connaissent moins leur sous-sol, ce n'est pas le cas de beaucoup d'immigrants mais surtout de touristes qui visitent régulièrement la métropole multiculturelle où l'on parle plus de 80 langues. Ça arrive aussi à nos compatriotes de fréquenter ces lieux très branchés de Montréal. “Nous sommes des habitués des lieux”, déclare Djaffar, croisé en famille dans un magasin. Notre interlocuteur, qui travaille dans la Fonction publique, dit ne rater aucune occasion pour assister aux nombreux festivals qu'abrite la ville de Montréal, tout au long de l'année. On peut aussi trouver des patinoires dans le réseau souterrain du centre-ville. Ce qui fait le bonheur des enfants, y compris algériens, qui s'exercent au patinage artistique. Même les adultes y retrouvent l'insouciance de leur enfance, en exécutant des tours de danse diaboliques. Dans les supermarchés et les magasins, dans le métro et les bus, dans les bureaux et les usines ; là où on va, on ne sentira pas le froid hivernal, tellement c'est chauffé. C'est ainsi que cela nous arrive de croiser des jeunes, cheveux aux quatre vents, avec des tee-shirts et autres décolletés, alors qu'il neige dehors. Rachid est arrivé au Québec en 1994. Il est insensible au froid, le bonhomme. Il a pris l'habitude de ne pas s'habiller lourdement en hiver. “Je fais mes courses et je vais au travail avec moins d'habits. Et je supporte mieux le froid”, confie-t-il. Malika est du même avis. Il y a en effet des Algériens qui supportent le froid nordique plus que les Québécois, de souche pure laine, pour reprendre une expression bien galvaudée. Il y en a ainsi qui résident, par exemple, à Saguenay et d'autres encore plus au Nord, là où l'hiver dure six mois. Et naturellement, il fait plus froid. Les parcs de loisirs, nombreux à Montréal, sont recouverts d'un manteau blanc immaculé. Les enfants ne roulent plus dans la neige et on ne voit pas de bonhommes de neige, comme on en fait chez nous. De toutes les formes. On quitte le centre-ville. Dans le métro, on dirait que ce n'est pas l'hiver. Dehors, les flocons de neige continuent de voler dans les airs avant de tomber dans une accumulation frénétique sur le trottoir. Le ciel gris semble tout près du toit des maisons, tandis que la poudreuse est là comme pour narguer la nuit toujours glaciale. Montréal est sous la neige… Y. A.