L'Iran a cessé ses exportations pétrolières à destination de certains pays européens, la France en tête. Cette décision a quelque chose de «risible», commentait récemment un diplomate européen qui avait noté que c'est l'UE qui a décidé de ne pas acheter le pétrole iranien. Après plus d'une décennie de tergiversations, l'Union européenne a récemment pris la décision de se passer de pétrole iranien. C'est loin d'être une simple mesure, l'UE important de grosses quantités de pétrole iranien. Il s'agit d'un embargo réfléchi, mis au point, en coordination avec l'Administration d'Obama. Ce sont les Etats-Unis qui ont décidé en premier d'imposer des sanctions contre le régime de Téhéran, pour le contrarier à faire des concessions sur le dossier du nucléaire. Pour l'instant du moins, l'Amérique n'y a pas réussi. Et cet embargo risquerait de tourner court, et de ne pas avoir d'effet, parce que de nombreux pays sont contre. Il y a d'abord la Chine et la Russie, deux pays qui contestent cet embargo, estimant qu'il est contreproductif. Et leur position pourrait se radicaliser, si jamais l'Occident intervient militairement en Syrie sans l'accord des Nations-Unies. Après ce qui s'est passé en Libye, la Chine et la Russie se méfieraient des attitudes des Etats-Unis et de l'UE. Aujourd'hui, les pays occidentaux usant de termes diplomatiques, estiment que Pékin et Moscou ne jouent pas le jeu dans le dossier iranien. Par contre, ils sont très véhéments à l'égard de ces deux pays lorsqu'ils évoquent le cas de la Syrie. Le problème est que l'embargo contre l'Iran n'agrée pas tout le monde, car il n'y a pas que la Russie et la Chine qui s'y opposent. Des pays comme l'Inde, le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, des économies importantes en Asie, grosses consommatrices d'énergie, n'affichent pas de soutien pour cet embargo. Parce qu'ils visent un rôle sur la scène internationale, ces pays avancent dans une démarche circonspecte. C'est dans l'ordre normal des choses. Ils ont de l'influence dans la région. Ensemble, le Japon, la Corée du Sud, l'Inde et Taïwan comptent pour 38% de l'ensemble des exportations iraniennes, ce n'est pas rien. La diplomatie occidentale comptait en fait sur l'obtention d'un appui de la part des pays les plus influents du G7. Seulement, le Japon ne s'est engagé que timidement, c'est à dire sur un objectif à minima : «Nous allons nous engager sur une réduction de nos importations de pétrole iranien», affirme l'Etat nippon. Et ce n'est pas ce que veulent l'UE et les Etats-Unis. La Corée du Sud, dont la sécurité nationale repose, comme on le sait, depuis cinquante ans sur un déploiement de troupes américaines qui se chiffre en dizaines de milliards de dollars, a indiqué qu'elle pourrait réduire ses importations, mais affirme qu'il n'est pas question d'aller vers un embargo. La Turquie est également contre ; elle a décidé de ne pas décréter d'embargo sur le pétrole iranien. Le pays est impliqué dans d'autres dossiers avec l'Iran. C'est aussi un pays très influent dans le dossier syrien. Pourtant, Ankara a toujours été un allié sûr de l'Amérique. Mais de tous les « amis », c'est peut-être l'Inde qui met les Etats-Unis dans la gêne, dans le conflit iranien. Les Etats-Unis sont particulièrement perplexes devant l'Inde. Delhi ne semble pas vouloir perpétuer l'influence américaine, en Asie. Des signes qui ne trompent pas ? L'Inde a rejeté la candidature américaine pour la fourniture d'avions de combat. Nicholas Burns, ancien sous-secrétaire d'Etat de Bush et bien connu en Inde pour avoir négocié en 2008 un contrat portant sur du combustible nucléaire est cité dans les colonnes du Times of India pour un de ses articles paru dans The Diplomat, dans lequel il évoque la «claque» administrée par New Delhi aux amis de l'Inde à Washington. C'est un revers important vis-à-vis des efforts menés par les trois derniers présidents des Etats-Unis en vue d'établir un partenariat étroit et stratégique avec les gouvernements indiens successifs, notent des diplomates américains. Des spécialistes estiment que les temps ont changé, et qu'à la différence de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale, qui vit la formalisation du leadership global des Etats-Unis, ces pays de l'Asie ont de la marge ; ils ne sont pas des démocraties ployant sous le danger d'être annexées par une plus grande puissance. Et au fil des années, ces pays ont développé leur propre sens de l'intérêt national. Ils reconnaissent toutefois que le taux de croissance qu'ils ont réussi à imprimer à leurs économies doit beaucoup au monde tel que les Etats-Unis l'ont façonné et dirigé de 1945 à 2008. Mais cela ne les empêche pas de dire non à l'Amérique. Ils n'acceptent pas que Washington les enrôle dans des embargos commerciaux, des actions secrètes, ou la guerre. Si les Etats-Unis veulent bâtir une véritable relation stratégique avec l'Inde, celle-ci se devra d'être fondée sur les intérêts nationaux de l'Inde. Pour commencer, nous devrions nous détacher de l'absurde Alliance des Aveugles avec le Pakistan, estime l'Inde. Il serait faux d'affirmer que l'Inde n'est pas concernée par le conflit avec l'Iran. D'évidence, l'Inde ne veut pas que l'Iran rejoigne la liste des Etats possédant l'arme nucléaire, cela ne peut réjouir un pays où les tensions entre hindous et musulmans et le conflit avec le Pakistan sur le Cachemire sont les deux principaux risques menaçant la prospérité nationale. Mais l'Inde, elle aussi, a développé l'arme nucléaire dans son coin. À ce jour, paradoxalement, les inspecteurs internationaux disposent d'un meilleur accès au programme nucléaire iranien qu'à celui de l'Inde. Il faut également reconnaître que trouver 280 millions de barils de pétrole -ce que l'Inde importe d'Iran, grosso modo -ne se réglera pas par décret. Toujours en Asie, l'Arabie saoudite dispose de capacités de production supplémentaires, et bien que les Saoudiens affirment qu'ils pourront compenser les besoins de l'Union européenne et éventuellement de quelques autres pays, les estimations même les plus optimistes ne permettent pas de penser que l'Arabie saoudite pourrait constituer une solution de rechange suffisante si le Japon, la Corée du Sud et l'Inde rejoignaient l'embargo. Cet embargo qui pourrait ne pas produire l'effet souhaité, risque d'entrainer de gros coûts. Le prix du pétrole grimpe et grimpera encore, même sans intervention militaire, au fur et à mesure de la hausse du «coût de remplacement» du pétrole non-iranien. Et la situation risque d'empirer tant que les exportations pétrolières libyennes n'ont pas encore repris. Côté diplomatique, la pression sur l'Inde et la Turquie pour qu'elles se rangent derrière l'Amérique, en dépit de bénéfices moyennement clairs pour l'une et l'autre, ne fera que réduire l'influence de Washington avec le temps. Y. S.