Photo : Riad Par Younès Djama Deux universités, parmi les plus importantes du pays, viennent d'être secouées par des mouvements de protestation initiés par les enseignants. Objet de cette colère : ingérence de l'administration dans les missions pédagogiques du corps enseignant. Certains enseignants soupçonnent que le principal acquis de l'Algérie indépendante, la démocratisation de l'enseignement, est plus que jamais menacé. Depuis plus de trois mois, le département d'anglais de l'université d'Alger II (Bouzaréah) vit une grave crise. Le collectif des enseignants d'anglais observe, depuis plus d'une semaine, un arrêt de cours pour protester contre ce qu'ils considèrent comme «une ingérence de l'administration dans l'aspect pédagogique». Les enseignants estiment que l'administration de l'université a transgressé la réglementation en intervenant directement dans leurs prérogatives pédagogiques, en vue de faire passer au palier supérieur, à l'encontre des textes en vigueur, un groupe d'étudiants dont la moyenne est inférieure à 10/20. «Pour répondre à la demande des étudiants grévistes, le rectorat a décidé de sacrifier allègrement les intérêts pédagogiques et l'intégrité de l'institution en enfreignant la note ministérielle n°174 du 6 septembre 2005 qui garantit la souveraineté des jurys et les prérogatives pédagogiques», s'indignent les enseignants. En signe de refus, ils ont initié un arrêt de travail ouvert. «Aujourd'hui, nous n'avons fait qu'appliquer les textes en vigueur réglementant les jurys de délibérations», se défendent-ils. «Cependant en guise de représailles, nous avons été mis au banc des accusés pour avoir refusé d'obtempérer aux ordres du rectorat et ce dans le silence inexpliqué du ministère de l'Enseignement supérieur.» Selon les enseignants, ils sont déclarés «coupables» d'avoir osé remettre en question un nouveau système universitaire «qui fait prévaloir l'aspect administratif sur celui pédagogique». Un système qui favorise «le clientélisme et la médiocrité» au détriment du travail, de l'effort et du mérite. Un système qui enfin «normalise les anomalies (…), détruit la fonction même de l'université, espace de savoir où se développe une pensée critique libre». Se disant victimes d'«intimations» et d'«immixtions flagrantes» dans leurs prérogatives pédagogiques de la part du rectorat, d'une part, et des comportements agressifs de certains étudiants, d'autre part, les enseignants interpellent le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique afin de mettre toute la lumière sur cette affaire qui ne fait qu'empirer. La genèse remonte au mois d'octobre dernier au lendemain de l'affichage des délibérations portant sur les examens de rattrapage des étudiants d'anglais. Après affichage des résultats des examens de rattrapage (septembre 2011) et suite aux demandes de recours d'un «petit» groupe d'étudiants recalés, le rectorat n'a pas ouvert de dialogue avec les enseignants à ce sujet. Par contre, il a fait des promesses écrites aux étudiants concernant le rachat à partir d'une note variant entre 9 et 9,20. Le rectorat ordonne au chef de département d'anglais de procéder à des rachats «supplémentaires» sur la base de nouveaux critères proposés par ce groupe d'étudiants. Une injonction que le responsable a refusée, ce qui lui a valu son éviction et son remplacement par un autre responsable. En représailles, une minorité d'étudiants a procédé à la fermeture du département ainsi que la salle des enseignants bloquant, ainsi, le fonctionnement normal des activités du staff, notamment les corrections du concours du magistère qui étaient en cours de finalisation. Les enseignants déplorent l'absence de réaction du rectorat à la suite de la fermeture du département d'anglais par les étudiants grévistes puisque la fermeture a duré 5 semaines. En revanche, le rectorat impose une nouvelle période de recours en sus de celle prévue dans la marche ordinaire et décide d'une double correction. Celle-ci devait être assurée par une commission externe au département. Suite à quoi, il y a eu ouverture du département aux membres de ladite commission. A la demande de la commission d'enquête, les enseignants du département d'anglais se sont mobilisés pour procéder à une double correction, et ce, durant toute la première semaine des vacances d'hiver (du 16 au 20 décembre 2011). Finalement, celle-ci a été refusée par le rectorat. La situation devenait plus tendue. Les étudiants mécontents ont, une nouvelle fois, procédé à la fermeture du bâtiment. «Le rectorat a avancé un taux de réussite de 8%, qui n'étaient pourtant que partiels. En revanche, nous estimons le taux de réussite à 46%», signale le collectif des enseignants qui se sont énergiquement élevés contre la décision de l'administration de l'université de recourir à une seconde correction des copies des examens de rattrapage qui, soulignent les contestataires, devait être effectuée par une commission d'enseignants externes, c'est-à-dire en dehors du département d'anglais. «C'est une décision illégale et anti réglementaire», pestent les enseignants qui mettent en exergue le fait que la double correction, dont la procédure a été décriée par les concernés, s'est déroulée dans des conditions «opaques». «La composante de ladite commission a été déclarée secrète par le rectorat. De plus, nous nous demandons comment a-t-on procédé aux corrections sachant que les membres de cette commission ont emporté uniquement les copies d'examens, également sans tenir compte ni des sujets soumis aux candidats encore moins leur parcours pédagogique», se demande une enseignante. Elle ajoute que les résultats affichés à l'extérieur du département le 22 février dernier ne portent aucune signature ni griffe. L'université Saâd Dahleb de Blida vit la même situation de confusion et d'ingérence dans les prérogatives de la famille pédagogique. Les enseignants de cette université ont entamé un mouvement de protestation depuis le 19 février dernier et réclament le départ du vice-recteur de cette institution «qui s'est octroyé la qualité de conseiller, un poste qui ne figure même pas dans l'organigramme de l'université», affirment Chaïbi Abderrahmane et Rafik Doumaz, deux enseignants qui s'exprimaient samedi à Alger lors d'une conférence de presse. Le «mis en cause» serait à l'origine de licenciements «abusifs» et «contraires» à la législation et aux relations professionnelles. «Des départs et des recrutements sont souvent injustifiés et décidés par le responsable sans que le recteur s'oppose», accusent les représentants des travailleurs de l'université de Blida.