L'alliance PSA-GM, c'est fait. L'automobile française, longtemps trop hexagonale, accélère à l'international. L'emploi y trouvera-t-il son compte ? Volkswagen, avec une autre stratégie, augmente ses effectifs en Allemagne. On n'a rien compris: Renault ne délocalise pas. Même pas à Tanger, où le constructeur automobile a inauguré le 9 février une usine qui, à terme, pourra produire 340 000 voitures par an. Pourtant, le groupe (en incluant Dacia et Renault Samsung Motors) ne fabrique plus en France que 18% des voitures particulières qu'il produit dans le monde et 23% si on ajoute les utilitaires légers.Mais Carlos Ghosn, Président, n'en démord pas: «J'entends des critiques à propos des délocalisations et je les comprends. Mais l'usine de Tanger va fabriquer des voitures qui ne sont pas produites en France. Il n'y a donc pas de délocalisations… sauf peut-être de Roumanie», a-t-il commenté en présentant les résultats financiers du groupe pour 2011. Délocalisation ? Un peu, quand même… Renault se développe à l'international et bien au-delà de l'Europe, au Brésil qui est devenu son deuxième marché après la France, en Russie où il va produire des voitures qui porteront le logo Lada, en Corée du sud, autour de la Méditerranée: 16% de part de marché en Turquie, 25% en Algérie et même 37% au Maroc…Il n'est donc pas question de contester le bien-fondé d'une stratégie de conquête qui porte ses fruits. Ainsi l'an dernier, pour une progression de 3,6% du nombre de véhicules vendus dans le monde (2,72 millions), le chiffre d'affaires a progressé de 9,4% à 42,6 milliards d'euros.Tant mieux pour le groupe. On n'imaginerait pas une grande entreprise tourner aujourd'hui le dos à l'international. Mais si elle peut en faire profiter l'économie nationale, c'est encore mieux. Or de ce point de vue, on n'est pas obligé de partager la satisfaction de Carlos Ghosn.
Les délocalisations existent Il suffit de considérer l'évolution des productions du groupe : 529 000 voitures particulières en France en 2008, mais seulement 445 000 en 2011, soit un recul de 16% en seulement quatre exercices. L'emploi en pâtit, comme l'illustre la baisse des effectifs de l'usine de Flins: à peine plus de 3 000 salariés aujourd'hui contre 22 000 à l'époque de la R5.L'activité a baissé dans l'Hexagone alors que, hors France, elle a augmenté: de 1,53 million d'unités en 2008 à 2 millions en 2011. Et cette progression hors France ne tient pas seulement aux autres marques du groupe. La marque Renault suit le mouvement: 1,11 million d'unités produites hors des frontières en 2008, 1,43 million en 2011.
Ventes en hausse en France, production en baisse La réponse semble venir d'elle-même tellement elle a déjà été utilisée: il est normal que la production de Renault hors de France progresse dans la mesure où elle est destinée à répondre à la demande locale de nouveaux marchés alors que le marché français stagne autour de 2,2 millions d'unités. Mais l'argument est incomplet. Car en France, les immatriculations du groupe ont progressé, de 493 000 à 544 000 unités entre 2008 et 2011 pour l'ensemble de ses marques. Autrement dit, le groupe Renault a vendu plus de voitures particulières sur la période en France mais en a produit moins, et les ré-importations ont été plus importantes. Si ce ne sont pas là les effets de délocalisations, ils s'y apparentent fort! La balance automobile française, déficitaire depuis 2008 et qui se dégrade, traduit bien le phénomène.Le patron de Renault, sur qui se braque les projecteurs dans le débat sur la désindustrialisation, préfère insister sur la part des investissements (40%) qui seront réalisés en France d'ici à 2013, et sur les perspectives 2012 qui devraient voir remonter les productions françaises. Il n'empêche: il est des stratégies industrielles mieux adaptées que d'autres à leur environnement économique.
Le virage PSA Le développement de gammes «low cost» est de toute évidence incompatible avec le coût du travail en France, environ huit fois plus élevé qu'au Maroc et onze fois plus qu'en Chine. Renault, bien sûr, n'est pas responsable de cette situation. Il en a tiré les conséquences dans une économie mondialisée, devenant un «constructeur global»… La bourse apprécie, le marché du travail beaucoup moins. PSA aussi est à un virage stratégique, après avoir vu ses ventes baisser en volume de 1,5% l'an dernier alors que tous les constructeurs européens ont progressé. Ses usines françaises sont plus sollicitées que celles de Renault : elles ont fabriqué 39% de la production mondiale de voitures particulières (37% si on inclut les utilitaires légers). Le groupe est donc globalement deux fois moins délocalisé que Renault. Mais l'année 2011 a laissé un goût amer chez PSA: seulement 588 millions d'euros de bénéfice pour un chiffre d'affaires de 60 milliards.Déjà, le centre de gravité du groupe se déplace. En novembre, le groupe a annoncé un plan de réduction des effectifs portant sur 7 000 postes, dont plus de 5000 en France y compris dans les centres de recherche et chez les sous-traitants. Le PDG Philippe Varin met le cap sur les marchés émergents : l'objectif consiste à réaliser 50% des ventes du groupe hors d'Europe à l'horizon 2015 (au lieu de 33% en 2009), avec en priorité la Chine où le groupe a construit deux usines qui emploient près de deux fois plus de salariés que le site d'Aulnay en France, lui-même menacé. L'alliance avec General Motors, leader mondial et qui pèse deux fois plus lourd, est une nouvelle étape dans la stratégie d'alliance du groupe. Les négociations ne sont toutefois pas terminées et elles doivent encore à être précisées. Certes, à ce jour, PSA n'est pas isolé : les utilitaires légers sont communs avec Fiat, les petites voitures urbaines sont fabriquées dans l'usine tchèque de Toyota, les véhicules 4x4 et futures voitures électriques proviennent de Mitsubishi, les moteurs à essence sont développés avec BMW, et les diesel avec Ford. Une alliance avec le constructeur américain serait toutefois plus globale, et impliquerait forcément les réseaux commerciaux qui permettraient à PSA d'accélérer son internationalisation, notamment sur l'ensemble du continent américain.Philippe Varin en a déjà fait le constat: les ventes de voitures en Europe connaissent les plus faibles croissances. D'où la nécessité de se déployer dans d'autres régions du monde, en Chine où PSA vise 8% du marché en 2015, en Inde et de l'autre côté de l'Atlantique. Mais cette internationalisation ne lève pas les hypothèques sur l'emploi dans le groupe en France, notamment dans les usines d'Aulnay et de Rennes même si PSA manifeste un désir de montée en gamme (notamment avec ses nouvelles Citroën DS) plus compatibles avec les coûts de productions français.Un autre constructeur européen également généraliste, Volkswagen, a pris d'autres options. Il est présent dans les gammes économiques avec Seat et moyennes avec VW et Skoda, produites aussi bien en Espagne qu'en République Tchèque et quasiment partout dans le monde. La Chine est devenue son premier marché, ce qui démontre l'engagement du groupe allemand à l'international. Mais grâce à une stratégie plus ouverte sur le haut de gamme, Volkswagen conserve outre-Rhin une activité de production plus importante que Renault.
Volkswagen embauche en Allemagne Certes, il fallait avoir une vision à long terme pour lancer notamment Audi en 1969 avec l'idée d'en faire une marque de luxe (le constructeur a même acquis plus tard les marques Bentley, Lamborghini et Bugatti, bien plus confidentielles). Aujourd'hui, Audi fait jeu égal avec Mercedes. Et c'est l'Allemagne qui tire les dividendes de la stratégie de Volkswagen et des autres constructeurs de voitures de luxe. Car le haut de gamme peut absorber des coûts de production en Allemagne comparables à ceux de la France, et continuer à être produit dans des usines allemandes.C'est une des raisons qui expliquent que le groupe Volkswagen employait 181 000 salariés en Allemagne fin 2010 (hors Porsche et MAN), soit 45% de ses effectifs dans le monde et trois fois plus que le groupe Renault en France (54 200 salariés fin 2010). Puis, l'an dernier, il a fait mieux: le groupe a intégré Porsche et le constructeur de camions MAN, et embauché 11 000 personnes dont 7 000 en Allemagne. De sorte que sur les quelque 500 000 salariés du groupe dans le monde fin 2011, la direction du groupe en dénombrait 220 000 dans ses usines allemandes. Quatre fois plus que Renault en France. Un vrai handicap pour l'économie française. C'est ce type d'écart qu'il convient de combler en France par des stratégies d'entreprises adaptées. Et des choix de gamme qui mettent fin à la «contradiction actuelle entre la logique actionnariale et l'intérêt national», selon les termes de Jean-Louis Beffa, ex-patron de Saint Gobain.
Deux groupes de puissance comparable On pourrait considérer que le groupe allemand est dans une dynamique différente, avec 8,1 millions de voitures vendues l'an dernier contre 2,72 millions pour le Groupe Renault. Mais il convient, s'agissant de Renault et des effets de sa stratégie, de considérer l'Alliance Renault-Nissan, créée en 1999.Or l'an dernier, le Français et le Japonais ont vendu ensemble, avec le renfort du russe Avtovaz, 8 millions de véhicules. Soit un volume équivalent à celui de Volkswagen avec l'ensemble de ses marques. Mais Nissan ne produit pas de voitures dans l'Hexagone, Renault n'a jamais su investir le haut de gamme et s'y maintenir avec une marque spécifique, et la marque de luxe Infiniti de l'Alliance Renault-Nissan (initialement, exclusivement Nissan) n'est d'aucun apport industriel pour les usines françaises. Renault inversera-t-il la tendance en misant sur l'automobile électrique? Notons toutefois que la Twizy, petite voiture urbaine à deux places, sera fabriquée en Espagne.
Deux stratégies dans la mondialisation Les deux groupes Renault et Volkswagen se sont inscrits dans la mondialisation avec des stratégies différentes. Il serait absurde de chercher à confiner l'activité industrielle de l'un ou de l'autre à l'intérieur de son marché originel; il n'y survivrait pas. Il n'est pas question non plus de nuire à la capacité d'investissement et à la rémunération des actionnaires. La stratégie doit prendre en compte tous ces paramètres.En revanche, il serait tout aussi dangereux de considérer que la mondialisation ne sert qu'à faciliter la délocalisation de productions, sans aucune considération pour l'emploi. En outre, une politique de réduction des coûts ne peut faire office de stratégie industrielle. C'est justement tout le débat d'aujourd'hui en France à propos de la désindustrialisation. G. B. in Slate.fr