La crise a éclaté ouvertement entre le GPRA et l'état-major de l'ALN, bien avant les accords d'Evian. Le 15 juillet 1961, l'état-major général présente sa démission après les pressions exercées par le GPRA pour la libération du pilote français capturé par des éléments de l'ALN dans les frontières est du pays. C'est Bourguiba qui a demandé sa libération au GPRA avant d'imposer un embargo alimentaire et un contrôle aux frontières, obligeant le GPRA à hausser le ton avec l'état-major. Les raison de cette rupture qui a poussé l'état-major à démissionner sont contenues dans le mémorandum de l'EMG. A la lecture de ce document signé par Boumediene, les commandants Azzedine, Slimane, Mendjli, on comprend que l'état-major s'oppose à la politique du GPRA qui, pour les signataires, fait des concessions à Bourguiba qui s'est aligné sur l'Occident, a opté pour une politique «bourgeoise et capitaliste» et est prêt à soutenir les propositions françaises de partition de l'Algérie contre l'annexion d'une partie du Sahara algérien par la Tunisie. Ce différend allait creuser le lit d'une divergence plus profonde : les accords d'Evian. L'état-major s'est opposé aux accords d'Evian, estimant que ces derniers sont d'inspiration impérialiste et néocoloniale. Pour le GPRA, les accords d'Evian sont le compromis nécessaire pour accéder à l'indépendance. Entre ces deux pôles qui se disputent le pouvoir, presque vacant, à la veille de l'indépendance, les wilayas de l'intérieur ont pris position. Après la signature des accords d'Evian et la proclamation du cessez-le-feu, les armées des frontières entrent en Algérie : L'armée de l'est occupe facilement la wilaya I des Aures N'memcha, la wilaya VI du Sahara, alors que l'armée de l'ouest s'installe dans la wilaya V de l'Oranie. Les wilayas II, III et IV restent fidèles au GPRA. Ayant réussi à conquérir aisément l'ouest du pays, les troupes d'Oujda ont tenté d'avancer vers le centre, comptant sur la déconfiture des forces loyales au GPRA. Une résistance farouche a stoppé l'avancée des troupes de Boumediene à Boghari où 1 300 militants des deux côtés sont morts. La première tragédie nationale a commencé ce jour-là et l'enjeu en était le pouvoir. Pourquoi en est-on arrivé là ? Le cessez-le-feu entre frères d'armes n'est intervenu qu'en septembre 1962 après l'un des étés les plus chauds de l'histoire du pays. La crise de l'été 1962 couvait depuis le Congrès de la Soummam dont la tenue et les résolutions n'ont jamais fait l'unanimité au sein du FLN-ALN, du moins en apparence, puisqu'après la liquidation de Abane Ramdane, accusé d'avoir détourné le FLN et exclu les responsables de la Révolution du Congrès, ce sont ceux-là mêmes qui ont fustigé Abane qui ont appliqué les textes du Congrès de la Soummam, notamment dans leurs aspects organisationnels relatifs au FLN et à l'ALN. Les luttes intestines pour le contrôle des instruments du pouvoir aussi bien pendant la guerre de libération qu'après l'indépendance, ont été les facteurs clés et les causes réelles du déchirement du FLN-ALN et dont l'apogée tragique a été vécue entre le 19 mars 1962 et septembre 1962. Le GPRA, affaibli, s'est rendu au congrès de Tripoli pour affronter une force politico-militaire décidée et le destituer. Ben Bella, fort de son aura, a exigé la tenue de la session du CNRA à Tripoli, autrement près de l'Egypte, son soutien actif, pour créer le Bureau politique qui sera l'organe à la fois de légitimité révolutionnaire et du pouvoir. Son discours révolutionnaire, voire marxiste, rompt avec le libéralisme de Benkhedda et le place, de facto, comme unique alternative, aussi bien aux yeux de l'état-major populiste et tiers-mondiste qu'aux yeux d'une population égalitariste après 132 ans de ségrégation et privations.Pourtant, cette option n'était pas viable, tant les groupes qui soutiennent Ben Bella sont hétérogènes idéologiquement et politiquement. Ce constat est d'autant plus pertinent que le FLN n'a jamais été homogène, surtout après 1956, lorsque d'autres courants politiques l'ont intégré, même individuellement. La constituante aurait pu enclencher un début de règlement global aussi bien à la situation immédiate d'après-guerre que pour le devenir de l'Etat, de la nation et de la société. La constituante aurait pu mettre en place un système démocratique qui aurait pu épargner au moins la guerre fratricide entre Algériens au lendemain d'une longue lutte pour l'indépendance. Mais le rapport de force établi en ces six mois d'indépendance en a décidé autrement et jeté les bases d'un autoritarisme qui allait coûter cher au pays, trente ans après l'indépendance. A. G.