Perceptibles dès la fin des années cinquante, les tiraillements entre «compagnons d'armes» s'aiguisent à l'approche de l'indépendance. Piloté de bout en bout par le GPRA, le dossier d'Evian accroît les divisions et aggrave la crise de confiance. Acteur du mouvement national, témoin oculaire de plusieurs épisodes de la crise de l'été 1962, Mohammed Harbi en parle de manière exhaustive. Historien, il est le plus qualifié des acteurs à livrer un regard distancié par rapport aux évènements. Même s'il n'en finit pas de remettre constamment en perspective les séquences du mouvement national, Mohammed Harbi s'est livré, depuis longtemps, à l'analyse des fractures. Dans Le FLN, mirage et réalité (éditions Jeune Afrique, 1985), il passe au crible l'ensemble des luttes internes. Une partie entière y est consacrée aux accords d'Evian et leur part dans les dissensions entre «frères d'armes». Manifeste depuis des mois, le «divorce» entre le GPRA et l'état-major général (EMG dirigé par Boumediène) s'accentue sous l'effet de l'épisode d'Evian.En vérité, l'armée des frontières n'est pas fermement opposée à la négociation avec la France. Manœuvrière, elle cherche à en faire usage en prévision de la lutte pour le pouvoir. L'EMG, note Mohammed Harbi, «sait très bien qu'un compromis est inévitable, mais il veut tirer parti des concessions du GPRA pour le mettre sur la sellette et apparaître comme le seul défenseur des aspirations nationales. Pressé de s'associer aux négociateurs, il se dérobe, mettant le GPRA dans l'obligation de faire appel au colonel Benaouda qui n'a qu'une fonction de figurant, les problèmes militaires étant passés aux yeux de tous au second plan». A la mi-février, quelques jours avant l'ouverture du dernier round d'Evian, le GPRA convoque le Conseil national de la révolution algérienne — CNRA, instance législative décidée par le congrès de la Soummam — pour porter à sa connaissance les bases de l'accord en discussion. Tel qu'il se déroule, le processus n'est pas sans effet sur le fonctionnement des institutions de la Révolution. «La France, explique Harbi, admet l'indépendance de l'Algérie, mais la mutation se fera sans dérogation au principe de la souveraineté français.» Autrement dit, «il n'y aura pas de transfert de pouvoirs du gouvernement français au GPRA comme le souhaitait l'état-major».Outre la proclamation d'un cessez-le-feu, les accords se prononcent sur les modalités de gestion de la période transitoire qui va de la fin des hostilités au référendum d'autodétermination. Cette mission est confiée à un exécutif provisoire. Le CNRA — détenus du château d'Aulnoy compris (Ben Bella, Aït Ahmed, Boudiaf, Khider, Bitat) — donne son assentiment pour les accords. En revanche, les membres de l'EMG s'y opposent. Ils les «rejettent et se refusent à avoir» confiance dans l'imprévisible. En réalité, fait remarquer Mohammed Harbi, «le vote de défiance» de Boumediène et de son état-major «porte moins sur la nécessité d'un compromis que sur son contenu et sur les intentions prêtées au GPRA de vouloir disperser l'ALN». Tout compte fait, l'épisode d'Evian n'est qu'un alibi, un casus belli de plus dans la guerre que se livre l'exécutif de Tunis et les militaires de Gardimaou. En six mois, le conflit latent entre le GPRA et l'EMG est passé «de la divergence sur l'organisation des pouvoirs au désaccord total et les affrontements vont se succéder sans fin jusqu'à la prise du pouvoir».