Boumerdès s'appelait Rocher Noir. Avant de s'imposer comme ville universitaire dans les années soixante-dix, Rocher Noir avait abrité l'exécutif provisoire présidé par Abderrahman Farès. Rocher Noir a été le centre d'un pouvoir formel, une sorte de laboratoire d'essai d'un système où Musulmans et Européens cohabiteraient. Au moment où les dirigeants de la Révolution s'entredéchiraient pour le pouvoir, de Gaulle esquissait, à Paris, des scenarii qui n'avaient aucune prise sur le réel. A Rocher Noir, siégeait un cabinet provisoire fait d'entrisme : d'une part, trois Européens : Roger Roth, vice-président, Jean Mannoni, délégué aux Affaires financières, et Charles Koenig, délégué aux Travaux publics, d'autre part, six musulmans affiliés au FLN : Farès, président, Belaïd Abdeslam, délégué aux Affaires économiques, Chawki Mostafaï, délégué aux Affaires générales, Abderrezak Chentouf, délégué aux Affaire administratives, Boumediène Hamidou, délégué aux Affaires sociales, Mohamed Benteftifa, délégué à la Poste. Quatre autres membres de l'Exécutif sont musulmans mais n'appartiennent officiellement à aucune partie. Cet exécutif n'avait, en fait, aucun pouvoir. Mais le centre de décision effectif n'avait pas encore pris forme. Son devenir se jouait à Tripoli, à Tunis, au Caire et à Tlemcen. Rocher Noir faisait partie du décor superflu et d'une parade trompeuse sans lendemain. Le Gpra, instance exécutive de la Révolution depuis 1958, est en crise depuis la libération des Cinq dirigeants de la Révolution qui ne s'entendaient plus. L'état-major rejetait les accords d'Evian et le Gpra et cherchait une alliance avec Ben Bella dont l'aura en avait déjà fait le leader incontesté de l'Algérie indépendante. Aït Ahmed et Boudiaf, rêveurs et idéalistes, comptaient sur la Constituante pour la naissance de l'Etat algérien démocratique et social. Les clans s'étaient multipliés pour se disputer le pouvoir alors que les Algériens d'est en ouest constituaient un corps unique en communion avec sa liberté retrouvée. Désarmé, Rocher Noir allait assister, impuissant, à la guerre des wilayas qui fit de l'été 1962 l'été le plus chaud de l'Algérie indépendante. A. G.