Reggane n'a pas oublié. Reggane se souvient de ce samedi 13 février 1960. Un samedi noir qui a vu l'explosion de la première bombe atomique française. Ses stigmates indélébiles ont marqué à jamais les 8 000 habitants de cette paisible ville du sud algérien et des régions voisines. L'air, le sol, l'eau, les palmiers… de Reggane racontent encore les affres des dix-sept essais nucléaires subis au début des années 1960. Gerboise bleue, est le premier essai nucléaire français, effectué sous la présidence de Charles de Gaulle. Il a eu lieu à 7h04. La bombe, lancée à partir d'une tour située plus précisément à Hamoudia, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Reggane, avait trois fois l'intensité d'Hiroshima. Les conséquences ? Catastrophiques. Un rapport annuel du CEA (Commissariat de l'Energie Atomique) de 1960 montre l'existence d'une zone contaminée de 150 km de long environ. Le 23 avril 1961, le gouvernement français a ordonné l'opération «Gerboise verte». Suivront après les essais souterrains. Le site choisi, In Ecker se trouve au sud de Reggane, à environ 150 km au nord de Tamanrasset. Les tirs sont réalisés en galeries. Le premier tir a été effectué le 7 novembre 1961. Mais le 1er mai 1962, lors du deuxième essai, un nuage radioactif s'échappe de la galerie de tir. C'est l'accident de Béryl. De novembre 1961 à février 1966, treize tirs en galerie ont été effectués dont quatre n'ont pas été totalement contenus ou confinés (Béryl, Améthyste, Rubis, Jade). Encore aujourd'hui, les traces de ces essais sont visibles. Plus d'un demi-siècle après, les esprits des témoins de ces explosions nucléaires restent marqués par ces événements effrayants. Certains d'entre eux, très jeunes à l'époque, avaient été mobilisés pour travailler sur le lieu. Comme ce hadj, natif de Reggane, qui a raconté comment il a perdu la vue, quelques jours seulement après la Gerboise bleue. «J'ai perdu la vue, comme beaucoup d'autres habitants de la région, et il y a eu à Reggane des maladies qu'on n'avait jamais connues auparavant» a témoigné cette victime sur l'un des quotidiens de la presse nationale. Un autre témoin affirme que sur les lieux, il y avait 6 500 Français et 3 500 Algériens venus de différentes régions qui travaillaient à la construction d'une base. «Fermez les yeux et ne regardez pas le ciel ! Dites-le à vos familles et à vos voisins», ce sont là les instructions données aux «indigènes». Des mots comme seule protection contre la radioactivité ! Depuis cinquante ans, la courbe des personnes atteintes de cancer dans la région ne fait que croître. Près de cent cinquante cas ont été enregistrés, depuis l'an 2000. En plus du cancer, le nombre de personnes aveugles, atteintes de lésions de la peau ou de paralysies partielles revêt des proportions effrayantes. L'impact sur l'environnement est encore plus drastique. Les palmiers dattiers sont devenus stériles. Un appauvrissement de la faune et de la flore, avec la disparition de nombreux reptiles et d'oiseaux, est enregistré. Alors que la région d'El-Hamoudia ne verra pas pousser une plante sur son sol avant les 24 000 ans à venir, la France, au lieu de reconnaître ses erreurs historiques et son passé colonial, persiste à travers ses décisions de tri sélectif des victimes, à nier tout le mal fait en Algérie. La France se trompe en considérant que les victimes de Reggane sont ceux qui ont travaillé sur le site. Les véritables victimes, ce sont les générations futures. Alors, avant de parler de dédommagements, il faudrait d'abord reconnaître le crime et demander pardon. H.Y.