Au bord de la famine pendant des années, le Malawi nourrit aujourd'hui ses voisins et exporte des millions de dollars en maïs. Il a suffi pour cela d'un petit peu d'argent et de beaucoup de courage. Afrique Renouveau examine ce remarquable revirement de la situation de l'agriculture du Malawi et demande à des experts s'il s'agit là d'une solution d'avenir. Après la récente flambée mondiale des prix alimentaires, la recherche de nouveaux moyens d'accroître la production agricole en Afrique et dans d'autres régions a commencé. Les agriculteurs du Malawi pensent qu'ils ont la solution : les engrais. A environ 50 dollars le sac, ceux-ci sont restés pendant des années au-delà de leurs moyens. Mais en 2005, le gouvernement du président Bingu wa Mutharika a entrepris de subventionner l'approvisionnement des petits agriculteurs du Malawi en engrais et en semences à fort rendement. L'année suivante, la récolte de maïs du Malawi a plus que doublé pour atteindre 2,7 millions de tonnes. Elle a encore augmenté en 2007 jusqu'à 3,4 millions de tonnes -suffisamment pour nourrir le pays et en vendre des centaines de milliers de tonnes au Programme alimentaire mondial (PAM) de l'ONU et aux pays voisins. Le pays a même fait don de 10 000 tonnes de maïs au programme alimentaire du PAM destiné aux personnes séropositives. Ce programme de subventions est déjà considéré comme un modèle par d'autres gouvernements africains et par des organisations de développement international.
«Une décision très audacieuse» Mais les subventions aux agriculteurs africains, au Malawi et ailleurs en Afrique, ont rencontré l'opposition des bailleurs de fonds. En 1999, le gouvernement avait lancé un modeste programme de subventions agricoles, mais il allait à l'encontre de la politique de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) qui était de favoriser le marché, et il fut éliminé. La plupart des agriculteurs du Malawi étaient cependant trop pauvres pour obtenir engrais et semences aux prix du commerce et les rendements chutèrent brutalement. Quand l'insuffisance de la récolte 2005 a amené 5 des 13 millions d'habitants du Malawi au bord de la famine, le gouvernement a défié les bailleurs et lancé un programme de subventions sur ses propres fonds. «Attribuer des subventions pour les semences et les engrais en opposition aux objections des partenaires de développement était une décision très audacieuse», note Kanayo Nwanze, vice-président du Fonds international de développement agricole des Nations unies (FIDA). «Mais le gouvernement est resté sur ses positions.»
Echec de politiques Le nouvel accent mis sur l'agriculture familiale et l'indépendance alimentaire marque une nette rupture avec les politiques appliquées dans le passé par les bailleurs de fonds, les institutions financières internationales. Dans le cadre de la politique de libéralisation des marchés et des échanges des années 1980 et 1990, il était conseillé aux gouvernements de ne pas s'occuper de l'agriculture et de laisser place aux investisseurs privés et aux entrepreneurs ruraux. Une analyse des prêts à l'agriculture africaine, effectuée récemment par le groupe d'évaluation indépendante de la Banque mondiale, a cependant noté que ces acteurs avaient échoué à se manifester et que l'agriculture africaine avait au contraire connu un déclin important. Le pourcentage de l'aide au développement destiné à l'agriculture est également tombé de 17 à 3% entre 1980 et 2005.
«Un désastre absolu» Cette subordination exclusive aux mécanismes du marché a eu des résultats désastreux. Exportatrice nette de produits alimentaires dans les années soixante-dix, l'Afrique dépend aujourd'hui lourdement d'importations commerciales et de l'aide alimentaire internationale d'urgence, souligne la FAO. Quelque 42 pays d'Afrique dépendent des importations même dans les années les plus favorables. C'est la seule région du monde où les rendements agricoles à l'hectare ont continué à stagner et où jusqu'à une personne sur trois souffre de malnutrition chronique. «La fin des subventions gouvernementales aux agriculteurs africains, liée aux programmes d'ajustement structurel, a été un désastre absolu», affirme Akin Adesina, vice-président de l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), une initiative de développement rural non gouvernementale. «Les agriculteurs africains sont aujourd'hui à peu près les seuls au monde qui ne reçoivent absolument aucune aide de quelque sorte que ce soit de la part de leurs gouvernements», a-t-il déclaré à Afrique Renouveau, notant que les gouvernements des pays riches versent annuellement plus de 300 milliards de dollars à leurs agriculteurs. Les producteurs agricoles africains «sont abandonnés à leur sort : survivre ou disparaître… Il faut reconnaître que le gouvernement a un rôle à jouer en subventionnant les agriculteurs, poursuit-il. En ce qui concerne les subventions, la clé est de les offrir de manière à toucher les plus pauvres et en même temps de façon à élargir le marché. Nous appelons ça les subventions intelligentes, et nous réclamons des subventions intelligentes pour toute l'Afrique».
Un succès contesté Mais le choc de la flambée mondiale des prix alimentaires et le succès de la politique du Malawi signent-ils la fin des politiques de la «survie ou de la disparition» ? Pas tout à fait. Michael Morris, économiste de la Banque mondiale et spécialiste des subventions agricoles, confirme que les idées de la Banque concernant la petite agriculture et les subventions gouvernementales ont évolué. Mais il affirme que le soutien des gouvernements à l'agriculture familiale devrait être moins important, «plus intelligent» et mieux ciblé que par le passé. Avec son programme de subventions, «le gouvernement du Malawi fait de nombreuses choses correctement», déclare-t-il à Afrique Renouveau. Cependant, «c'est un fait que nous avons des désaccords au niveau tactique». M. Morris estime que ces subventions aux engrais absorbent aujourd'hui 60% du budget de l'agriculture du Malawi. «C'est énorme. Il y a beaucoup d'autres choses -services de vulgarisation, irrigation, recherche- qui sont négligées en conséquence. Il nous faut réfléchir à d'autres possibilités et à d'autres options. Nous devons choisir nos points d'intervention.» M. Morris affirme également que les programmes de subventions sont souvent mal gérés et sensibles à la corruption. «Ce qui a changé est la reconnaissance que tout simplement sur le terrain les choses ne bougeaient pas. Le secteur privé ne jouait pas son rôle.» Le président Mutharika campe cependant fermement sur ses positions. Dans un message aux Nations unies, il a demandé un soutien accru à l'agriculture africaine et a ajouté : «Les parties concernées comme la Banque mondiale… ne devraient pas continuer à penser qu'elles possèdent toutes les solutions à Washington. Elles devraient écouter les responsables locaux et en tirer les enseignements.» M. F. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU