Photo : M. Hacène Entretien réalisé par Amar Rafa La Tribune : Le Front du changement entrera bientôt dans les élections législatives, où en sont les préparatifs ? Abdelmadjid Menasra : Nous en sommes actuellement à la première étape, essentielle, qu'est le dépôt des candidatures. Nous avons pu, en dépit du manque de temps, puisque le Front du changement n'a été agréé que le 28 février, déposer des dossiers de candidatures dans toutes les wilayas, en plus d'une liste dans le nord de la France. Tout cela avec les efforts de beaucoup de militants pour le classement dans les structures des wilayas. Et maintenant que cela ait réussi, nous entrons dans le côté pratique, notamment la campagne électorale, pour laquelle nous avons préparé notre programme électoral que nous présenterons aux électeurs algériens. Nous sommes arrivés également à définir certaines priorités. Nous avons choisi le slogan «Le peuple veut le changement», que nous avons pris chez les Algériens. Car, si tu interroges le peuple, il te dira : Nous voulons qu'il y ait changement des institutions, des têtes et des politiques et programmes, et de la situation en général. L'idée commune à tous, c'est qu'il y ait un changement dans le pays. Cependant, le changement auquel nous tenons et œuvrons pour sa concrétisation est le changement pacifique, démocratique, par les Algériens, à travers les élections. Les Algériens pourront changer la situation, à travers le comportement électoral, non pas en poussant les gens à désespérer des élections. Parce que quand on ferme la porte de la démocratie et des élections, on ouvre la voie à l'inconnu. Nous avons entamé la tenue de meetings dans les wilayas, puisque nous sommes un nouveau parti, nous avons besoin de le faire connaître. A titre d'exemple, à Alger, on choisit à chaque fois une commune, notamment, les Eucalyptus hier, Mahelma aujourd'hui (jeudi) et la semaine prochaine El-Mouradia, et d'autres.
Pour votre premier contact avec les gens, avez-vous rencontré des difficultés en tant que nouveau parti? Et lesquelles ? Notre première difficulté est le manque de temps. Parce que vous ne pouvez pas en deux mois avant les élections, tenir un congrès, mettre en place des structures, ouvrir des locaux, constituer des listes pour entrer aux élections. C'est l'administration qui a choisi de ne pas ouvrir la porte d'agrément des partis et la liberté de constituer des partis avant ce délai. Si elle l'avait fait avant, cela aurait été meilleur pour la démocratie et la compétition, et les partis auraient été mieux préparés. Mais l'administration a choisi de ne pas donner l'occasion aux nouvelles formations de concurrencer sur un pied d'égalité les anciennes. Mais en dépit de cela, nous n'avons pas flanché, et décidé de rattraper ce retard en fournissant plus d'efforts. Parce que nous ne voulons pas que le peuple rejette la démocratie, pour dire que les élections n'apporteront rien. Nous ne voulons pas que les Algériens désespèrent de la démocratie, de pouvoir arriver au changement, à travers les élections.
Et quel sera votre apport dans la sensibilisation des Algériens pour qu'ils aillent voter le 10 mai prochain ? Il n'est pas de notre rôle de convaincre le peuple d'aller voter, mais de le convaincre de notre programme et de nos idées. C'est à l'Etat de le faire. Pour ce faire, il doit démontrer que les élections seront propres et honnêtes, non pas à travers les paroles. Le peuple quand il saura que sa voix sera respectée et qu'il changera réellement le Parlement et le gouvernement, il ira certainement voter. Mais, en sachant que sa voix n'aura pas de sens, et que les élections seront truquées, il n'ira pas. Donc, celui qui voudra régler ce problème, il n'aura qu'à lutter contre la fraude.
Il y a eu, dans ce sens, les garanties présentées par le président de la République. Nous avons bien accueilli ces garanties. Dans le discours, elles sont bonnes, mais insuffisantes, parce qu'elles ont besoin d'être concrétisées. Dans ce sens, nous avons demandé une copie du fichier électoral. Tout le monde sait qu'il contient des chiffres en plus, notamment des morts, des noms qui se répètent. Le doute ne peut être chassé que par des certitudes, lorsque les listes seront remises aux partis, aux commissions de surveillance et aux observateurs internationaux, aux fins d'enquêter, et de les assainir de tous les noms en plus. Si vous avez trois millions de noms en plus, vous ne pouvez avoir des élections propres. Parmi les prémices de fraude aussi, il y a le bulletin de vote. Les partis ayant exprimé leurs avis ont revendiqué l'établissement d'un bulletin de vote unique, qui comporte les initiales en lettres latines du nom, logo et numéro du parti. Mais le ministère de l'Intérieur a refusé cela. Nous avons demandé deux choses qui n'ont pas été satisfaites. C'est pour cela que nous réclamons des garanties sur le terrain. Car, ce n'est qu'après les élections qu'on se rend compte que les élections ont été entachées de fraude. D'ailleurs, le président de la République, lui-même, a reconnu qu'il y en a eu par le passé. Et la troisième, concerne les éléments de l'ANP. La loi stipule que l'inscription sur les listes électorales est d'abord individuelle. Or à Tindouf, on a ramené une liste de 30 000 éléments, à inscrire en une seule fois. L'inscription a été faite hors délai, soit le 21 février. C'est la troisième infraction. Donc, il y a des prémices de fraude. La commission n'est pas écoutée, donc, que surveille-t-elle ? Nous menons un combat avec d'autres pour que les prochaines élections soient libres. Les partis préparent un projet de communiqué commun, où ils font des demandes concrètes, au sujet des élections, pour permettre à la commission indépendante d'accomplir convenablement sa mission, susceptible d'assurer la régularité des élections.
Concernant le phénomène de la «ch'kara», certains partis revendiquent un financement de l'Etat pour barrer le chemin à la corruption, d'une part, et aux financements extérieurs, d'autre part. Qu'en pensez-vous ? Il n'est pas obligatoire que le gouvernement finance la campagne électorale. La loi le permet, mais l'Etat n'est pas tenu de le faire. Nous n'insistons pas sur ce point. Si l'Etat ne finance pas, cela ne relève pas de nos principales revendications. Si quelqu'un veut entrer aux élections, il doit être capable d'en assumer les frais. De plus, l'on ne doit pas verser dans le gaspillage, comme c'est le cas de certains partis.
Mais cela a constitué aussi une entrave à certains partis, pour présenter des candidats dans toutes les wilayas… Que le parti qui n'est pas en mesure de le faire ne rentre pas.
Cela n'a pas été le cas pour vous ? Non, pas à ce degré, parce que nous n'envisageons pas de faire de grosses dépenses. Nous avons fait appel, aux poches des militants et candidats, et nous pouvons nous prendre en charge, en évitant le gaspillage, pour nous limiter au strict nécessaire : affiches, dépliants, etc. Contrairement aux partis qui organisent des grosses fêtes et de fastueux dîners ou achètent leurs candidats, etc. Un parti a même réclamé à ses futurs candidats de contribuer, avec des sommes précises, selon un barème bien défini, au financement de la campagne électorale. Cela est une affaire interne au parti, que la loi n'interdit pas. Il y a une différence entre le candidat qui achète sa candidature et celui qui contribue au budget de campagne du parti.
Autre sujet. Vous avez indiqué, lors d'une conférence de presse, que vous avez intégré dans vos listes de candidatures certains cadres du FIS dissous, qui sont-ils ? J'ai dit auparavant que le Front du changement est ouvert à tous les Algériens. Y compris des militants de l'ex-FIS, qui sont des Algériens au même titre que les autres. Certains ont considéré cela comme une infraction à la loi, alors qu'elle ne l'est pas. La loi interdit, en effet, aux cadres du FIS de fonder un parti ou de le diriger, mais leur permet d'être des militants d'un parti. Pour cela, nous réitérons que le Front du changement est ouvert à tous les Algériens, qui sont convaincus du changement pacifique et démocratique.
Y a-t-il des statistiques précises sur leur nombre ? Ce n'est pas important pour nous de présenter des statistiques. Mais nous n'avons pas d'anciens dirigeants du FIS dans notre parti. Des dirigeants du parti en question ont appelé au boycott des élections.Ce ne sont pas tous qui l'ont fait. Certains ont appelé à la participation, et d'autres se sont tus ; ils ne constituent pas un parti au sens de l'organisation et des instances. Non, ce sont des individus aux avis différents. Chacun est libre de sa position politique ; toutefois, il ne doit pas porter atteinte au pays.
Pourtant, plusieurs partis lorgnent du côté de cette base. Qu'en est-il de votre parti ? Il est faux de croire qu'il y a une grande base du FIS, mais des Algériens comme tous les autres. En principe, dans notre programme, nous défendons tous les Algériens qui doivent avoir des droits. Mais de là à parler d'une grande base, cela est irréel. C'est vrai qu'il avait des sympathisants, mais ils ne constituaient pas la majorité des Algériens. Sur les 22 millions d'électeurs en 1991, à peine 3 millions d'entre eux ont voté pour le FIS. En plus, ceux qui ont voté pour ce parti n'étaient pas tous ses militants, combien en étaient-ils, 100 000 ? Donc, notre discours n'est pas dirigé vers une catégorie spécifique, mais à l'ensemble de l'électorat.
A votre avis, quelles sont les chances du courant islamiste de gagner les prochaines élections législatives? Le courant islamiste a beaucoup de chances de remporter la première place. Que ce soit le cas d'un seul parti ou d'un groupe, mais ses chances sont réelles. Et l'Algérie ne fera pas exception à la cartographie politique de la région. Il n'y a pas de doute qu'il y a des options islamistes chez les Algériens, mais ils n'opteront pas pour l'unicité, elles sont multiples, pour un Parlement pluriel.
Surtout que la loi électorale le prédestine à l'émiettement… Le système à la proportionnelle n'encourage pas la dominance d'un seul parti. La présence de six ou sept partis au Parlement empêche la domination et le monopole, et même l'opposition n'aura rien à craindre pour ses droits. Celui qui gagnera ne doit pas suspendre les droits de l'opposition.
Supposons que vous aurez la majorité, quel sera le traitement réservé aux minorités politiques ? Quelle qu'en sera notre position, les principes que nous appliquerons auront trait à la liberté dans tous les domaines, la liberté d'expression, de réflexion et d'agir en matière politique, syndicale et de communication. Nous allons respecter les minorités qu'elles soient religieuses, politiques, ethniques ou idéologiques, et les laisser exercer leur droit dans le cadre de la Constitution algérienne. Parce qu'un jour la majorité pourra devenir une minorité et vice-versa. En démocratie, un peuple peut sanctionner un parti ou un groupe de partis en votant contre. Nous n'avons aucun préjugé négatif sur aucun parti, qu'il soit laïc ou autre minorité.
Appliqueriez-vous la charia ? La charia islamique est appliquée à 80% en Algérie. Comme si que vous voulez parler de choses nouvelles. Par exemple, le vol est illicite. La loi algérienne le punit, tout autant que la corruption. Mais chaque chose en son temps. Pour nous, il y a d'autres priorités, comme celle de régler la question du chômage, celle du logement. Même certaines dispositions de la charia ne sont pas applicables, comme celle se rapportant au vol. Car, vous volez lorsqu'il n'y a pas d'équité dans la société, les gens n'accèdent pas à leurs droits. Pour la sentence, il faut d'abord lever l'injustice et la hogra, et s'il reste encore un voleur, il doit être malade mais pas nécessiteux. Et pour ne pas tromper les gens, et leur faire peur de l'islam, il faut rappeler que l'islam est une religion de miséricorde et qui donne aux gens leurs droits, et insiste pour empêcher les maux. Et avant de punir le petit voleur, il faut d'abord poursuivre les plus grands voleurs. Il faut une justice pour préserver l'intérêt des gens.
Dans une conférence de presse, vous avez proposé une augmentation du SNMG à 30 000 DA… Toute proposition en faveur des salariés et des catégories vulnérables, on la soutient. On considère que les potentialités du pays permettent de relever ce salaire, en plus du fait que le pouvoir d'achat est faible, et est à renforcer en vue de dépasser les crises.
Peut-on avoir les grandes lignes de votre programme économique ? Notre programme est basé sur une analyse de la situation économique du pays qui vit une crise. Une crise de développement, qui fait qu'il n'y a pas de développement économique réel, en dépit de la disponibilité de sommes faramineuses d'investissements publics. C'est que l'investissement public ne peut, à lui seul, créer le développement, au moment où il y a eu des entraves ou du recul sur certaines mesures d'encouragement au profit de l'investissement privé. L'économie algérienne est restée monoexportatrice, d'une seule ressource, à savoir les hydrocarbures. L'unicité de l'économie et l'unicité de la politique ont fait que ces sommes colossales ne créent pas le développement. C'est sur la base de cette analyse que la nécessité d'encourager l'investissement privé, national ou étranger est notre priorité. A comprendre des mesures incitatives en matière fiscale, des facilités bancaires et foncières, en direction de l'environnement de l'entreprise. En sus aussi la suppression d'autres mesures, ayant freiné l'investissement étranger, notamment la règle 51/49 %. Cette mesure avait poussé au départ des investisseurs et découragé ceux qui voulaient s'installer dans le pays, sous prétexte qu'elle était destinée à préserver l'économie nationale, mais ce n'est pas vrai. Avec cette situation, on a encouragé l'importation, dont le volume a augmenté, aux dépens de la production et de l'exportation. Celui qui veut réellement préserver l'économie nationale, qu'il encourage l'investissement non pas commercial, mais productif, notamment dans les technologies, l'agriculture et l'industrie. On accuse les investisseurs étrangers de venir gagner de l'argent et de le transférer à l'étranger, il est normal qu'ils transfèrent leur argent. Comment veut-on qu'un investisseur vienne injecter son argent, pour partir et le laisser? C'est une logique bizarre chez certains. Nous encourageons également toute production de substitution à l'importation, afin d'en réduire la facture. Le Front du changement propose, également, dans son programme, la réévaluation du dinar par rapport aux devises étrangères, de façon à ce que les 10 DA actuels deviennent 1 DA. Car sa valeur a chuté sur le marché.
Qu'en est-il de votre programme politique ? Qu'est-ce qui vous différencie du MSP par exemple ? L'important n'est pas ce qui nous différencie d'un autre parti, nous avons notre programme et aux électeurs de trancher. Côté politique, nous proposons une réforme constitutionnelle, notamment d'instituer une IIe République, un régime parlementaire, que le chef du gouvernement soit désigné au sein du parti vainqueur et le gouvernement constitué par la majorité parlementaire, suivant ce que le peuple décidera. En plus de l'indépendance totale de la justice vis-à-vis de l'exécutif, que le président de la République ne désigne plus le CSM, qui sera désigné par les magistrats, pour qu'il ne soit plus le premier magistrat du pays. L'indépendance du pouvoir législatif, qui ne doit plus légiférer par ordonnance. Parce que si le président de la République est en même temps le magistrat, le législateur, le ministre de la Défense, là on a porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, tel que le prévoit le système démocratique et républicain.
La mission dévolue au prochain Parlement est justement de préparer une nouvelle Constitution. On aurait aimé que la réforme constitutionnelle intervienne avant les élections législatives ; mais maintenant, on estime que le Parlement pourra instituer une commission pour étudier la question, dans la logique de la réforme, pour sortir avec un projet de Constitution sur une base consensuelle. Ce projet sera soumis à referendum populaire.
La loi électorale à la proportionnelle impose le recours à des alliances entre partis, mais vous avez récusé celui de l'alliance verte. Avec qui allez-vous vous allier ? Au contraire, la proportionnelle n'encourage par les alliances pré-électorales. Parce que depuis 1997, en quatre élections, il n'y en a pas eu. Si des partis font des alliances, c'est pour d'autres calculs qu'ils le font. Ces trois partis nous ont fait l'offre dans ce sens, mais on n'est pas concernés par cette alliance. On n'en voit pas l'intérêt, ni pour nous ni pour l'Algérie. Ce n'est qu'après les élections que cela devient nécessaire. Non pas suivant la logique idéologique mais électorale. Nous sommes ouverts à tous les partis sans exclusive, en fonction des résultats et des catégories politiques que dégageront les élections.
Le mot de la fin ? Que le 10 mai soit une fête démocratique, inch'Allah. Que le peuple puisse exprimer librement son avis, pour fermer toutes les portes du mal et de l'anarchie. Quel qu'en soit le vainqueur. L'Algérie n'en sera que plus forte.