La rencontre entre Zohra Drif, la poseuse de bombe du Milk Bar, et Danielle Michel-Chich, une de ses victimes, était attendue. Mais la confrontation n'a pas tenu ses promesses, Zohra Drif se contentant d'expliquer que c'est l'Etat français qu'elle visait…A peine entrée sur scène, Zohra Drif s'attire déjà les foudres du public : «Vous êtes une criminelle de guerre ! Vous avez tué des enfants !». Face à ces accusations, elle reste de marbre, sans doute habituée. Pour ne pas trahir sa pensée, l'ancienne militante pour l'indépendance choisit de lire son texte comme un discours bien rôdé. La salle plonge alors dans le silence, dans l'attente d'excuses qui ne viendront jamais : «Nous avons pris les armes pour combattre un système. Ce genre de système ne vous laisse d'autre choix que de mourir pour vivre dans votre pays.» Zohra Drif est née en 1938 dans une Algérie alors considérée comme française. Pendant ses études, elle découvre les grands philosophes qui l'amènent à s'interroger sur la condition de son propre pays. Convaincue que «les Algériens méritent plus qu'un simple statut de sujet», elle s'engage dans la lutte pour l'indépendance et rejoint le «Réseau des bombes», en cheville avec le Front de libération nationale (FLN). Pour une cause qu'elle considère encore aujourd'hui comme juste, elle va jusqu'à poser une bombe dans un bar fréquenté par les Pieds-Noirs. Et tue. Pourtant Zohra Drif, aujourd'hui, persiste et signe. Et même minimise : «J'ai posé une petite bombinette» ! La salle reste sous le choc de cette déclaration. Bernard-Henri Lévy, qui débattait avec elle, ne manque pas de l'interpeller : «La cause pour laquelle vous vous êtes battue est une cause juste. Mais il arrive que des causes justes soient défendues par des actes injustes». Zohra Drif ne se décontenance pas, elle décrit alors les exactions qu'elle a vues de ses propres yeux, des horreurs qui justifieraient son acte : «Nous étions en guerre, et non dans des confrontations personnelles, c'était une tourmente qui a dépassé nos deux pays.» Confrontée aux questions de la salle, Zohra Drif demeure d'une froideur déconcertante. Sans doute se protège-t-elle derrière des réponses qu'elle assène depuis des années. Car comment pourrait-elle renier cet acte ? Ce serait renier le système auquel elle adhère depuis sa jeunesse. Et même lorsque Danielle Michel-Chich, une de ses victimes de l'attentat du Milk Bar, l'interroge sur la légitimité de son geste, Zohra Drif se contente de répondre : «Ce n'est pas à moi qu'il faut vous adresser, c'est à l'Etat français qui est venu asservir mon pays.» A la sortie de la conférence, les deux femmes se sont croisées. Zohra Drif a détourné la tête pour ne pas avoir à croiser son regard… P. C.-L. C. In Marianne du 2 avril 2012