Vue d'Alger, la question peut paraître provocatrice, subversive même. Mais elle n'est plus une simple hypothèse d'école. Depuis le contrôle du Nord-Mali par la rébellion touarègue, le pays est scindé en deux et le risque de sa partition, jugé hier encore fantasmatique, prend corps. On n'est plus au stade des conjectures, mais à une phase de risque géostratégique. Le danger de scission est d'autant plus sérieux que le Mnla, le Mouvement national de libération de l'Azawag (Azawad), né en octobre 2011 d'une fusion de fractions rebelles de diverses obédiences, est un mouvement irrédentiste berbère et indépendantiste. D'ailleurs, il ne revendique plus le développement et l'intégration mais l'autodétermination et l'indépendance. Il ne parle plus de rébellion mais de «mouvement révolutionnaire» pour «libérer le peuple de l'Azawag de l'occupation malienne». Voir émerger un jour un Etat de l'Azawed libre est désormais une probabilité assez élevée. L'éventualité est d'autant plus forte que l'Etat malien est une coquille administrative vide. Vacuité amplifiée par l'existence d'une très faible armée de moins de 8 000 hommes. La faiblesse structurelle et matérielle de l'Etat et l'anémie de l'armée sont à apprécier par rapport à un pays de 1 241 238 km⊃2; et de 15 millions d'habitants. Au rachitisme de l'Etat, répond l'extrême modestie des moyens d'une armée démotivée et désorganisée. Pas difficile de comprendre dans ces conditions la fulgurante victoire militaire des rebelles qui ont pris le contrôle du Nord en trois jours. Il est tout aussi aisé d'observer au miroir de la blitzkrieg touarègue, le foudroyant effondrement de l'armée malienne. L'hypothèse d'un Etat Azawad est dans ce contexte renforcée par les craintes de déstabilisation de toute la zone sahélo-saharienne, conséquence d'un éventuel effondrement du pouvoir central à Bamako. Le désordre malien trouve aussi ses racines dans une mosaïque d'acteurs locaux et régionaux. A Bamako, le président Touré, écarté de la scène politique et, jusqu'ici, discret sur ses intentions, ne semble pas irrémédiablement condamné au silence. Il représenterait encore la légalité constitutionnelle, appuyée par la communauté internationale, l'Union africaine et la Cédéao, dont le Mali est membre. Sur le même théâtre, il y a la junte militaire, représentée par le Cnrdre, le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat, soumis aux fortes pressions externes et impuissant face aux rebelles. Dans le Nord libéré, on pointe un assemblage de groupes politiques et paramilitaires, hétérogènes et antinomiques. En la circonstance, des alliés objectifs ou conjoncturels dans un champ de guerre où les connexions d'intérêts politiques et financiers favorisent la porosité entre organisations indépendantistes, religieuses ou mafieuses. Il y a notamment le Mnla, constitué par le Mouvement national de l'Azawag (créé en novembre 2010) et le Mtnm, le Mouvement touareg du Nord-Mali, responsable des rébellions des années 2006-2009. Deux organisations rejointes par Ansar Eddine, avatar salafiste armé du MPA, le Mouvement populaire de l'Azawag, fondé par Mahmoud Ag-Ghali, actuel président du bureau politique du Mnla. Outre Ansar Eddine, le Mujao, le Mouvement unicité et djihad en Afrique de l'Ouest, est le second visage salafiste radicalisé de la rébellion. Ces mouvements, même si le Mnla s'en défend, subissent l'influence ou les interférences d'Aqmi, matrice originelle du Mujao et modèle d'attraction idéologique pour nombre d'activistes d'Ansar Eddine. Les spécialistes supposent que le nigérian Boko Haram est l'autre astre fondamentaliste de cette galaxie radicale où, sur le terrain, les protagonistes sont côte-à-côte sans pour autant marcher main dans la main. La multiplication des intervenants dans la sphère sahélo-saharienne et l'accélération de l'Histoire dans une région crisogène, sont des manifestations tangibles de la géopolitique sahélienne post-Kadhafi. La disparition de la Jamahiriya a en effet donné aux mouvements irrédentistes, terroristes et mafieux, des opportunités exceptionnelles. Comme en témoigne la présence dans le conflit armé d'une cinquième colonne militaire formée par les ex-légionnaires touareg de l'armée libyenne. Sa figure de proue, Mohamed Ag-Nadjem, ancien colonel de cette armée, caserné alors à Sebha et, aujourd'hui, chef d'état-major du Mnla. Le bouleversement politique libyen a ainsi créé une nouvelle définition géostratégique régionale dans un vaste arc de crise, à proximité de trois autres foyers de déstabilisation. Dans le Nord du Nigeria avec Boko Haram. Au Sahara-Nord, avec Aqmi. Et dans la zone des confins algéro-maroco-mauritaniens, avec le Polisario. Dans cette immense zone de convoitise économique (pétrole, uranium, fer, phosphate, or), un Etat Azawad est donc une idée à considérer. La charte de l'Union africaine, qui sacralise le principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation, n'est pas en soi un frein puissant à son émergence. La partition du Mali est tout aussi possible que celle, accomplie, du Soudan qui compte deux sièges à l'Union africaine. Pour rappel, l'idée indépendantiste touarègue n'est pas née avec le Mlna. La première révolte des Touareg éclate en 1916 au Niger. Au Mali voisin, les révoltes se sont multipliées depuis 1962, deux ans après la fin de la colonisation. Après les indépendances, les chefs touareg, réunis à Kidal, avaient demandé à la France de ne pas les rattacher aux futurs Etats qui allaient les marginaliser ou les humilier. Le Mnla est aujourd'hui la goupille de la grenade Azawad, longtemps neutralisée. N. K.