La pomme de terre fait parler d'elle ces jours-ci en Algérie. Elle écrase tous les autres sujets d'actualité, prédomine dans les discussions et occupe les unes des journaux. C'est le buzz parfait. Les passionnants débats sur le cinquantenaire de la Révolution algérienne, la précampagne électorale pour les législatives et le déchaînement de violence dans les stades passent au second plan. La patate s'impose en thème favori du chroniqueur, du caricaturiste et du citoyen lambda. Depuis la vague de froid de janvier dernier, le cours de la pomme de terre sur les étals des marchés reste plafonné à 100 dinars le kilogramme. Dans certains marchés, fréquentés par de grandes bourses, ce produit de base affiche allègrement les 120 dinars. Bien avant janvier, son prix oscillait entre 40 et 50 dinars. Etant de grands amateurs de frites et purée, les Algériens dénoncent à l'unanimité cette flambée inexpliquée de la mercuriale. Au tout début de cette fièvre, les marchands justifiaient la hausse progressive des produits maraîchers par les mauvaises conditions de récolte en raison des importantes chutes de neige enregistrées sur toute la partie nord du pays. Le consommateur avait alors, de bon gré, accepté de contribuer à la corvée. Mais les neiges ont fondu depuis et le niveau d'eau a baissé sous les ponts. Entre-temps, le printemps s'est bien installé et les conditions de cueillette se sont nettement améliorées. A posteriori, cette justification ne tient plus la route. Les ministères de l'Agriculture et du Commerce s'astreignant à un silence énigmatique, hésitent encore pour éclairer la lanterne des ménagères. Le recul de l'offre est-il la conséquence d'une baisse catastrophique de production ? Est-ce le résultat d'une forte spéculation ? Dans les deux cas, qu'attend-on pour réguler le marché ? Toutes ces questions restent sans réponses. Ce mystérieux mutisme des pouvoirs publics ouvre la voie à toutes sortes de supputations. Saisissant la balle au bond, des candidats islamistes aux élections législatives s'engagent à nous débarrasser définitivement de ces fluctuations inopportunes de la mercuriale. «Si notre alliance accède au pouvoir, nous fixerons le prix de la sardine à 35 dinars, le prix des lentilles à 60 DA…», indique le chef d'El Islah, Hamlaoui Akkouchi, s'exprimant au nom de l'Alliance Verte qui regroupe aussi le MSP et En-Nahda. Une sinistre promesse qui rappelle, curieusement, la campagne de l'ex-FIS lors des législatives de 1991. Le parti dissous avait, pour rappel, promis des patates à 3 DA, alors que leur prix réel sur le marché était fixé à 15DA. S'il est vrai que les Algériens n'avalent plus de pareilles «couleuvres», on constate,paradoxalement, que les islamistes croient toujours qu'un tel «truc» puisse encore fonctionner et que les pouvoirs publics, exactement comme en 1991, n'ont presque aucune prise sur le marché des produits de large consommation. On a recensé cette année 765 sites tolérés de commerce informel à l'échelle nationale, totalisant plus de 61 000 intervenants. Des chiffres alarmants qui restent cependant en deçà de la réalité du marché parallèle. De là à parler de régulation, il y a loin de la coupe aux lèvres. En somme, tant que la patate fait ainsi des siennes, il ne serait pas aisé de convaincre le simple citoyen, livré pieds et poings liés au bon vouloir des spéculateurs, de quoi que ce soit. Cette triste histoire de patate, qui perdure depuis 1991 à ce jour, sape profondément le moral et la confiance de tous les citoyens. K. A.