Le 19 mars dernier, les Editions Barzakh ont lancé un véritable pavé dans la mare avec la publication du Choix de l'Algérie, deux voix, une mémoire de Pierre et Claudine Chaulet. Au moment où des voix négationnistes montent de plus en plus au créneau pour délégitimer le combat du peuple algérien pour se libérer du joug de 132 d'un colonialisme dont les affres sont visibles jusqu'au jour d‘aujourd'hui, l'ouvrage, de près de 500 pages de Pierre et Claudine Chaulet, est un véritable camouflet aux nostalgiques de l'Algérie française, grâce au témoignage du combat de ces deux algériens pour la justice et la dignité de leur peuple. Un combat qui continue aujourd'hui au-delà des tumultes de l'histoire pour que les nouvelles générations puissent relever le défi de poursuivre la construction d'«une Algérie de justice et de liberté, de toutes les libertés». Un couple fidèle au principe de la révolution algérienne Le ton de l'ouvrage est donné dès la préface signée par Rédha Malek où il souligne «L'itinéraire des Chaulet est, d'une certaine manière, le reflet fidèle d'une révolution à laquelle ils ont participé de bout en bout. Une révolution inachevée certes, mais dont les idéaux et les principes sont indestructibles »Dans cet ouvrage, le couple, dont l'amour a vibré aux rythmes de sa passion viscérale pour l'Algérie, convie les lecteurs à découvrir son parcours de vie marquée par la grande histoire de l'Algérie à laquelle ils est indéniablement lié pour le meilleur et parfois pour le pire. Pierre et Claudine Chaulet expliquent comment et pourquoi, à partir de leurs éducations respectives, de leur engagement personnel et des rencontres qu'ils ont faites, ils se sont voulus algériens par choix, participant dès son début à la lutte de libération nationale, puis aux tâches d'édification nationale après l'indépendance.Cet ouvrage très riche en détails de nom, de lieux et d'événements qui ont marqué l'histoire de l'Algérie ces cinquante dernières années est constitué en fait d'un recueil de cinq livres intitulés : Deux jeunesses parallèles 1930-54, L'engagement 1955-62, Dans l'Algérie indépendante 1962-94, l'exil 1994-1999, A Alger, depuis 1999. Dans le premier livre, les lecteurs découvriront la jeunesse et le contexte familial et sociologique dans lesquels ils ont baignés et dont ils se sont imprégnés des valeurs de justice et de liberté qui les ont amenés inéluctablement à prendre conscience de la situation en Algérie, «à cause de ce qu'il faut changer, radicalement : le mépris et l'humiliation de l'homme, les bidonvilles d'Alger…» Même la rencontre du couple Chaulet est marquée par l'histoire de la lutte de la libération nationale. En effet, c'est le 21 novembre 1954 que Pierre Chaulet fait la connaissance de Claudine Guillot chez le professeur André Mandouze, où, avec un ami, il avait amené, dans l'urgence, Abdelhamid Mehri et Salah Louanchi dont la planque était grillée. A propos de leur participation à la lutte de la libération, Claudine Chaulet souligne dans le livre : «Notre participation à la lutte de libération a commencé par des activités relativement anodines, en particulier pour Pierre, par des soins médicaux. Avec le temps, elle s'est étendue au transport de militants et de responsables que nous avions auparavant hébergés» quant à Pierre Chaulet, il confie : «En liaison avec Lakhdar Rebbah et Brahim Chergui, je participe à la formation d'étudiants grévistes aux tâches d'infirmiers de guerre (les étudiants algériens, répondant à l'appel de l'Ugema le 19 juin 1956, ont déserté les bancs de l'Université). Je dispose de fiches techniques établies en 1955, à Oran, par le Docteur Nekkache (futur ministre de la Santé de l'Algérie indépendante), transmises par l'Organisation».Il a, également, organisé plusieurs sessions de formation accélérée, destinées à des étudiants ou lycéens grévistes, dans des locaux variés et improbables : appartements prêtés, aux Tagarins ou près de la rue Hoche ; salle de réunions située derrière l'église d'El Biar (avec l'accord du curé, Alfred Desrousseaux, ami de longue date). C'est ainsi qu'ils feront la connaissance, notamment, de Djamila Bouhired et Zohra Drif. Il est intéressant d'attirer l'attention des lecteurs sur les passages qui relatent le courage de pierre Chaulet lors de son arrestation par la DST et celui de Claudine qui au même moment sauvera Abane Ramdane des mains des parachutistes français.
Algériens à part entière et non pas «amis de l'Algérie» Le couple Chaulet ne cesse de préciser et de revendiquer son «algérianité» a maintes reprises dans l'ouvrage, refusant d'être assimilé a «des amis de l'Algérie» ou à des «français militants du FLN» mais à des Algériens à part entière. Ainsi, on découvre dans le livre qu' «En juillet 1963, en vertus de l'article 8 du tout nouveau code de la nationalité algérienne adopté par l'assemblée constituante, malgré une certaine opposition ou réticence, la nationalité algérienne nous est reconnue à tous les deux ‘' pour participation à la lutte de la libération nationale''. Plus tard, lorsque nous irons voir Mohamed Bedjaoui, ministre de la Justice, pour lui signaler le cas de nos enfants déjà nés (le cas n'a pas été prévu). Il nous a répondu, vous ferez jurisprudence». Ce combats pour la justice et la liberté, les Chaulet l'ont poursuivi même après l'indépendance parce qu'il fallait reconstruire l'Algérie qui était à néant après le départ du colonialisme. Une tâche à laquelle s'attellera chacun dans sa spécialité avec tout l'amour qu'il porte à cette terre et à son peuple. Au-delà des grands projets révolutionnaires de l'Algérie indépendante auxquels ils ont participé, le combat pour une Algérie moderne se poursuit même dans les actes les plus anodins de la vie quotidienne. Citons, à cet effet, le passage où ils soulignent «Avec l'espoir (déçu) que l'avancée des filles dans leurs études leur donnerait plus de liberté pratique, nous faisons le choix d'acheter pour notre fille Anne une mobylette, un de ces nouveaux modèles orange qui commençaient à sortir de l'usine de Guelma. Eve aura la sienne.» Les années 1990 seront marquées par un douloureux exil, car il était sur la liste macabre des terroristes. Le livre consacré à ces sombres années reflète certes l'incompréhension et le doute, par l'égrènement de la longue liste des assassinats d'intellectuel et des massacres commis en Algérie mais aussi l'espoir que l'Algérie restera debout au-delà de la folie des intégristes. Un espoir qui les aidera à tenir dans leur exil forcé et qui se concrétisera avec le retour en terre algérienne où ils mèneront un nouveau combat, celui de lutter contre l'oubli et transmettre les valeurs qui les ont guidés tout au long de leur vie.
La transmission : l'ultime combat Un combat mené afin de donner de l'espoir aux nouvelles générations de croire en un avenir possible en Algérie au-delà de tous les problèmes qui puissent la gangrener et de toutes les formes d'instabilité créées par des mains étrangères ou internes. Le couple affirme à ce sujet : «C'est aussi pour toutes ces raisons que nous avons décidé d'écrire ce que nous savons et avons vécus, afin de contribuer à l'enrichissement de la mémoire collective et peut-être aussi, modestement, stimuler l'intelligence collective.» En conclusion, ils estiment : «A la place où nous étions pendant ce demi-siècle, nous avons fait ce que nous avons pu et ce qui, a chaque étape, nous paraissait juste. Il reste aux générations qui suivent de poursuivre un combat quotidien pour un monde plus paisible, plus démocratique et plus juste» Au final, citons Rédha Malek qui souligne dans l'introduction de cet ouvrage exceptionnel : «A l'heure où les repères se perdent, où l'habilité remplace la vertu et le clientélisme médiocre le principe de souveraineté. Claudine et Piierre Chaulet sont demeurés debout et fiers de leur choix il y a un demi-siècle. Une leçon de chose magistrale qui, à tous égards, s'adresse à nous tous et à nos enfants». S. A.
Bio express des auteurs Pierre Chaulet, né à Alger le 27 mars 1930, a été Professeur de Médecine de 1967 à 1994. Chargé de mission pour la santé auprès du Chef du gouvernement (1992-94) et vice-président de l'Observatoire national des droits de l'Homme (1992-96), il est également expert OMS de la tuberculose depuis 1981 et consultant en santé publique auprès du Conseil national économique et social depuis 2006. Claudine Guillot, née à Longeau (Haute Marne, France) le 21 avril 1931, est sociologue. Elle a été responsable du Bureau des études puis du Centre national de recherches en économie et sociologie rurales au ministère de l'Agriculture et de la Réforme agraire de 1963 à 1975. De même qu'elle a été chercheuse puis Directrice de recherches au Centre de recherche en économie appliquée (au développement) et professeure de sociologie à la Faculté des sciences humaines et sociales d'Alger jusqu'en 2010.