La crise de la dette dans la zone euro est revenue, et elle n'est pas prête de s'en aller. L'europanique est à nouveau à la mode. Après un sursis de quelques mois amorcé par la décision de la Banque centrale européenne (BCE) d'offrir aux banques continentales une somme quasi-illimitée de prêts à moyen terme et à faibles taux d'intérêt, la crise de la dette souveraine est de retour. Cette fois-ci, l'Espagne en est l'épicentre, pas l'Italie, mais la mécanique est familière.Les taux d'intérêt sur la dette espagnole ont un peu grimpé, accentuant la pression sur le budget du pays. Sa solvabilité est remise en question, ce qui fait monter les taux encore davantage. Et avec des taux d'intérêts plus élevés, la viabilité des banques espagnoles est mise en doute, ce qui limite les crédits domestiques et affaiblit encore un peu plus le budget national.Selon votre façon de voir les choses, c'est une crise de la dette souveraine, une crise bancaire ou une simple crise de la croissance, mais dans tous les cas, les risques d'un défaut national, d'une faillite bancaire totale, d'un effondrement de la monnaie unique ou même d'une défaite plus générale du projet européen sont réels. Parmi les principaux symptômes, on trouve une vente aux enchères d'obligations espagnoles qui, hier, n'a pas enflammé la demande des investisseurs qui se sont repliés sur les bons du Trésor américain, tout en boudant la dette européenne. Et évidemment, même si en soi le sort de l'Espagne est suffisamment problématique, derrière tout cela, il y a le fait que si elle plonge, les économies plus importantes de l'Italie et même de la France seront elles aussi prises dans la tourmente. Caché sous le tapis Fondamentalement, la crise a refait surface parce que la dernière «solution» n'a rien résolu du tout. C'était une soudure tenant à moitié du génie et à moitié de la folie, et couvrant de justesse la crise bancaire. Avec suffisamment d'argent injecté à peu de frais par la BCE, n'importe quelle banque peut rester solvable.Les nerfs ont été calmés et, fortes de leur nouvelle solvabilité, les banques furent gentiment incitées à se charger en dette publique européenne, et les taux d'intérêts purent redescendre. A l'époque, les critiques avaient accueilli cette initiative comme n'étant rien de plus qu'une tentative de cacher les miettes sous le tapis, et ils avaient raison.Souvent, dans un moment de panique, c'est précisément sous le tapis que vous voulez vous cacher. Si les problèmes structurels de l'économie européenne avaient été faciles à résoudre, ils auraient été résolus depuis longtemps. Mais quand les problèmes sont ardus, cela requiert plus de temps et les colmatages à la sauvette permettant de gagner du temps sont toujours les bienvenus. Le problème, c'est que quelques mois plus tard, non seulement les difficultés fondamentales sont toujours là, mais il est difficile de déceler la moindre petite avancée.Pour le dire en deux mots, les institutions européennes actuelles ne peuvent pas fonctionner. L'objectif premier des solutions de dépannage doit être d'en créer de meilleures. Avant la crise, les capitaux partaient d'Allemagne (et dans une moindre mesure de pays plus petits comme l'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas) pour se déverser sur les pays de la «périphérie».
Pas de dévaluation possible après l'arrêt brutal En important leurs capitaux, les pays périphériques étaient capables d'importer plus qu'ils n'exportaient et leurs habitants dépensaient plus qu'ils n'épargnaient. En Grèce et au Portugal, cela impliquait une grosse part d'emprunt public, mais en Espagne et en Irlande, l'emprunt pesait largement sur le secteur privé. Puis vint une perte de confiance dans la solidité de ces prêts, et les vannes financières commencèrent à se fermer.Ce type d'«arrêt brutal» du financement externe est malheureusement courant dans les annales de la finance internationale. Normalement, c'est à ce moment que le pays endetté voit la valeur de sa monnaie dégringoler. Les salaires réels s'écroulent, et le pouvoir d'achat des travailleurs chute tandis que la valeur monétaire nationale s'effondre.Dans la dette jusqu'au cou, les habitants du pays se mettent à travailler plus longtemps pour gagner moins. Et inspirés par la souffrance de leurs concitoyens, des politiciens arrivent parfois à réaliser des réformes politiques intelligentes qui accélèrent le retour d'un niveau de vie pré-crise, et parfois pas.Mais l'Espagne, l'Italie et la Grèce n'ont pas de monnaie indépendante à dévaluer. Et elles sont loin d'être les seules. Dans de grands pays comme les Etats-Unis, il arrive que les flux d'investissements se déversent sur une région donnée puis s'arrêtent, détériorant le budget local et le marché du travail.Mais aux Etats-Unis, quand une juridiction doit faire face à un déclin soudain de l'investissement -comme ce qui se passe aujourd'hui en Floride ou en Arizona - elle peut toujours compter sur les subsides de la sécurité sociale ou de Medicare.
Pas de mobilité, pas de langue commune, pas de politique fédérale De plus, l'assurance chômage, les bons alimentaires et le Medicaid vous garantissent que plus vous êtes touché, plus vous pouvez profiter de l'assistance fédérale. Sans oublier que lorsque l'économie locale va mal, vous avez toujours la possibilité de déménager dans un autre Etat.Et en effet, la mobilité fait partie depuis longtemps du processus d'adaptation américain. Les régions où l'industrie décline perdent des habitants, celles où elle prospère en gagnent, et le désir de ne pas voir tout un bassin de population se vider agit comme une sorte de barrage contre les mauvais gestionnaires.L'Europe ne possède aucune de ces protections. Non seulement les Européens sont en général moins mobiles que les Américains, mais ils ont la mauvaise habitude de ne pas tous parler la même langue. Un habitant de Lisbonne, Séville ou Naples aura toutes les peines du monde à trouver un emploi décent à Amsterdam, Munich ou Helsinki, vu que peu d'Européens parlent allemand et que personne ne parle les autres langues nordiques.L'Europe est coincée dans un étau fait de monnaies qui ne peuvent s'ajuster, de populations qui ne peuvent se déplacer, et de régions qui ne se soutiennent pas financièrement les unes les autres. Un étau qui, entre autres choses, a généré une quantité de dette souveraine extrêmement problématique.Mais les coupes budgétaires ne sont que des palliatifs et ne font rien pour favoriser les ajustements structurels aujourd'hui nécessaires. De même, ce n'est pas demain la veille que les frontières linguistiques s'évaporeront et simplifieront les migrations inter-européennes. Les contribuables allemands pourraient tout simplement financer à l'infini leurs cousins les plus pauvres, de la même manière que le Massachusetts finance le Mississippi, mais ils finiront bien par perdre patience.
Pessimisme Les Américains du Massachusetts et ceux du Mississippi partagent un même sentiment d'appartenance nationale, une même langue et une même culture. Mais ce n'est pas le cas des Allemands et des Espagnols. L'Allemagne pourrait tolérer une hausse de l'inflation ou un remaniement de son système fiscal pour satisfaire aux besoins des pays du sud de l'Europe, mais ce que veulent les électeurs allemands, c'est un gouvernement qui réponde à leurs besoins. L'élan est compréhensible, mais ses conséquences pratiques sont désastreuses.La création de la monnaie unique repose sur un projet politique qui devait inciter à davantage d'intégration. Les crises de la dette auxquelles nous assistons aujourd'hui et leur fréquence sont les fruits de ce pari risqué, gageant sur une union des Européens au-delà de leurs frontières nationales. Pour l'instant, les pertes ont été conséquentes, et rien ne dit que ces efforts commencent à payer dans un futur proche. M. Y. In slate.fr