Mourad HAMDAN (consultant en management) L'année 2010 aura incontestablement été, dans les économies développées, celle de l'explosion des dettes publiques. L'endettement allemand a atteint 1791 milliards d'euros. En France, la dette s'élève à 1237 milliards d'euros à fin novembre. Quant à l'Italie, sa dette publique a pulvérisé un nouveau record en octobre dernier, s'établissant à 1867 milliards d'euros. Le FMI constate qu'en 2010 et dans la zone euro, les banques ont émis beaucoup moins de dettes qu'elles n'en ont vu arriver à échéance. "Résultat: plus de 4.000 milliards de dollars devront être refinancés dans les 24 mois" par le secteur financier mondial. Le montant est colossal. Et il est d'autant moins sûr que les établissements puissent tous avoir accès au marché puisqu'ils seront en compétition avec… les Etats. La crise financière a fait éclater au grand jour les contradictions de la construction européenne. Au lieu d'être un espace de coopération, l'Union européenne (UE) a fait de la concurrence entre les Etats membres l'axe central de sa construction. Elle s'est érigée sur un dumping fiscal et social. L'euro est donc pris dans une contradiction fondamentale : il est la monnaie unique d'Etats qui sont en guerre économique. L'UE s'est mise volontairement dans les mains des marchés financiers. Nous assistons à l'aberration qui consiste à ce que les banques privées puissent se refinancer auprès de la BCE à un taux d'intérêt très faible (1 %) et prêtent aux Etats à des taux plus élevés. D'un côté l'UE tolère que des taux d'intérêt élevés continuent d'être exigés des pays endettés, et de l'autre elle garantit aux créanciers qu'elle honorera la dette en cas de défaillance. Les banques gagnent donc à tous les coups. Cette situation est la cause immédiate de la phase actuelle de la crise, celle de la dette publique. Spirale dépressive Aucune solution réelle à la crise du surendettement n'est en vue, et les problèmes ne sont que repoussés dans le temps avec en prime un effet boule de neige. La zone euro, censée être un havre de stabilité monétaire, est devenue une proie pour les marchés financiers qui " ne voient pas dans l'octroi d'aides aux pays vulnérables de la zone euro une solution au problème sous-jacent, et la Grèce en est une illustration. Comme elle ne peut dévaluer sa monnaie, elle doit mener une " dévaluation " interne pour restaurer sa croissance. Ce qui ne peut se faire que par une réduction salariale. Cette réduction aggrave de fait les problèmes de dette publique et de fonds propres des banques sans pour autant remédier aux défauts ni même relancer la croissance", explique Steve Barrow, économiste chez Standard Bank, pour qui la seule issue à cette spirale mortelle, est "de restructurer la dette". En effet, une spirale dépressive ne permettrait en aucun cas l'amélioration des finances publiques avec des déficits qui, au mieux, se stabiliseraient à leur niveau actuel, voire qui s'approfondiraient si les recettes fiscales chutaient plus vite que la réduction de dépenses… avec, à la clef, de nouvelles attaques spéculatives contre les Etats les plus fragiles et un risque de défaut de paiement. Une nouvelle crise financière, qui toucherait les banques possédant des obligations de ces Etats, n'est donc pas à exclure avec de nouvelles attaques contre l'euro… Les gouvernements sont obsédés par l'idée qu'il faille rassurer les marchés financiers, mais les politiques d'austérité, censés les rassurer, créent l'affolement en creusant les déficits, et plus les Etats sont en situation financière difficile, et plus les banques accroissent leurs difficultés en leur imposant des taux prohibitifs. Risque de contagion "Malgré un indice Ifo sur le climat des affaires en Allemagne meilleur qu'attendu en décembre, l'opinion des investisseurs sur la monnaie unique reste négative sur fond de craintes de contagion de la crise des dettes publiques dans la région", a observé Samarjit Shankar, de BNY Mellon. A titre d'exemple, l'Espagne (quatrième puissance économique de la zone euro) devrait emprunter l'année prochaine 354 milliards d'euros, soit 34% de son PIB ! Elle concède actuellement des taux élevés pour se financer. Le rendement de ses obligations à 10 ans a atteint les 5,5% avec près de 1% de hausse en moins d'un mois. Mais ce qui est vraiment très inquiétant, c'est qu'avec un rendement à 6,5%, le poids de la dette serait insupportable pour l'Espagne. Nous ne sommes vraiment pas loin de ce point de rupture d'autant plus que l'agence de notation Moody's a annoncé récemment qu'elle envisageait une dégradation de la note souveraine espagnole. Chiffres de la commission européenne En Europe, au total 4.589 milliards d'euros d'aides publiques ont été mises à disposition du secteur financier depuis octobre 2008 et le début de la crise bancaire, selon un état des lieux publié récemment par la Commission européenne. Bruxelles précise que les aides utilisées ont atteint 957 milliards en 2008 et 1.107 milliard en 2009, dont 76% pour des garanties. Elle ne donne pas de chiffre pour 2010. Pour refinancer les banques européennes 700 à 800 milliards d'euros sont nécessaires (montant bien inférieur aux estimations du FMI) et les besoins en capitaux des Etats de l'UE pourraient être de l'ordre de 800 milliards d'euros. Pour ses prévisions d'automne sur les perspectives économiques, la Commission européenne a choisi le titre suivant : "Rétablissement économique graduel et inégal". Le PIB de l'UE augmentera en 2010-2011 d'environ 1,75% et d'environ 2% en 2012. Pour l'année à venir, la Commission s'attend à des déficits budgétaires en baisse dans 24 pays membres de l'UE. Cependant, à l'exception de l'Allemagne, le taux d'endettement public en pourcentage du PIB continuera d'augmenter dans tous les pays de la zone euro (voir schéma pour l'année 2010). Compte tenu de la croissance de la dette publique et de l'augmentation rapide de la masse d'intérêts à payer, particulièrement dans les pays de la périphérie de la zone euro, les prévisions de la Commission semblent assez inquiétantes. Les marchés attendent une réponse satisfaisante de la BCE quant à la problématique de la dette des pays européens car, dès à présent, le refinancement de la dette existante ne peut être réalisé qu'en acceptant une augmentation des taux. De son côté, et sans l'exprimer directement, la Commission européenne demande que la BCE poursuive les achats d'obligations souveraines. Les marchés financiers espèrent même que la BCE amplifiera ce mouvement. Mais ils attendent probablement en vain que la BCE diffuse de quelconques informations sur le volume de ces futurs achats tant il est entendu que la Banque Centrale ne les dévoilera qu'avec parcimonie pour éviter de susciter toutes nouvelles inquiétudes. Trois scénarii possibles Le fonctionnement de l'euro entrave les moyens d'action des banques centrales de chacun des pays. Sur les taux par exemple, seule la BCE est investie d'un pouvoir de décision. Mais elle doit définir un même taux pour tous les pays de l'Europe, quel que soit le statut de leur économie. Pas moyen pour elle d'appliquer un taux plus resserré en Allemagne ou plus souple au Portugal pour faciliter l'accès au crédit et encourager la reprise. C'est donc l'épreuve du feu pour l'euro. Les défauts de l'euro sont devenus flagrants avec la crise. L'euro est la monnaie unique de pays " divergents ". La différence (spread) entre le rendement des obligations allemandes et celles des 'PIIGS' est plus qu'éclairant. Malmené en interne. Subissant de plein fouet les manœuvres de la Fed pour affaiblir sa monnaie. Devant batailler sans armes contre la Chine et son yuan. Va-t-il pouvoir résister à cette succession de crises ? Question dont la réponse se résume au choix à faire entre les trois directions possibles qui s'offrent à lui : 1. Les règles de fonctionnement de l'euro sont modifiées pour permettre à la BCE de déterminer des taux d'intérêt différents selon les pays. Cette solution arriverait trop tard car le mal est fait. Elle permettrait seulement de faire mieux fonctionner les règles de l'euro pour les pays survivants. 2. Certains pays quittent la zone euro... soit de force en étant expulsé (par exemple, la Grèce), soit de leur plein gré (l'Allemagne). Cependant la majorité des pays resteront dans l'euro. Une solution qui n'empêchera pas certains pays de faire faillite, bien au contraire puisqu'ils devront rembourser des dettes (en euros) dans une devise nationale qui sera encore plus faible que la monnaie unique. 3. Les règles de l'euro ne sont pas modifiées et personne ne quitte le navire. Les banques et les Etats font défaut en série. Menacée de toutes parts, la zone euro explose en vol et entraîne l'économie mondiale dans une nouvelle Grande Dépression. Tous ces scénarios sont possibles, mais l'un est plus probable que les autres. La zone euro va certainement devoir revoir les règles qui la régissent pour s'adapter non seulement à la nouvelle réalité économique de l'Europe, mais aussi et surtout à l'image qu'en ont les investisseurs, car tout repose encore et toujours sur la confiance que ceux-ci accordent à l'un ou l'autre pays comme émetteur de dettes. European Quantitative Easing (EQE) Un des changements possibles des règles de l'euro serait, outre les taux différents pour les pays, que la BCE puisse acheter des dettes des Etats européens exactement comme ce que fait la Fed aux Etats-Unis. Et c'est effectivement le cas. La BCE vient de lancer son quantitative easing identique à celui pratiqué par la Fed depuis deux ans, produisant de l'argent pour racheter les dettes souveraines des pays en difficulté. Evidemment, cela permet à la BCE d'éviter la faillite d'un ou plusieurs Etats de la zone euro. Mais, il y a bien sûr un revers de la médaille. Une telle politique affaiblit l'euro, qui ne bénéficie pas de la réputation du dollar. Le billet vert, monnaie de référence internationale, est - pour le moment encore du moins - soutenu par le fait que les Etats-Unis sont la première puissance économique mondiale. Mais la zone euro ne fait pas le poids et une politique élargie d'assouplissement monétaire serait ultra-inflationniste. L'euro pourrait donc continuer de chuter... sauf si le dollar dégringole encore plus rapidement que lui. Car les devises sont lancées dans une course à la dévalorisation. Les pays développés espèrent ainsi diminuer un endettement devenu insupportable. Dans le même temps, les pays émergents entendent ne pas se laisser plumer et veulent continuer à soutenir leurs exportations. L'UE est par conséquent à la croisée des chemins. Deux voies s'offrent à elle : soit continuer sur la trajectoire actuelle et c'est l'approfondissement de la récession et l'éclatement de l'Union, soit se saisir de la crise pour changer radicalement d'orientation et sortir l'UE des griffes de la finance. Conclusion Il est vivement conseillé que la construction européenne soit tournée vers la réduction du déficit public, la réforme des systèmes bancaire et financier, la satisfaction des besoins sociaux, la lutte contre les inégalités et la mise en œuvre des impératifs écologiques. Il s'agira fondamentalement d'organiser une nouvelle répartition de la richesse créée par une économie productive et compétitive en engageant au niveau européen un processus d'harmonisation par le haut des droits sociaux, avec la mise en place de critères de convergence sociaux.