Le destin, la biologie, la camarde, l'âge, l'usure du temps, le hasard ou les accidents de la vie, telle une implacable machine à broyer les hommes et les femmes, finissent toujours par accomplir leur œuvre. Après Abdelhamid Mehri, qui dort du sommeil des plus justes, depuis plus de quarante jours, voici le tour d'un autre grand Algérien, grand parmi les plus grands de l'histoire d'émancipation de l'Algérie, qui vient de lui dire adieu. A 96 ans, l'esprit lucide et le verbe incisif, Ahmed Ben Bella, alias Hmimed, de son autre blaze révolutionnaire Messaoud, a dit au revoir à son peuple. Il était chez lui, à Alger, entouré de tous ses proches bien-aimés. La rumeur, toujours plus folle au sujet de son état de santé, annonçait, avec une pernicieuse insistance, sa mort, chaque fois qu'il se soumettait à des examens hospitaliers, ordinaires pour un homme de son âge. Mais cette fois-ci, le départ pour le grand voyage est confirmé. Hier matin, l'annonce de la mort de Maurice Aubrac, à 98 ans, un juste parmi les plus justes des Français, grand résistant gaulliste qui a combattu le nazisme, les armes à la main, comme Si Ahmed, avait créée chez le chroniqueur un pressentiment inquiétant. Une mauvaise prémonition. Puis de nouveau, la rumeur au sujet de l'état de santé du premier président de la République de l'Algérie indépendante qui enfle, jusqu'à annoncer sa mort avant même qu'elle ne survienne. Mais cette fois-ci, «c'est la bonne», comme le dira le fils adopté et tant aimé. Hmimed du PPA-Mtld, héros décoré de la légendaire bataille de Monte Cassino, de l'OS, du Crua, de la Délégation Extérieure du FLN au Caire, des geôles coloniales en Algérie et de Fort Liedo sur l'Ile d'Aix et du château d'Aulnay en France, aura été de tous les combats. Il aura tout connu, tout vu et tout entendu ou presque. Mais il n'a finalement pas tout dit, lui le grand taiseux certes volubile mais qui ne disait rien finalement des véritables secrets de la Révolution. Il aura également tout subi. Le putsch des premiers «redresseurs» du FLN, le 19 juin 1965. Ironie du sort, le soir même d'un match de football, des visiteurs de minuit, tels des arbitres de foot, viennent annoncer à l'ancien milieu de terrain de l'Olympique de Marseille qu'il était expulsé du terrain de la politique mais pas encore du champ de l'Histoire. Hmimed, coriace et pugnace comme le milieu défensif qu'il fut à l'OM en 1939 et 1940, connaîtra ensuite la prison et la résidence surveillée dans son pays, à la périphérie d'Alger et à M'sila. Ensuite, l'exil en Suisse. L'Histoire le reprend alors et le rattrape. Le grand héros de la Révolution se fait alors héraut de l'émancipation démocratique de son pays corseté par l'autoritarisme et plombé par un socialisme prébendier, finalement aux antipodes du socialisme autogestionnaire qu'il voulait pour une Algérie rêvée en Cuba du monde arabe. Celui qui fut un des neuf historiques, qui aura été victime, avec d'autres frères d'armes, du premier acte de piraterie aérienne de l'histoire de l'humanité, en octobre 1956, mènera dans l'exil son juste combat pour l'émancipation démocratique de son pays, avec le MDA, le Mouvement pour la démocratie en Algérie. Jusqu'à son retour au pays, en septembre 1990, pour participer à l'élan d'ouverture réformiste qui a enfiévré le pays de 1989 à 1991. Le vieux lion des luttes révolutionnaires, arpentera après d'autres chemins de lutte pour la dignité humaine, à la tête d'une grande ONG suisse, militant sans relâche pour la cause des minorités et des peuples opprimés, partout, sur les cinq continents. Jusqu'à la veille de sa mort, celui qui a été élevé à la dignité de président du Comité des Sages de l'Union africaine, était aussi membre du Comité de parrainage du Tribunal Russel sur la Palestine. Hmimed était algérien, panarabe et universaliste. Ce formidable autodidacte fut un incroyable érudit, cultivé par la vie et les livres, sobre mais joyeux, altruiste en diable et grand humaniste. Algérien jusqu'à l'entêtement, ce fils de Maghnia, originaire de Qalaât Essraghna, de parents marocains issus de la tribu des Ouled Rahal et dignitaires de la zaouïa El Moukkahliya, était patriote algérien, jusqu'à l'obsession. Depuis hier, il est au royaume des bienfaiteurs et des comblés de la prodigalité divine, à la droite du Seigneur, et à la gauche de Lalla Maghnia, sainte tutélaire de sa ville éponyme, sa ville natale. N. K.