Figure morale pour tous, héros de la France pour la droite et ami de la famille pour la gauche: la classe politique française se dispute l'héritage de Raymond Aubrac, symbole de la Résistance, sur fond de campagne présidentielle. Cofondateur du mouvement "Libération-Sud", ancien ingénieur formé à l'école des Ponts et Chaussées, Raymond Aubrac avait été hospitalisé il y a quelques jours pour une grande fatigue, a précisé sa petite-fille. Né Raymond Samuel le 31 juillet 1914, Raymond Aubrac, dont les parents sont morts à Auschwitz, s'était engagé dans la Résistance dès le début de la guerre aux côtés de sa femme Lucie, également grande résistante. Celle-ci était décédée en 2007 à 94 ans. "C'était un exemple de tout; de sagesse, de morale, d'humour d'intelligence, de curiosité, de culture", a salué sa petite-fille. "C'était quelqu'un d'exceptionnel". Après la guerre, Lucie Aubrac avait repris l'enseignement de l'histoire et la géographie. De son côté, Raymond Aubrac avait organisé et dirigé le déminage de la France au ministère de la Reconstruction, de 1945 à 1948. Il avait ensuite créé et dirigé, pendant dix ans, un bureau d'études et de recherches pour l'industrie moderne (BERIM). En 1958, il s'était rendu au Maroc, à la demande des autorités locales, pour organiser un Office national des irrigations, et il avait rejoint, en 1963, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Le 21 juin 1943, cet ingénieur de formation est arrêté à Caluire (Rhône), dans le cabinet du Docteur Frédéric Dugoujon, avec Jean Moulin et d'autres chefs de la Résistance, par la Gestapo, dirigée pour la région de Lyon par Klaus Barbie. Il s'évade lors d'une opération spectaculaire menée par sa femme, alors enceinte de leur deuxième enfant, et en février 1944, le couple gagne Londres. En 1975, en tant que représentant personnel du secrétaire général de l'ONU Kurt Waldheim, il avait été chargé de préparer l'aide internationale auprès des populations du Vietnam. Trois ans plus tard, il rejoignait l'UNESCO pour des travaux de coopération internationale. Raymond Aubrac avait publié en 1996 ses souvenirs, "Où la mémoire s'attarde", aux éditions Odile Jacob. Il laisse derrière lui trois enfants, un fils et deux filles, ainsi que de nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants. Hommage politique Nicolas Sarkozy a rendu hommage à "cette figure héroïque de la Résistance", disparue, avant-hier soir, à l'âge de 97 ans à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris, ainsi qu'à son épouse Lucie, décédée en 2007. "Ces héros de l'ombre qui ont sauvé l'honneur de la France, à un moment où elle semblait perdue, disparaissent les uns après les autres", peut-on lire dans le communiqué de la présidence. "Nous avons le devoir d'en maintenir le souvenir vivant au cœur de notre mémoire collective." Entre les lignes de communiqués tous prompts à saluer le dernier grand témoin de la résistance à l'occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale perce la volonté de se revendiquer de l'esprit de lutte qu'il a incarné. François Hollande souligne ainsi dans un communiqué qu'il avait rencontré Raymond Aubrac le 15 mars dernier, jour anniversaire de l'adoption du programme du Conseil national de la Résistance. "La mort d'un homme n'empêche pas que son combat continue", a déclaré peu après le candidat socialiste à des journalistes à son siège de campagne à Paris. Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français, souligne pour sa part qu'"une franche et loyale amitié" liait les communistes français à Raymond Aubrac. "Nous pleurons l'un des nôtres", écrit-il. Récupération Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche, soutenu par les communistes à la présidentielle, qui a fait du mot "Résistance" l'un des slogans de sa campagne, est plus explicite encore dans la récupération du symbole. "Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place", écrit-il, citant les paroles du Chant des Partisans, hymne de la Résistance. "Comme l'a dit Lucie Aubrac, résister se conjugue au présent", ajoute-t-il. "Raymond Aubrac nous a quittés, sortons de l'ombre pour tenir le poste de combat". Dans le même ordre d'idée, Europe Ecologie-Les Verts assure vouloir "rendre vivant l'héritage" légué par Raymond Aubrac. Dans son rôle de Premier ministre, François Fillon se veut plus consensuel, rappelant que Raymond Aubrac et son épouse "font partie de la grande Histoire de France". Le chef du gouvernement rappelle tout de même au passage que le couple a répondu à l'appel du général de Gaulle. "Des gens hors du commun" L'avocat et président de l'association des Fils et Filles de déportés juifs de France, Serge Klarsfeld, a salué le "dernier grand acteur et dernier grand témoin" de la Résistance."C'est un couple de légende et ils survivront notamment par ce qu'ils ont fait et aussi parce que c'est un couple qui militait révolver au poing", a-t-il dit. "C'étaient des gens qui étaient hors du commun". Renaud Helfer-Aubrac, petit-fils de Raymond Aubrac, a voulu évoquer "un grand-père très attentif, d'une insatiable curiosité, et qui avait les valeurs républicaines chevillées au corps". "Pour lui, la liberté, l'égalité et la fraternité n'étaient pas des vains mots, bien au contraire", a-t-il dit. Les époux Aubrac ont traversé des épreuves après la Résistance et fait face à des accusations, remportant, notamment, un procès en diffamation contre l'auteur d'un livre qui laissait entendre qu'il aurait pu contribuer à l'arrestation de Jean Moulin en informant la police allemande. L'épisode n'a pas terni la mémoire d'un couple qui symbolisait, outre le courage de résister, un amour absolu. Dans un entretien paru en mars 2011, Raymond Aubrac confiait ainsi que ce dont il était le plus fier était le choix de sa compagne. "Je dois dire que c'était bien joué. La réciproque est vraie, je crois que Lucie en convenait. Dans la vie, vous savez, il n'y a que trois ou quatre choix fondamentaux à faire. Tout le reste est affaire de hasard."