Photo : A. Lemili Benbadis, les martyrs, le MOC et Sanmarcelli, Rahbet Es-Souf pour les autochtones, Place des Galettes pour les Français. Voilà un espace urbain parmi les plus populaires si ce n'est le plus populaire de la ville de Constantine. La preuve ? L'orgueil qu'ont certains de revendiquer d'y être né. D'où l'assurance d'avoir le titre de «ould el bled ». Rahbet Es-Souf est un lieu avec lequel nul ne peut rompre même s'il se retrouve dans l'obligation de déménager. Dans un véritable rituel, chaque vendredi, ceux plutôt rattrapés par les ans et auxquels Dieu prête encore vie se retrouvent dans un café historique qui a gardé intact son appellation : Qahouat Boucherit. Nous en avons rencontré un groupe dont le dénominateur commun est qu'ils sont tous supporters du Mouloudia de Constantine, d'ailleurs il ne peut pas en être autrement. Le club dont l'ouléma Benbadis fut membre fondateur ; et c'est également dans un autre café de Rahbet Es-Souf, que les membres de l'association se retrouvaient. Une place ramifiée d'une demi-douzaine de venelles et passages vers d'autres endroits et places de quasi égale importance aux yeux des Constantinois : Sidi Boumaza, Sidi Djeliss, Arbaïne Cherif, Maqaad el hout, Zanket M'quaïess, Erssif où sont tombés les martyrs Saïd Rouag, A. Kikaya, Fadila Saâdan et El-Djezaïrine, ruelle commerçante où a été abattu le Français d'origine corse Sanmarcelli qui dirigeait le commissariat du 2ème arrondissement lequel était implanté en plein cœur de Rahbet Es-Souf. Sammarcelli, Messaoud Tlili, 80 ans, s'en souvient : «En fait, le personnage était difficile à cerner. Cultivant une certaine amitié avec les habitants de Rahbet Es-Souf et sa périphérie, il n'avait aucune gêne à se déplacer seul dans les nombreuses venelles, nouant des liens cordiaux avec les commerçants à l'image de Boucherit (de son vrai nom Kechid, propriétaire du café). A la fin du mois de mars 1956, il est abattu à El Djezaïrine et jusqu'à ce jour, nul ne peut dire qui l'a exécuté. Quoi qu'il en soit, toute la population a tout de suite été plongée dans la plus grande peur quant aux représailles qui pouvaient s'en suivre. Or, Sanmarcelli, selon ce qui se disait ici et là, aurait toujours soutenu auprès de sa hiérarchie la totale confiance qu'il avait en les habitants de Rahbet Es-Souf et aurait obtenu, semblerait-il, de ses supérieurs et quoi qu'il puisse arriver, la promesse qu'il n'y aurait pas de représailles contre les habitants de la place et sa périphérie». Une promesse qui n'aura pas empêché l'assassinat dans d'étranges conditions de Boucherit, l'ami du commissaire et de cinq autres personnes avec lesquelles Sanmarcelli entretenait des relations cordiales. Mais la plus grande tragédie est à mettre sur le compte de son fils qui, pour venger la mort du père, fera plusieurs victimes en tirant à vue sur les habitants de la vieille ville, constitués uniquement d'Algériens parmi lesquels se trouvait d'ailleurs un collabo surnommé Kaâbour. Le commissariat du 2ème arrondissement restera fermé jusqu'à l'indépendance pour être cédé à un commerçant qui en fera usage en ce sens. Rahbet Es-Souf a, certes, perdu de son lustre d'antan mais elle garde, malgré l'allure de bazar qu'elle a aujourd'hui, l'ineffaçable authenticité dans le cœur de ceux qui y sont nés et y vivent encore pour d'autres. Pour l'anecdote, au-delà des évènements qui en ont fait l'histoire, les membres du groupe que nous avons rencontrés ont tenu surtout à souligner que «Rahbet Es-Souf restera à jamais le berceau du MOC : «Les gens y naissaient pour devenir rebelles par conviction et Mocistes par nature. Nous ne connaissons qu'une seule personne qui a fait faux bond à cette communion, c'était feu R. Cherrad dont l'ensemble de la famille était mociste. Il était clubiste (CSC) mais comme ce club voisin était le souffre-douleur du nôtre, il lui était accordé donc des circonstances atténuantes», diront à l'unisson les membres du groupe attablés au café Boucherit.