Monsieur le président de la République, à défaut d'expédier une philippique à la ministre de la Culture, je vous adresse cet «Arrêt sur Image» comme une supplique. Non pas celle de George Brassens pour être enterré sur la plage de Sète, quoique ce soit un sublime endroit pour aller y enrichir la nécromasse. La présente adjuration est une modeste requête pour faire un geste modeste. Simple geste mais acte majeur. Un pas salutaire pour la culture assassinée tous les jours par tant et tant d'égorgeurs, d'équarisseurs, d'écharneurs, de tripiers et de mégissiers, dans la peau de bureaucrates ou avec le cuir tanné de bouchers et de rois de la malbouffe. Cet acte, qui vous sera compté, sera une réalisation. Il s'agit pour vous, et c'est simple pour vous, monsieur le Président, de décider que les fossoyeurs de l'Administration soient empêchés de détruire ce qui est, avant sa vocation première, une belle œuvre d'architecture. C'est pour cela que vous êtes, par cette humble demande, prié de dédier les abattoirs du quartier des Fusillés d'Alger, à la culture, à la création, aux créateurs et aux créatifs. Bref, tout comme vous avez bien fait d'offrir à la piété collective sa gigantesque mosquée, à Alger même, faites des abattoirs du quartier du Ruisseau, un grand temple de la culture. Ce sera pour vous, monsieur le Président, comme ce le fut pour Neil Armstrong, votre premier pas sur la Lune. Imaginons ensemble, 24 000 m2, 3 salles d'abattage de 3 250 m2, des écuries de 3 764 m2, des espaces frigorifiques de 1 068 m2 et 26 carreaux d'égorgeurs, offerts, par votre formidable geste, aux écrivains, peintres, sculpteurs, cinéastes, vidéastes, dessinateurs, chanteurs, auteurs, compositeurs, acteurs de théâtre, de ciné et de télé, bédéistes, chorégraphes, musiciens, designers, libraires, muséologues, bibliothécaires et documentalistes. Monsieur le Président, faites en sorte que là où l'on faisait saigner les bêtes, devienne un haut lieu du gai savoir. Un Beaubourg algérois de la culture saignante, celle dont on se nourrit sans jamais se gaver. Pour nous, citoyens qui crevons de voir la chawarma manger le livre, c'est un grand rêve. Accessible si vous faisiez en sorte qu'il devienne une heureuse réalité. Ailleurs, c'est, depuis des lustres, une vie de tous les jours. Tenez, par exemple, le MACRO, le Musée d'art contemporain de Rome. Joyaux architectural au cœur des anciens abattoirs dans le Testaccio, banlieue sordide de la capitale italienne, aujourd'hui grand centre culturel et paradis de la convivialité romaine. Tenez encore, un autre exemple, les abattoirs de Toulouse, transformés en musée et en fonds régional pour la culture dans le Midi-Pyrénées. Et, n'oublions pas aussi, juste pour vous dire que le rêve est possible, la Grande halle du marché à bestiaux et les abattoirs de la Mouche à Lyon. Imaginés par l'architecte Tony Garnier en sanctuaire de la culture française et universelle. «Le temple est mon pays, je n'en connais pas d'autre», disait Jean Racine. Et, encore pour mémoire, les vieux Docks de Marseille, offerts en dot de mariage à la culture, son diadème culturel étant le Théâtre de la Criée. Cet «Arrêt sur Image» est, peut-être, une bouteille d'eau jetée à la mer de l'indifférence, du silence et de l'oubli. Mais c'est un rêve. Peut-être le vôtre aussi, monsieur le Président, qui sait ? Rêve de créer à Alger un immense espace culturel, continu et cohérent, accueillant Dar Abdeltif, le Musée des Beaux-arts, la Bibliothèque nationale, les (futurs) abattoirs culturels et, dans le prolongement, le Palais de la Culture. Aujourd'hui, siège du ministère éponyme mais pas encore tout à fait, celui de la Culture. N. K.