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Cette «mémoire vivante» qui ne nous revient pas
Récupération du patrimoine culturel
Publié dans La Tribune le 29 - 10 - 2008

L'Algérie ne possède aucune archive d'avant le XVe siècle et celles relatives aux époques postérieures sont éparpillées un peu partout à travers le monde. Terrible constat qui donne froid dans le dos, sachant que le patrimoine culturel d'une nation qui englobe sites, monuments historiques et œuvres d'art, constitue non seulement sa mémoire vivante, mais aussi son avenir.
A l'évidence, le colonialisme en est en grande partie responsable à travers son œuvre destructrice, visant la déculturation du peuple algérien, en organisant le pillage et la destruction systématique de tout référent du peuple algérien. Les images de la bibliothèque de l'université d'Alger en flammes, où ont brûlé des dizaines de milliers d'ouvrages, par les mains assassines de l'OAS, en est l'exemple le plus frappant. Hélas, ce n'est pas bien fini, puisque la dégradation et le vol d'objets d'art, sous d'autres formes, ont bien continué jusqu'à nos jours, par la force de groupes maffieux bien organisés aux ramifications internationales. D'où l'intérêt manifesté par l'Algérie à la sauvegarde et à la récupération de ses archives et de l'ensemble des documents historiques qui constituent la mémoire collective de tout un peuple. L'essentiel des démarches est à faire du côté de la Turquie et de la France où se trouvent les archives les plus importantes de l'Algérie. Si la Turquie s'est engagée à restituer à notre pays trois siècles d'archives sur la présence ottomane (1518-1830), la France tergiverse, eu égard à certaines pesanteurs internes dues aux résistances culturelles du lobby des conservateurs des bibliothèques et des musées.

Archives sonores, buste d'Aurelius et sceau du dey
L'Egypte a ouvert la voie à la récupération de la mémoire vivante des Algériens, concernant une époque cruciale de son histoire : la guerre de libération nationale, 1954-1962, en remettant à l'Algérie une partie non négligeable d'archives sonores de la radio Sawt el Arab, qui relayait, à partir du Caire, l'action des combattants algériens contre l'armée d'occupation française. S'ensuivra la récupération par la Radio algérienne de 1 300 documents sonores sur l'histoire contemporaine de l'Algérie, dans le cadre d'une convention avec l'Institut national français de l'audiovisuel. Cet événement, qui intervient 46 ans après l'indépendance de l'Algérie, n'est pas isolé, puisqu'il est l'aboutissement de discussions faisant partie des efforts entrepris auprès de plusieurs radiodiffuseurs qui détiennent des archives se rapportant à l'histoire de l'Algérie. Sur un autre chapitre, l'Algérie a récupéré des archives «techniques» qui concernent une infime partie de la période coloniale, du temps du président Chadli, comme elle a également reçu le plan d'implantation des mines antipersonnel des lignes de sinistres noms «Challe et Morice», auprès de l'administration française, le 20 octobre 2007. La remise des plans en question, tant réclamés par l'Algérie, a eu lieu 45 ans après, mais au regard de son aspect temporel, caractérisé par un retard, ces cartes auraient mieux produit leurs effets, si elles avaient été remises plus tôt. Des dizaines de milliers de personnes y ont laissé leur vie ou leurs membres. Le buste en marbre de l'empereur romain Marcus Aurelius, au même titre que huit autres pièces archéologiques, a été remis par les autorités américaines à l'Algérie, en janvier 2008. Dérobée du musée de Skikda en décembre 1996, cette pièce historique a été proposée à la vente par Christie's le 8 juin 2004, dans sa galerie à New York, pour le compte de la galerie marchande «Samarcande arts anciens», établie à Paris. Grâce à l'aide d'Interpol et à la coopération de l'administration américaine, le buste a pu être récupéré et remis en janvier 2008 à l'ambassade d'Algérie à Washington.
Les Etats-Unis se sont également distingués par le don à l'Algérie d'un tableau de maître représentant l'Emir Abdelkader, avec la forme réelle de son nez, à l'occasion de la visite dans ce pays de l'ancien président Chadli. Malgré la complexité juridique entourant le transfert des objets déclarés comme étant des «butins de guerre», par les anciens colonisateurs, la restitution de nombreux objets volés a eu lieu. Ainsi, le sceau du dey d'Alger, saisi par l'armée française au cours de la prise d'Alger en 1830, a été remis au président Abdelaziz Bouteflika par M. Jacques Chirac, le 2 mars 2003. En 2002, les
services de police français ont récupéré 2 toiles de peinture, la Biche morte et la Bique, respectivement œuvres de Gustave Courbet et de Jean-François Millet, volées au musée d'Oran.
C'est grâce à la coopération internationale que d'autres pièces archéologiques et culturelles ont pu être récupérées. C'est ainsi qu'en 1999 la coopération avec les autorités tunisiennes a permis la récupération de 11 objets archéologiques, dont 2 volés au musée de Guelma durant la même année que les 9 autres volés d'un site archéologique situé à Tébessa (dont le vol n'a pas été signalé).
Cela étant, en dépit de multiples résolutions de l'Unesco, qui a notamment mis en place un Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale, appelant à la restitution d'objets faisant partie du patrimoine culturel spolié, nombre de pays occidentaux continuent à faire la sourde oreille face aux demandes qui lui parviennent de la part des pays du Sud, anciennement colonisés par eux.
Des particuliers, nationaux ou étrangers, ont montré le chemin à suivre, notamment certains d'entre eux qui se sont particulièrement distingués par des actions de dons, bien que n'ayant pas fait l'objet de médiatisation susceptible de les porter sur le devant de l'opinion publique. Par-ci ou par-là, on a souvent recensé des gestes «généreux» par lesquels de petites gens ont restitué des trésors inestimables, et parfois même des objets intimes. Tenues militaires, photos et documents, le musée d'El Moudjahid en regorge.
A titre d'exemple, signalons que pour l'année 2007, le Musée des arts et traditions populaires a bénéficié de dizaines de pièces.
Une profusion d'exemples existe également, dont celle ayant consisté en un don de photos datant de 1962 au Centre culturel algérien de Paris, effectué par le photographe Ethel Lerin. Il s'agit de la sélection d'une soixantaine de photographies consacrées à l'Algérie, immortalisées juste après le recouvrement de l'indépendance nationale dans diverses régions du pays.
Ces photos, d'une valeur historique inestimable, montrent comment un peuple s'est mobilisé pour prendre en main son destin, après la longue nuit coloniale et comment il a vécu ses premières années d'indépendance.

Pillage du patrimoine culturel et naturel
A l'évidence, la difficulté de récupérer le patrimoine culturel spolié, et qui continue d'être la proie de receleurs d'objets d'art et de contrebandiers agissant en bandes organisées avec des ramifications à l'étranger, met en exergue la nécessité de sauvegarder contre le vol, les sites et vestiges existants. Surtout que certaines statistiques des Douanes algériennes et de la Gendarmerie nationale sur les saisies opérées ces dernières années donnent un aperçu de la saignée qui touche le patrimoine culturel des générations d'Algériens. Ces dernières années encore, trois importants vols d'objets, d'une valeur inestimable, ont été perpétrés, notamment en 1996, au musée de Guelma 9 têtes d'une famille impériale romaine (dont celles de Karakala et de Julien Thomas) et de divinités romaines au musée de Skikda, qui concerne 9 têtes en marbre blanc, dont la tête de Marcus Aurélius, ainsi qu'au musée du site archéologique d'Hippone (Annaba) où une fontaine en forme de tête dite le «masque Gorgone» a été dérobée. Ces vols ont incité les autorités à réagir face à ce phénomène par la création de brigades spécialisées au niveau de la Gendarmerie nationale et de la police. Ainsi, les brigades de la gendarmerie chargées de la protection du patrimoine culturel, créées en 2005, ont, en une année d'existence, récupéré 1 127 pièces d'une inestimable valeur. Au cours de l'année 2006, ces services ont réussi le démantèlement d'un important réseau spécialisé dans le trafic d'objets de valeur destinés à l'exportation. En 2007, le nombre d'objets d'art saisis a atteint 1 350 pièces et, durant les deux premiers mois de l'année 2008, 167 pièces ont été récupérées. Cela sans compter le nombre important d'opérations avortées de fouilles clandestines dans des sites archéologiques. C'est le cas par exemple de la mise en échec, début 2007, à Tébessa, d'une opération d'exportation frauduleuse d'objets datant de l'époque romaine, composés d'une colonne portant des inscriptions romaines, des jarres, des pierres gravées d'inscriptions byzantines, d'autres datant de l'ère préhistorique. Ou encore l'arrestation de plusieurs personnes à Batna, en possession de 49 pièces romaines. Les mêmes services ont également procédé à la récupération, dans un magasin à Oran, de 424 pièces d'art. En septembre 2007, les gendarmes ont mis en échec une opération de vente (pour 10 000 DA), à Tlemcen, d'une statue datant de l'époque romaine et représentant la reine égyptienne Néfertiti. Une intervention similaire a eu lieu à El Tarf et a permis de récupérer une statue de Cléopatre ainsi que de la poterie romaine sur le point d'être vendues. Dans le sud du pays, où se trouvent les parcs de l'Ahaggar et du Tassili, les saisies opérées au niveau de l'aéroport de Tamanrasset donnent un total des saisies, en 5 ans, de 4 494 pièces. A l'aéroport d'Illizi, les services des douanes ont procédé à 1 520 interventions en 2006, qui ont permis la mise en échec de 52 opérations de vol d'objets faisant partie du patrimoine culturel.

Durcissement de la législation contre le pillage du patrimoine
Ce phénomène a pris des dimensions alarmantes au point que des réseaux de trafiquants se sont bien structurés et organisés. D'où le lancement de l'opération de recensement du patrimoine culturel et
archéologique du pays par la Gendarmerie nationale en étroite collaboration avec le ministère de la Culture et les collectivités locales, dont les APC et les wilayas, pour effectuer ce recensement. Une opération qui concernerait les 48 wilayas du pays. Des brigades spécialisées dans la lutte contre le trafic de pièces archéologiques sont également créées par la Sûreté nationale.
Ce faisant, devant la progression de ces vols, l'Algérie a ratifié la Convention internationale pour la protection du patrimoine culturel mondial. La Gendarmerie a mis sur place en 2005 trois cellules régionales de protection du patrimoine, en plus d'un bureau central, qui sont à l'origine de la récupération des 1 310 pièces archéologiques retrouvées l'an dernier. Parmi les mesures prises pour lutter efficacement contre ce trafic figure aussi la création d'une banque de données comprenant des informations précises sur les pièces archéologiques et culturelles que renferment les sites algériens. Sur le plan juridique, on note l'introduction dans le projet de loi modifiant et complétant l'ordonnance n° 66-150 du 8 juin 1966 portant code pénal du renforcement de la protection du patrimoine culturel national, en aggravant la peine prévue pour le vol ou la tentative de vol de biens mobiliers culturels protégés ou identifiés, et en aggravant la peine lorsque la fonction de l'auteur a facilité la commission de l'infraction.
Ainsi, lors de l'audition de la ministre de la Culture par le président de la République, on apprend aussi que le parachèvement du dispositif réglementaire de la loi relative à la protection du patrimoine culturel a été mené à son terme et permet une prise en charge efficiente, conforme aux normes de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel.
Ce, à côté de la création de 3 secteurs sauvegardés, de 3 parcs culturels, d'une banque de données du patrimoine immatériel, du classement de plusieurs dizaines de sites et monuments qui sont autant d'exemples illustrant l'importance des mesures de protection prises en faveur du patrimoine culturel.
A. R.


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