Le second tour de l'élection présidentielle égyptienne, opposant un ancien dirigeant de l'ère Moubarak à un Frère musulman, s'est achevé dans un climat tendu et la situation reste ouverte à tous les scenarios. En attendant l'annonce des résultats, l'Egypte semble sérieusement rentrée dans une phase d'incertitude. L'armée au pouvoir en Egypte s'est clairement attribuée le pouvoir législatif jusqu'à l'élection d'un nouveau Parlement, conditionnant la tenue de ce scrutin à l'adoption préalable d'une Constitution par voix référendaire. Ces mesures viennent de faire rentrer l'Egypte dans une phase inédite d'une complexité extrême. Les quelque 50 millions d'électeurs étaient appelés à faire un choix cornélien. Entre le dernier Premier ministre du président déchu Hosni Moubarak, le général Ahmad Chafik, et le Frère musulman Mohammed Morsi. La place Tahrir, symbole du soulèvement qui a renversé Hosni Moubarak l'an dernier, reprendra-t-elle du service dans le cas probable de la victoire du candidat du régime ? Le deuxième tour de la présidentielle s'est déroulé dans un climat de tourmente politique et légale qui a dérouté les observateurs de la scène égyptienne. La tension est montée d'un cran avec l'annonce officielle, à la veille du scrutin, par le Conseil suprême des forces armées de la dissolution de l'Assemblée du peuple. L'Assemblée, dominée par les islamistes, a été jugée non constitutionnelle en application d'un arrêt de la Haute cour constitutionnelle annulant les législatives au motif d'un vice juridique dans la loi régissant le scrutin. L'armée récupère de fait le pouvoir législatif et le contrôle des finances publiques, en attendant de nouvelles élections dont la date n'est pas encore connue. Alors que les Egyptiens attendent le nom de celui qui succédera à Moubarak, des interrogations restent en suspens sur les pouvoirs du futur président. L'armée s'apprêterait également à annoncer une révision de la composition de la commission chargée de rédiger la future Constitution. C'est dire la complexité des joutes politiques qui attendent le pays le plus peuplé du monde arabe. Les Frères musulmans, désormais privés d'une Assemblée où ils disposaient de près de la moitié des sièges, seront mis à rude épreuve. La confrérie s'est particulièrement fourvoyée durant ce début de transition, faisant preuve d'amateurisme face à un système militaire calculateur. Le pays n'a toujours pas de Constitution en bonne et due forme pour remplacer celle suspendue après la chute de Moubarak, ce qui laisse les pouvoirs présidentiels dans le flou. Ce qui a fait dire au célèbre commentateur politique Hassan Nafaa : «Le chef de l'Etat entrera dans le palais présidentiel au milieu d'un vide légal et constitutionnel terrifiant.» Seize mois après la chute de Moubarak, le prochain président, à qui l'armée promet de remettre le pouvoir d'ici la fin du mois, doit surtout faire aussi face à une situation économique préoccupante et à de graves incertitudes politiques. Sur le plan sécuritaire, l'armée a réactivé les mesures répressives, vivement dénoncées par des organisations de défense des droits civiques, assimilées à un retour à la fameuse loi martiale en vigueur depuis l'assassinat de Sadate et récemment levée. Pour plusieurs analystes, les nouvelles mesures ainsi que la dissolution de la Chambre des députés permettront à l'armée de rester maîtresse du jeu politique. Quelle que soit l'issue de la présidentielle. Le pouvoir a réussi à provoquer une «demande d'ordre» dans le chaos de la transition. Des pans entiers de la société égyptienne sont inquiets de l'avenir de leur pays s'il tombe entre les mains des islamistes. Le pouvoir continue, en effet, à utiliser l'épouvantail des Frères musulmans les accusant de vouloir instaurer une dictature islamiste. Ancien commandant en chef de l'armée de l'air, le général Chafik a fait justement campagne sur le thème de «la stabilité» après plus d'un an d'une transition politique chaotique et désordonnée. Un discours qui semble avoir trouvé écho chez notamment les hommes d'affaires et les coptes. Morsi a, de son côté, cherché à embellir son image d'islamiste conservateur pour se présenter comme le seul recours des partisans d'une «révolution-chaos» contre un retour de l'ancien régime. Ce duel politique, véritable dilemme pour les pro-démocratie, a mis dans le désarroi de nombreux électeurs égyptiens, qui se sont vus obligés de choisir entre «le moins pire» des candidats ou se réfugier dans l'abstention. L'éventualité de la victoire de Chafik serait ainsi assimilée à un triomphe des forces contre-révolutionnaires et un véritable retour en arrière. Le risque de régression est réel en Egypte. En cas de victoire du candidat du système, la totalité des pouvoirs se retrouverait entre les mains de l'ancien régime et de l'armée. Un an et demi après la révolution qui a fait chuter le pharaon Hosni Moubarak, cela ressemblerait fort à un retour en arrière. La contre-révolution aura gagné. M. B.