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Le régime sort ses crocs, la transition menacée : Coup de tonnerre politico-judiciaire en Egypte
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 16 - 06 - 2012

A la veille de l'élection présidentielle, la Haute Cour constitutionnelle égyptienne, acquise aux militaires, a pris deux décisions lourdes de conséquences : le parlement issu des élections législatives de décembre 2011 est déclaré «illégal» et la loi interdisant aux pontes du régime de Hosni Moubarak d'accéder aux responsabilités est rejetée. Et dans la foulée, le gouvernement a pris la décision significative de rétablir la possibilité pour la police militaire et les moukhabarate d'arrêter des civils et de les présenter devant une juridiction militaire.
Une décision qui vide de sens la levée, très médiatisée, de l'état d'urgence en vigueur depuis l'assassinat d'Anouar Sadate en 1981. Sous des argumentaires juridiques fortement contestées, la Haute cour constitutionnelle a décidé que la loi électorale qui a permis d'élire le Parlement et qui a été rédigée par le Conseil suprême des forces armées (CSFA), était anticonstitutionnelle. Avec l'argument qu'en permettant aux partis politiques de présenter des candidats aux sièges réservés aux candidats individuels, cette loi violerait l'égalité des chances entre candidats indépendants et partis, qui concourent déjà au scrutin de liste.
TOUS LES POUVOIRS ENTRE LES MAINS DE L'ARMEE
Du coup, de nombreux articles de la presse internationale font le parallèle avec l'Algérie de fin 91 et l'arrêt du processus électoral décidé en janvier 1992. Les décisions de la Haute cour constitutionnelle ont une conséquence nette : l'armée qui dispose déjà du pouvoir exécutif reprend, avec la remise en cause de l'assemblée nationale, le pouvoir législatif. Elle est désormais détentrice de la totalité du pouvoir en Egypte. Elle reprend également les pouvoirs spéciaux qui lui étaient conférés par l'Etat d'urgence. «C'en est fini de la révolution» pensent de nombreux égyptiens qui sont descendus, hier, Place Tahrir pour dénoncer un «Coup d'Etat constitutionnel» de l'armée. Les Frères Musulmans qui contrôlaient le parlement sont les grands perdants dans les décisions prises par la Haute Cour, mais la colère va au-delà. De nombreux militants de la place Tahrir ont vu dans les mesures annoncées, une volonté des militaires d'en finir avec la révolution. Ainsi, outre la remise en cause de l'élection de décembre 2011, l'abrogation de la loi sur l'interdiction d'accès aux responsabilités des pontes de l'ancien régime, rend la candidature et l'élection éventuelle de l'ancien général Ahmed Chafik, dernier premier ministre de Moubarak, inattaquable devant la justice.
LA «TOTALE» AVEC CHAFIK
On est littéralement devant un dispositif totalement verrouillé par les militaires. Même dans l'hypothèse d'une élection de l'islamiste Mohamed Morsi, il risque de se retrouver, en l'absence de Constitution, sans réels pouvoirs. Il va de soi que si Ahmed Chafik est élu, les militaires réaliseront la «totale» avec en sus, un rétablissement des capacités de répression pour les moukhabarate et la police militaire qui suscite l'effroi des ONG égyptiennes qui ont appelé jeudi à l'annulation de cette mesure. Le retour en arrière est tel qu'il suscite des accusations de coup d'Etat constitutionnel et d'actes préventifs pour imposer la «victoire» d'Ahmed Chafik. Les Frères Musulmans, grands perdants de cette décision, cultivent une certaine ambiguïté. Ils prennent acte de la décision du pouvoir judiciaire qu'ils disent «respecter» mais mettent en garde contre toute manipulation du scrutin présidentiel. «S'il y a la moindre falsification, il y aura une énorme révolution contre les criminels, une énorme révolution jusqu'à ce que nous parachevions tous les objectifs de la révolution du 25 janvier (2011)» a déclaré Mohamed Morsi. L'organisation des Frères musulmans a averti que l'Egypte allait vers des «journées très difficiles qui pourraient être encore plus dangereuses que les derniers jours du régime de Moubarak… Toutes les avancées démocratiques de la révolution pourraient être balayées et renversées si le pouvoir est confié à l'un des symboles de l'ère antérieure». A l'inverse, Ahmed Chafik, a salué un jugement «historique», affirmant lors d'un meeting au Caire qu'il renforçait sa légitimité. Sur la place Tahrir, hier, les égyptiens affluaient après le coup de tonnerre juridique avec le sentiment que le régime sortait ses crocs et que la transition vers la démocratie était menacée. Les Egyptiens vont-ils accepter ce retour en arrière ? L'incertitude est totale à la veille du scrutin présidentiel.


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