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«L'Histoire doit être assumée loin des rancœurs...»
Parlant de son dernier livre, Abdelkader Allal, le tribut de la dignité, Kamel Bouchama soutient :
Publié dans La Tribune le 16 - 07 - 2012


Photo : Riad
Entetien réalisée par Ramy Narimène
La Tribune : un autre ouvrage cette année et il est politique… comme si vous ne pouvez vous départir de ce style par lequel vous avez commencé votre carrière littéraire. Dites à nos lecteurs pourquoi ce titre «Abdelkader Allal, le tribut de la dignité» ?
Kamel Bouchama : Je tiens à vous préciser que ce livre n'est pas un livre politique. Et, comme je l'ai déjà expliqué, il y a bien longtemps, tout en avançant les raisons qui m'ont poussé à quitter cette ambiance qui commençait à me peser, parce que récurrente, en toute circonstance, et parce que je pense avoir exprimé suffisamment ce que j'avais à dire, je me suis consacré à l'écriture de l'Histoire tout court, ainsi qu'au roman historique et au roman-mémoire. Effectivement, c'est ce qui me retient le plus, actuellement.
Ce livre, qui est entre les mains des lecteurs, est un livre d'Histoire, bien sûr, mais dans le style biographique. Je le présente pour une occasion très chère au peuple algérien, une occasion qui nous permet de faire notre bilan, après jubilé de souveraineté nationale. Pour cela, j'ai choisi, pour le célébrer, Abdelkader Allal, un frère, pour qui la gratitude doit signifier, avant tout, une fidélité à sa mémoire bien plus qu'une vertu essentielle. Ainsi, dans ce livre, je traite d'un sujet qui me tenait à cœur et, voilà, je me suis libéré en arrivant à produire «quelque chose» à la mémoire de ce frère qui a été occulté - je dis bien occulté -, même par ses proches, c'est-à-dire par ses amis, ou ses soi-disant amis qui, jusqu'à l'heure, ne voient pas ou n'admettent pas ce bilan élogieux qui est le sien, et qui l'accompagnait depuis sa prime jeunesse jusqu'aux derniers moments de son existence. Je me devais de faire cette remarque, pour les raisons qui sont miennes et que d'aucuns comprennent… Enfin, passons sur les conciliabules interlopes et les propos désobligeants des uns et des autres, l'essentiel pour moi, est cette fidélité qui est mienne et que je manifeste, spontanément, pour être aux côtés de mes amis. Ecrire, c'est se «dénuder», et il faut avoir du courage pour le faire !
Passons à l'essentiel… Pourquoi ce livre, m'avez-vous dit ?
Eh bien, j'ai essayé, en écrivant ce livre, de m'éloigner des préjugés, car l'Histoire doit être assumée loin des rancœurs…, dans le sens des responsabilités, face au devoir de mémoire, face au devoir de vérité. C'est ce que j'ai fait pour revisiter ce vrai révolutionnaire, ce vrai homme d'action, celui qui œuvrait, pour demain, pour plus d'authenticité et de justice. J'ai pensé utile d'écrire sur celui qui, des années durant, n'a fait que travailler pour son pays, après avoir lutté pour son indépendance. Et là, j'ai fait appel, avant toute autre considération, à la fidélité qui est ma qualité première, pour ouvrir une page sur Abdelkader Allal et permettre à tous ceux qui l'ont connu de la remplir avec des mots simples, vrais, justes, qui s'écrivent spontanément…, parce qu'en harmonie avec nos émotions dans une circonstance pareille. Ne sommes-nous pas en cette année de bilan, où l'on s'exprime sur l'état de la nation après un demi-siècle de liberté et où l'on revisite nos acquis, et particulièrement, ces relations intimes avec la politique et ceux qui l'ont menée ? Ainsi, dans un élan de respect à notre aîné, à travers cet écrit qui se veut fraternel, mais objectif à tout point de vue, j'ai voulu lui dire que nous, ses véritables amis, nous ne l'avons jamais senti comme une copie d'amour, mais comme l'amour entier, pour ses proches, et même pour ceux qu'il ne connaissait pas. J'ai voulu, enfin lui dire, comme dans une confession, à cet homme dont la flamme de l'entraide animait son cœur, que nous savions, nous, ses proches, qu'il n'avait jamais été obsédé par l'angoisse de perdre, parce que nous savions aussi qu'il donnait tout ce qu'il avait… avec grand plaisir, avec dignité.
Quand vous écrivez, on sent dans votre démarche une certaine nostalgie… Ne croyez-vous pas que les jeunes qui, incontestablement, veulent connaître leur passé, ne veulent pas non plus s'intéresser à ces chicanes qui, aujourd'hui, sont l'occasion de gorges chaudes ? De la nostalgie, c'est trop dire, même si, quelquefois ou souvent, j'écris avec passion. Chez moi, c'est une forme d'écriture qui me contraint à expliquer davantage ce qu'était notre passé à l'ombre de certaines valeurs qui nous rassemblent encore, que sont la fidélité, l'engagement total avec les principes et constantes qui ont mené la Révolution de Novembre à son but final, la réappropriation de notre souveraineté nationale, spoliée, bafouée pendant plus d'un siècle. Ainsi, je ne sais pas si on peut appeler cela de la nostalgie.
En tout cas, ce qui est certain, c'est cette insistance sur des faits et des événements - du passé bien sûr - que je voudrais faire sentir en tant que valeurs d'exemple aux jeunes pour leur dire seulement que leur passé était plus sain, plus démocratique et, franchement, plus engageant. C'est donc un passé composé de «bonnes choses», d'Histoire glorieuse et d'hommes, tout aussi anonymes que militants, droits, sincères et engagés, qui ont cru en la Révolution, qui ont eu le mérite de la gérer, avec peu de moyens et beaucoup de conviction, mais, surtout, de bien la gérer dans l'honnêteté et la dignité. Les chicanes…, oui, elles ont existé. Elles existent toujours, hélas, pour nous rappeler que nombre de responsables n'étaient pas faits pour gérer une Révolution comme la nôtre, célèbre, victorieuse, s'il n'y avait le peuple «seul héros», en effet, qui a eu la volonté de l'accompagner et de la soutenir par ses nombreux sacrifices jusqu'à son terme final. Alors, vous avez entièrement raison de dire que les jeunes ne veulent pas s'intéresser à ces chicanes. Et pourquoi donc, vont-ils se remplir la tête de discordes et de dissensions ? Au demeurant cela, ne les intéressent nullement !
Les jeunes d'aujourd'hui, à qui nous devons montrer le beau visage du pays, doivent connaître les gens qui ont brillé dans le ciel de notre pays par leur courage, leur dévouement et leur abnégation dans les missions qu'ils ont accomplies pour nous libérer et nous situer, en bonne place, dans l'Histoire de l'Humanité. Les jeunes d'aujourd'hui, doivent apprendre les récits de la vie de gens comme Abdelkader Allal, à qui je consacre ce livre. Oui, un Abdelkader Allal que je mets en valeur, parce qu'il a de la valeur, que je mets en hépigraphe pour aller contre l'oubli, cette défaillance de la mémoire. Ainsi, je voulais montrer que Abdelkader Allal est parmi ces illustres personnages de notre pays qui sont là, avec nous, et ils seront toujours là, demain et après, avec leur souvenir et leurs idées, pour vivre en communion avec les générations qui se bousculent, qui se succèdent. Abdelkader Allal, à qui je rends hommage dans ce livre est parmi ceux qu'on ne doit pas honorer seulement, pour le plaisir de les honorer, mais parmi ceux qu'on doit faire connaître «pour donner plus d'impulsion et de motivation à la jeunesse surtout, cette importante frange de la société algérienne qui prendra le meilleur exemple sur ces valeureux militants et patriotes, savants et érudits, hommes d'art et de culture, pour aller de l'avant dans un mouvement continu de réussite et de progrès», comme le souligne le SG de l'Ugta dans sa préface.
Mais avez-vous tout dit dans ce livre concernant Abdelkader Allal, car à la lecture l'on sent qu'il y a un goût d'inachevé ?
Un goût d'inachevé ? Peut-être ! Mais ai-je tout dit ? Certainement pas, parce que Abdelkader Allal est un monument qui mérite plus que ce livre sous forme d'hommage. Entre amis, on le prenait pour ce Sphinx, auguste mais surtout silencieux. C'est vrai que je savais beaucoup de lui, pas tout, bien sûr, même si on discutait longuement sur des sujets brûlants, mais ce que je connais m'aurait permis d'écrire encore davantage si je m'étais évertué à sortir de mon carcan ma plume combattante. En effet, je n'ai pas tout dit, quand on sait que Abdelkader Allal, qui parlait peu, mais agissait beaucoup, passait délibérément sur énormément de «choses» qu'il voulait garder pour lui, en son for intérieur… qu'il voulait surtout oublier. A-t-il eu raison ? Peut-être que oui, peut-être que non.
En tout cas, pour l'homme sincère et courageux, pour le militant avéré qu'il fut, «celui qui a contribué de sa vie, de sa santé, pour que soient établis des principes scellés par le sang et les sacrifices», il ne voulait pas, indépendamment des embarras que cela aurait pu générer, faire de sa participation de militant un registre de commerce. Il avait entièrement raison, car les authentiques nationalistes n'ont pas fait dans la jactance, ni même dans l'exhibitionnisme. Ces comportements ridicules, il les avait laissés aux adeptes de l'imposture, de la fausseté, de l'usurpation, de l'escroquerie, qui ont porté préjudice au passé des Algériens qui, eux, ont fait de leur réelle participation une mission noble.
Une dernière question : quels sont vos projets d'écriture actuellement, vous connaissant producteur constant ?
Des projets, il y en a toujours quand on veut travailler pour l'éducation de la jeunesse. La matière existe dans un pays comme le nôtre qui n'est pas encore exploité en matière de restitution de ses souvenirs, c'est-à-dire de son Histoire, depuis les temps anciens. Alors, quant à moi, voyant ce vide plastronner dans un autre vide autrement plus dissimulé, qui est créé par l'oubli peut-être, l'indifférence certainement, je me suis mis très modestement avec les moyens que je possède, en tout cas avec une bonne volonté, à l'écriture de certains aspects de notre Histoire avec l'intention d'informer et, pourquoi pas, de participer à éveiller les consciences sur notre passé qui a de quoi rendre fiers tous les Algériens. Ce livre sur Abdelkader Allal est un exemple, et pas des moindres, parce que j'ai présenté aux jeunes un des créateurs de l'Ugta et, à travers lui, j'ai fait allusion à cet engagement indéfectible des intellectuels dans la Révolution.
J'ai un autre projet qui est en voie de finition, c'est toute l'histoire de la lutte des travailleurs algériens, du «mouvement ouvrier au mouvement syndical, de 1884 à 1962», une période hélas méconnue que j'essaye de mettre en valeur pour dire quel a été le prix qu'ont payé nos parents dans leurs luttes pour la justice et l'égalité dans le monde du travail. C'est un projet assez important qui va compléter modestement ce qu'ont produit les deux hauts responsables du syndicat, Boualem Bourouiba et Abdelmadjid Azzi.
Un autre, sur un autre plan, d'une autre facture qui raconte pratiquement une saga de souvenirs, dans le monde féérique et lascif de la mémoire. C'est un roman aux multiples facettes qui me déambule dans le passé, pour revisiter ce passé récent, le nôtre, du temps de la jeunesse, en m'inspirant de cette pléiade lumineuse qui commandait par la sagesse et le savoir de rois berbères…, de ces cadences héroïques des légendes, de ce temps de grandeur qui n'est plus, s'éloignant de la cité comme s'il fuyait la parole humaine… Alors, je m'imagine les restes de cette noblesse d'une capitale d'un royaume célèbre, à travers un roman nostalgique, dans une ville qui exhalait, il fut un temps, mille senteurs dominantes de citronnelle, de romarin, de lavande, et d'enivrants parfums de jasmin et de chèvrefeuille.


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