Il est clair qu'il n'est pas question, ici même, de la force d'inertie, mais de la force de l'inertie. La différence ne réside pas seulement dans la préposition qui introduit le complément de nom ou qui aurait marqué la possession. Comme on le sait de la science physique, la force d'inertie, autrement dit la force inertielle, c'est la puissance qui agit sur les masses à partir d'un point en mouvement accéléré. Cette force peut être une énergie d'entrainement. Le propos concerne donc la puissance de l'inertie politique qui paralyse le pays. Comme si des forces centrifuges l'ont plongé dans une période de glaciation, des temps paléoclimatiques froids où tout est englacé, figé, rigidifié. Depuis le 12 mai 2012, présenté comme le jour du Big Bang démocratique et de la catharsis politique, semblable en cela au Premier novembre 1954, rien de nouveau sous le soleil d'Allah. La roue électorale du FLN a tourné en sa faveur, mais rien ne va plus, car les jeux démocratiques de l'Algérie ne sont pas encore faits. Le pays attend ou n'espère plus son Godot ou bien, comme dans le Désert des tartares, attend l'ennemi qui ne sera pas là. Les Algériens, à l'image des deux vagabonds Vladimir et Estragon, se retrouvent dans un non-lieu, une route de campagne, à la tombée de la nuit, pour attendre Godot, cet homme providentiel qui ne viendra jamais. Godot avait pourtant promis qu'il viendrait. Godot représentait un espoir de changement dans leurs vies. Depuis l'éclosion des révoltes arabes, le chef de l'Etat, en principe maître de l'horloge politique et de l'initiative constitutionnelle, a promis des réformes démocratiques substantielles. Depuis, on a eu des textes de loi qui ont reconduit en l'édulcorant le statu quo ante, consolidé d'ailleurs par les législatives du 10 mai 2012. La montagne du régime a alors accouché d'une nouvelle souris FLN, la même en fait, en attendant le Godot constitutionnel. Et, depuis, plus rien. Pas même la démission logique de l'actuel Premier ministre. Un Ahmed Ouyahia qui, cas de figure possible, aurait été reconduit pour gérer les affaires courantes, en attendant la mise en place d'un nouveau gouvernement dont la composition aurait été conforme à la nouvelle règle constitutionnelle de la parité féminine. Rien de cela. En lieu et place, reconduction du même gouvernement qui, à quelques retouches près, est à cheval entre deux mandats présidentiels. Pas même un petit mouvement dans le statu quo, comme aurait dit Hocine Aït Ahmed. De quoi alors sera fait demain et de quoi la prochaine révision constitutionnelle sera-t-elle le nom ? Nul ne le sait, pas même les spécialistes de la lecture dans le marc de café présidentiel. Dans l'attente du Godot algérien, c'est le grand walou. Jusqu'ici, on a promis, la main sur le cœur, que les réformes politiques, à petits pas, en douceur et à moindre frais, feraient basculer mécaniquement le pays dans le cercle vertueux de la démocratie. On a même affirmé que ces réformes étaient une garantie en titane contre les ingérences extérieures qui auraient fait de l'Algérie une nouvelle Libye ou une autre Syrie. Mais, position géopolitique oblige et rôle dans la lutte antiterroriste aidant, l'Algérie était déjà épargnée par les interventions extérieures dans ses affaires internes. Mais, à force d'être devenu une antienne politique, l'argument du risque d'ingérence devient un alibi pour ne pas démocratiser un pays en attente de démocratisation réelle depuis la Constitution de 1989. Sur le fond, les problèmes à l'origine de l'explosion de violence nihiliste qui a déferlé sur le pays depuis 1992, n'ont pas été réglés. L'islamisme n'est pas mort. Loin s'en faut. Il est juste fragmenté et pas encore en bon ordre de bataille, le pouvoir s'évertuant à le fractionner d'avantage. Comme en témoigne la récente annonce de création du Tèdj, acronyme en arabe pour Rassemblement de l'espoir algérien, lancé par un dignitaire islamiste du régime. Le même pouvoir, confortablement assis sur une rondelette rente pétrolière et sur la stoïque retenue des Algériens qui redoutent le retour à la géhenne terroriste, attend et atermoie pour mieux retarder les échéances de changement. Il donne l'impression de vouloir donner encore plus de temps au temps. De s'empresser à toujours appliquer sa devise forte, «il est urgent d'attendre» Godot. Bien sûr, d'aucuns trouveraient que le statu quo est préférable à un printemps politique fiévreux qui livrerait le pays à l'islamisme, quand bien même aurait-il la barbe bien taillée pour les périodes de transition incertaines. En somme, pour le pays, c'est l'alternative du diable ! Justement, un avocat du diable dirait, lui, que le statu quo serait la meilleure façon de faire le lit de l'islamisme dont on redoute de le voir vêtir l'Algérie d'un kamis liberticide. Si, avec les hydrocarbures, le régime a accumulé les pétrodollars, dont une partie conséquente en avoirs oisifs à l'étranger, il aura perdu en revanche un bien plus précieux : Le temps. Aujourd'hui, que les forces du changement ont été progressivement neutralisées depuis 1991, les réformes profondes attendues par les Algériens seraient beaucoup plus difficiles à accomplir. D'autant moins aisées à réaliser que les forces centripètes du changement ont été écartées ou forcées à l'exil. En revanche, les forces de l'inertie se sont installées partout dans les rouages de l'Etat et de l'économie, à la faveur de la lutte antiterroriste et de l'accumulation de la rente énergétique. Jusqu'ici, on a soigneusement évité les ingérences étrangères. Soit. Mais, le pourrait-on indéfiniment ? Si on ne permettait même pas un petit mouvement dans le statu quo, comme l'espère Hocine Aït Ahmed, pourrait-on dire, demain, que l'islamisme, qui aurait peut-être une barbe mal taillée, ne serait pas la mauvaise réponde à la crise de perspective démocratique qui perdure ? N. K.