L'Expression: Dans le contexte des prochaines élections législatives, quel regard portez-vous sur la situation politique actuelle en Algérie? Abdesselam Ali-Rachedi: Les prochaines élections législatives s'inscrivent à la fois dans le maintien du statu quo et dans un renouvellement relatif de la façade du régime. Le régime algérien a proposé ce qu'il a appelé des réformes, à la fois pour calmer l'agitation de la rue telle qu'elle s'est manifestée au début de l'année 2011 et de façon sporadique par la suite et en même temps pour donner des gages aux puissances occidentales qui redoutent que la «révolution arabe» gagne l'Algérie et devienne incontrôlable. Pouvez-vous formuler un pronostic plus précis sur l'issue de ces prochaines élections législatives? Soyons clairs, les conditions pour des élections démocratiques ne sont pas réunies. L'abstention, comme en 2007, sera massive. Le scrutin lui-même pourrait se dérouler sans fraude et satisfaire les observateurs. Mais au final, cela sera la politique des quotas, avec des résultats fabriqués en laboratoire au moment de la consolidation des votes. Le pouvoir pourrait être tenté de s'inspirer des résultats des scrutins en Tunisie et en Egypte où les islamistes ont obtenu une majorité relative pour faire émerger une majorité islamiste maison, en faisant croire qu'il s'agit d'une ouverture politique. L'argument étant que si un scrutin se déroule librement, ce sont les islamistes qui gagnent. Mais cette ruse ne marchera pas car dans le cas de la Tunisie et de l'Egypte, les tyrans ont été chassés du pouvoir par la rue, alors que chez nous le régime veut se perpétuer en mettant en avant des islamistes qu'il contrôle. Si ce résultat est le choix libre et transparent des électeurs, en quoi peut-il être contesté? La démocratie ne se résume pas à un processus électoral. Sans ouverture politique et médiatique à même de permettre aux forces politiques et sociales de se structurer et de s'organiser, les élections ne sont qu'un leurre. Par ailleurs, la démocratie est le moyen par lequel se réalise l'alternance. Or, le pouvoir algérien n'a pas du tout l'intention de s'en aller. La prochaine Assemblée populaire nationale étant appelée à amender la Constitution, quels amendements pourrait-elle apporter? Dans l'absolu, la Constitution devrait être profondément révisée pour mieux garantir les droits de la personne humaine, l'équilibre et la séparation des pouvoirs... On pourrait même penser qu'une nouvelle Constitution serait nécessaire pour marquer l'avènement d'une nouvelle République, après un demi-siècle de nationalisme autoritaire. Mais nous n'en sommes pas là. La révision dont il s'agit ne remettra nullement en cause les fondamentaux sur lesquels s'appuie le régime. Elle servira plutôt à encadrer la succession de l'actuel président, surtout s'il n'est pas en mesure d'achever son mandat et qu'il faille gérer une période de transition. De toute façon, il n'y a rien à craindre pour la stabilité du pays car, comme tout le monde sait, le vrai pouvoir, celui des décideurs de l'ombre, n'est pas mentionné dans la Constitution et n'est donc pas concerné par une révision constitutionnelle. Tout le monde admet que les réformes ont été initiées dans un contexte social critique. Quel lien peut-on établir entre ledit contexte et les réformes adoptées? Avec la manne pétrolière, le pouvoir a les moyens d'acheter la paix sociale, au moins pour un temps. C'est dans ce but qu'il a consenti de généreuses augmentations de salaires et un soutien massif aux prix des produits alimentaires. Ensuite, il dispose d'un dérivatif à même de neutraliser momentanément certaines attentes: les élections législatives. Enfin, la célébration du cinquantième anniversaire de l'Indépendance lui permettra encore une fois de jouer sur la fibre nationaliste en mobilisant à fond ses outils de propagande habituels. La démarche du pouvoir n'est en fait qu'une fuite en avant, la ruse ne pouvant jamais faire office de bonne gouvernance. Ces réformes ne paraissant pas augurer d'une véritable ouverture du champ politique en Algérie, les pouvoirs publics vous semblent-ils totalement disqualifiés pour gouverner le pays? Les dirigeants de l'Algérie -pays jeune- sont des vieux d'une autre époque. Effectivement, ils sont totalement disqualifiés pour gouverner le pays. Il y a longtemps qu'ils auraient dû céder la place. N'est-il pas proprement incroyable que, dans l'ex-URSS, le Pcus et la PRAVDA aient disparu alors que chez nous, le FLN et El Moudjahid sont encore là? Comment expliquez-vous la fragmentation actuelle du courant démocratique en Algérie? Je n'aime pas le terme courant démocratique. La démocratie n'est pas un parti politique. C'est une manière de fonctionner qui concerne toute la société, l'Etat, les partis politiques dans leur totalité, les syndicats, les associations, la presse... Sinon, quel serait le courant antidémocratique et est-ce que ce courant serait lui aussi fragmenté? La bonne question serait: «Pourquoi les Algériens n'arrivent pas à s'unir pour constituer une force à même d'imposer une transition démocratique?» L'avènement d'une majorité parlementaire islamiste serait-il une menace pour la stabilité institutionnelle du pays? Je ne le pense pas. D'abord, parce qu'il n'y aura pas de véritables élections. Ensuite, comme je l'ai dit plus haut, les partis en question ont été apprivoisés par le pouvoir qui s'en sert comme d'une carte, pour montrer qu'il a consenti une ouverture politique. Quant à la menace pour la stabilité du pays, elle vient plutôt de ceux, non élus et non connus, qui prennent des décisions dans l'irresponsabilité totale, sans jamais rendre compte et sans assumer les conséquences de leurs décisions. Par contre, les islamistes continueront de menacer la quiétude des citoyens par leur intolérance et l'imposition d'un pseudo-ordre moral. Face à une éventuelle majorité parlementaire islamiste, comment pourrait réagir l'Armée algérienne? Pourquoi s'inquiéter outre mesure d'une majorité islamiste qui n'est qu'un épouvantail manipulé par les marionnettistes de l'ombre? La politique des puissances occidentales vis-à-vis de l'Algérie obéit-elle à une feuille de route préalable? Les puissances occidentales sont obsédées par la stabilité. Si l'instabilité, voire la violence s'installe dans un pays et menace leurs intérêts, elles ne peuvent pas rester indifférentes. Tant que le régime algérien se montre capable de garantir une stabilité relative, il continuera de bénéficier du soutien de l'Occident. Les Algériens, qui ne haïssent rien de plus que l'ingérence étrangère dans leurs affaires, ont donc intérêt à ce que leur combat pour la liberté et la dignité aboutisse à un changement pacifique et ordonné. La situation politique -des plus sombres- vous conduit-elle à envisager d'autres perspectives pour le pays? Je suis par nature optimiste et demeure convaincu que les Algé-riens sauront trouver en eux-mêmes les moyens de renouer avec la transition démocratique.