De notre correspondant à Constantine Nacer Hannachi Introduire une simple «mesure» pour la modernisation et la fusion de cet art andalou avec d'autres genres. L'idée est purement et simplement rejetée. Les puristes demeurent catégoriques : point de modernisation sans préservation de l'authenticité. Toutefois, certains admettent le changement dans une orchestration agrémentée de quelques notes de plus ou de moins… Pourvu que la trame mélodieuse propre au malouf garde son âme et son tempo originel.Moderniser le malouf a ainsi suscité un long débat, voire une polémique, depuis longtemps. L'avènement du DimaJazz, le festival international de jazz de Constantine, a remis sur le tapis ce débat. Il fallait présenter quelque chose de typique à Constantine mais qui cadre avec la musique universelle. C'est ainsi qu'apparaissent des perspectives d'arrangement et de modernisation soutenues en vue de créer un métissage qui réponde à la philosophie du festival. Auparavant, le ton était donné par des chanteurs locaux néophytes mais d'une popularité avérée, très sollicités pour l'animation de fêtes et qui ont eu l'audace de braver les puristes en venant taquiner ces airs andalous demeurés tabous et dont les «partitions» sont sauvegardées par ces garants de l'authenticité que sont les puristes. On verra ainsi quelques instruments dits modernes cohabitant avec l'ensemble ancestral. Ces expériences n'ont cependant pas franchi les scènes locales. Elles ne rejoindront pas les rangs du professionnalisme et de l'orchestration, faute d'une étude musicale approfondie permettant l'acceptation de la notion de modernité. Débat ouvert entre jeunes novateurs et puristes Toutefois, les «écarts» de ces jeunes musiciens seront vertement critiqués par des cheikhs qui estiment ces changements et apports inappropriés. Pis, ils considèrent que cette modernisation finira par dénaturer cette richesse andalouse qui reste avant tout un patrimoine national qu'il faudra d'abord songer à sauvegarder, promouvoir et vulgariser davantage. La fusion, ce précepte de métissage, a été soulevée à maintes reprises par des associations musicales locales. Néanmoins, l'approche n'est pas allée plus loin que le débat qu'elle aura provoqué. Des appréciations et des avis ont fusé ça et là mais sans grand impact sur l'art. «La formule s'apparente beaucoup plus à une expérience occasionnelle, qui devrait servir beaucoup plus à des échanges de styles afin de vulgariser le chant. Sans ces aspects, la fusion en elle-même ne pourra s'adapter au malouf en lui accolant à titre d'exemple le jazz», soutient le violoniste et maestro de l'orchestre régional de Constantine, Samir Boukredera. «Seules quelques musiques peuvent s'allier au malouf comme le tunisien ou le maghrébin. Afin de réussir la fusion, il est des critères qui doivent être communs. Dans le cas contraire, c'est un produit «atone» qui en résulterait, ce qui amène à le cadrer dans un contexte empirique. La fonte malouf-jazz demeure une perspective inappropriée», soutient-il. Mais cela n'empêche pas certains musiciens de tenter des expériences d'ouverture vers d'autres genres musicaux. Ces artistes se disent même émerveillés par la fusion des styles. En témoigne le dernier essai signé Salim Fergani avec le groupe local de jazz Sinoudj. Certes, les musiques universelles admettent les métissages, mais il faudrait aussi garantir une symbiose au risque de perdre l'âme de la musique originelle. En fait, les avis demeurent partagés sur le sujet. Fusion ou non ? C'est une question d'appréciation personnelle. De nouvelles noubas pour enrichir le répertoire La vocation principale assignée à l'orchestre régional de Constantine est de maintenir intact le patrimoine andalou sans le dénaturer. Et on peut dire que cet objectif est d'ores et déjà atteint et que l'authenticité et l'essence du genre sont préservées. Dès lors, rien n'empêche l'enrichissement par le croisement avec d'autres styles. «Créer un nouvel répertoire en parallèle avec celui déjà existant demeure le nouveau credo des novateurs du malouf dont notre orchestre régional», expliquera le chef d'orchestre de cette troupe, qui précisera toutefois qu'il est pour la sauvegarde du patrimoine. «C'est, une musique savante. Ainsi, est-il important de la transmettre fidèlement ait mélomanes. En plus, elle ne devra souffrir d'aucune altération qui puisse fausser sa mélodie principale», soutiendra encore le musicien.Sans qu'il soit «enlaidi» par des notes de trop, le malouf, de l'avis de ses adeptes, pourra voyager longtemps à travers le temps. C'est d'ailleurs la volonté émise par la troupe locale sous la houlette du maestro Boukredera qui reste quelque peu le «novateur» actuel puisqu'il crée de nouvelles orchestrations en s'articulant sur un dispatching minutieux sans trop forcer sur le tempo pour faire toujours retentir cette âme andalouse propre à Constantine. «Disons en quelque sorte que nous sommes en train de ‘‘dépoussiérer'' cette musique de ses mauvaises interprétations instrumentales souvent abusives dans quelques passages telles les appogiatures. Conçu, selon certains, pour des fêtes, donc point de mesure et de retenue quand il s'agit d'improviser, le malouf est une musique qui doit être respectée d'abord par ses interprètes. Il faut se délester du jeu folklorique qui ne répond à aucune spécificité de cette musique. Dans le cas échéant, les générations futures percevraient des airs altérés aléatoirement et ce n'est pas de la sorte qu'on pérennise un art ancestral», affirmera Samir Boukredera. L'orchestre est en phase de conclure les enregistrements. Outre de nouvelles créations en forme de nouba zidane et mazmoum et autres berwalis qui devraient former le coffret musical incessamment, on y découvrira également le traditionnel malouf pour rester 100% puriste dans les classiques inoubliables du malouf. C'est une démarche qui permettra aux férus d'apprécier l'évolution du chant qui doit s'adapter à chaque période tout en préservant le background jugé par les puristes «intouchable». Fidèle à la composition originale, la formation régionale maintient uniquement les instruments traditionnellement utilisés. «L'âme du malouf devra prédominer», insiste-t-on. C'est ainsi que Boukredera entend «révolutionner» cette musique. Seule l'interprétation est sujette à quelques ornementations. Le maestro, tout novateur qu'il est, reste au fond un préservateur qui bannit toute introduction d'instruments dits, modernes tels que les cuivres, les instruments à vent ou électriques, et ce, pour maintenir l'authenticité du patrimoine musical qu'est le malouf, qui, il faut le dire, est bien préservé grâce au travail des associations musicales locales. Quant à la fusion, elle se fraye son propre chemin en douceur, sous le regard vigilant des puristes qui veillent à ce qu'on ne confonde pas fusion créative et enrichissante à confusion discordante et dénaturante.