Le directeur général de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), n'est pas le genre à enjoliver quand cela va mal. Jacques Diouf, s'exprimant, récemment, depuis Paris, note qu'il y a péril en la demeure, mettant en garde contre le risque de voir l'envolée actuelle des prix des denrées alimentaires dégénérer en «guerre civile» dans certains pays. Il semble avoir mesuré l'ampleur des dégâts produits par la flambée des prix des matières premières enregistrée ces dernières semaines. Il a récemment estimé que la hausse des prix des produits alimentaires avait un impact dévastateur sur la sécurité de nombreux peuples et sur les droits de l'homme notamment en Mauritanie, au Cameroun, au Burkina Faso, en Ethiopie, en Indonésie, en Egypte, au Maroc, en Côte d'Ivoire, au Sénégal, à Madagascar, aux Philippines, et à Haïti, pour ne citer que ces pays-là. La facture des importations céréalières des pays les plus pauvres augmentera de 56%, en 2008, après avoir augmenté de 37% en 2007. Un certain nombre de pays ont réagi à cette spirale des prix. Ils ont pris des mesures pour y remédier. Ils le font comme ils le peuvent : certains ont opté pour le renforcement de leurs filets de protection sociale ciblés vers les groupes vulnérables alors que d'autres ont réduit les tarifs et autres taxes sur des denrées essentielles. Par contre, des pays ont pris des mesures pour interdire les exportations de certains produits, et ce, au détriment des pays importateurs de produits alimentaires. Au niveau international, comme au niveau régional, des conférences, des séminaires s'organisent. Les ministres africains de l'Economie et des Finances réunis récemment à Addis Abeba ont décidé de prendre des mesures pour lutter contre les effets de la hausse des prix alimentaires qui menace la stabilité et la croissance économique de l'Afrique. L'UE qui avait annoncé au début de l'année une nouvelle politique énergétique avec une place importante réservée aux biocarburants, a souligné depuis un mois la nécessité d'abandonner une telle orientation, indiquant n'avoir pas prévu les problèmes qui pouvaient découler de sa politique visant à garantir une utilisation de biocarburant à 10%. Alors que la flambée des prix a fait partie des grandes questions au menu des réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI à Washington, le DG de la FAO a lancé un appel aux chefs d'Etat et de gouvernement des 191 membres de l'organisation onusienne pour qu'ils participent, le 3 juin prochain à Rome, à une conférence sur la sécurité alimentaire mondiale. Mais avant de dégager un consensus autour de cette réunion, les pays affectés déjà par la crise ont commencé à prendre certaines mesures. A Accra, les participants à la 12e Conférence de l'Onu sur le commerce et le développement ont lancé un appel pour des mesures immédiates en faveur de la sécurité alimentaire et pour conclure les négociations commerciales mondiales du cycle de Doha. A Maputo, le président mozambicain, Armando Guebuza, a annoncé la création d'une commission interministérielle chargée d'empêcher que la flambée des prix des céréales ne débouche sur une crise alimentaire. A Dakar, le président Abdoulaye Wade a déclaré la «guerre» au coût élevé des denrées de base en appelant la jeunesse à adhérer à son plan de «Grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance». A Libreville, les autorités gabonaises essayent de trouver des solutions urgentes, après les manifestations contre la vie chère, que le pays a connues, ces derniers jours. Ce qui est sûr, pour l'instant, c'est que l'envolée des prix des matières premières et des produits alimentaires sur le marché international divise grandement les experts et les représentants d'institutions internationales quant aux causes ayant été à l'origine de cette situation qui menace l'économie mondiale de récession et compromet la stabilité sociale dans certains pays, notamment ceux du sud de la planète. C'est du jamais-vu depuis la crise mondiale de 1929. Faut-il, dans pareille situation, un plan Marshall ? Le contexte n'est pas le même. Aujourd'hui, les facteurs spéculatifs dus notamment à une dépréciation du dollar et à une chute des taux d'intérêt qui ont renforcé l'attractivité des matières premières par rapport aux placements dans les Bourses, la mondialisation, et le développement des biocarburants à base de denrées alimentaires sont les principales causes de cette envolée des prix au niveau international, selon l'avis de plusieurs experts ou représentants d'institutions internationales. Y. S.