Ahmed Ouyahya est parti. Encore une fois, sur la pointe des pieds et sans un mot. Dégommé et nommé pour des raisons qui échappent parfois à la raison pure. Mais non sans raisons réelles. Et conformément à une certaine logique politique complexe et parfois tarabiscotée. Le tout relevant de la chimie pure, celle qui tient compte des équilibres politiques et régionaux et du rapport de force au sein du régime. Des motifs qui procèdent aussi de l'alchimie, dont une des composantes essentielles est l'humeur souvent insondable du prince. Abdelmalek Sellal est venu. Il l'a remplacé, avec la même retenue contrainte. Un gouvernement a été nommé. On ne dira pas qu'il est nouveau, car, comme d'habitude, c'est du neuf avec de l'ancien. De l'ancien partiellement rénové, bref, du réchauffé. Une resucée, une redite, une reprise. Il fallait s'y attendre et les nombreux déçus dans la presse, qui se sont sentis cocufiés et horrifiés par le statu quo dans le statu quo ante, n'avaient aucune raison valable de l'être. Le jeu est connu même si on ne connaît pas toujours ses règles. Le départ du patibulaire Ouyahia, l'arrivée du jovial Sellal et la désignation d'un gouvernement ad hoc sont, d'un point de vue formel, un non événement. En revanche, ce qui a du sens, ce sont les ressorts du choix de Sellal, grand commis de l'Etat et homme sûr du sérail, comme l'est, jovialité et humour de potache en moins, Ahmed Ouyahia. On sait d'ores et déjà que Sellal ne pourra pas faire grand-chose de révolutionnaire. Non pas que la bonne volonté ou les compétences d'énarque et la longue expérience dans les rouages de l'Etat et de l'Administration territoriale lui feraient défaut. Loin s'en faut. C'est le temps qui lui manquera le plus. Davantage la marge de manœuvre. Très étroite car consubstantielle à son poste étriqué de Premier ministre et non plus de chef de gouvernement. Comme c'est le cas depuis la révision constitutionnelle de novembre 2008 qui fait du président de la République le vrai et l'unique chef de l'exécutif. A l'instar de son prédécesseur, Sellal sera un parfait exécutant d'une feuille de route politique et d'un programme économique bien définis. Et consensuels. Car toutes les parties du régime sont d'accord pour que le gouvernement Sellal soit celui d'une transition politique. D'ailleurs, les premiers mots de Sellal furent de dire que sa mission, strictement délimitée, est de continuer à appliquer le programme présidentiel. Le reste de son travail et de sa communication, sera une affaire de technocrate auquel le chef de l'Etat aura délégué la gestion technique des dossiers. De ce point de vue, Sellal, réputé probe comme wali, ministre et diplomate, serait, nul doute à ce sujet, loyal, fidèle et conciliant. L'homme, affable et bon vivant, connu pour son sens de la pondération et du compromis ne ferait pas de vagues. Il n'est pas ainsi formaté. Son choix comme dernier Premier ministre avant l'élection présidentielle d'avril 2014, n'a rien de fortuit, encore moins d'une surprise. Homme du Système, comme Ouyahia, Sellal présente un avantage politique certain par rapport à son prédécesseur au poste. Il est plus consensuel au sein du pouvoir. Il est accepté à la fois par les militaires, tous secteurs confondus, et par le président de la République qui apprécie beaucoup son commerce agréable qui, souvent, le déride. En plus de ces compétences techniques, le Constantinois n'est pas un boutefeu, c'est connu, mais plutôt un boute-en-train qui plus est sait arrondir les angles. Toutes ces qualités, en tout cas perçues comme telles par ceux qui l'ont choisi, lui seront utiles pour mener à bien une triple mission. S'occuper des affaires courantes et des dossiers économiques et techniques. Préparer les prochaines élections municipales et, surtout, le scrutin présidentiel d'avril 2014, qui devrait trouver –le conditionnel est vraiment de mise- un successeur à Abdelaziz Bouteflika. Et, question pour le moins ardue, gérer le mécontentement social, le front des émeutes de la malvie étant susceptible de connaître des accès encore plus fiévreux. Et, pour permettre à Sellal de travailler sans parasitage préjudiciable à la bonne marche du gouvernement, le chef de l'Etat, tout comme les «noueurs et démêleurs de fils» au sein de l'armée, ont consenti à ce que certaines figures emblématiques du gouvernement le quittent. De même que pour certains partis de l'opposition. Sans pour autant que le retrait de ces personnalités symboliques soit synonyme d'un enterrement politique de première classe. C'est le cas notamment d'Ahmed Ouyahya. Un peu moins d'Abdelaziz Belkhadem qui doit s'attendre à ce que les dobermans du « redressement » au FLN sortent de nouveaux les crocs, avec l'envie de le mordre hargneusement au mollet. Pendant ce temps, l'armée et le DRS seraient, le croient-ils du moins, plus tranquilles pour s'occuper de la sécurisation des frontières, de la sanctuarisation du territoire, d'Aqmi et du Mujao au Sahel et en Algérie. Quant à lui, le chef de l'Etat, du moins le penserait-il, aurait plus de temps et moins de soucis pour peser sur le choix de son éventuel successeur. A moins que la biologie, le hasard et la nécessité politique et, bien sûr, son envie personnelle et sa propre volonté en décideraient autrement à la veille du mois d'avril 2014. N. K.