A l'heure de la lutte contre l'informel, il est un marché dont la régulation reste une épée de Damoclès suspendue sur la tête du nouveau gouvernement, installé depuis une vingtaine de jours. Un marché qui pèse près de 3 milliards de dollars dans un secteur, la santé, stratégique et garant de la cohésion sociale. Il s'agit bien de celui du médicament. La levée du monopole des entreprises publiques de commercialisation de produits pharmaceutiques (Enapharm, Enopharm et Encopharm) en matière de distribution de médicaments en Algérie, en 1996, et l'ouverture sans «gardes fous» du marché s'est soldée, plus de vingt ans plus tard, par l'émergence d'un véritable «Far West», où tous les coups sont permis pour faire des profits au détriment de la santé des citoyens. Plus de deux décades après cette libéralisation incontrôlée, le marché est constitué d'une soixantaine de producteurs, une vingtaine de conditionneurs et plus de 600 distributeurs. Cette diversité relative, serait une aubaine si les acteurs avaient un peu de respect pour les règles commerciales, pour la vie ou étaient soumis à un contrôle efficace. Dans un contexte économique et politique délicat, l'ouverture du marché a vu, dès son annonce, la main mise de «caciques» du système, qui s'étaient déjà érigés en «nababs» des produits pharmaceutiques. Forts de leur «puissance», ils ont constitué des nébuleuses concentriques clientélistes en charge de la distribution des molécules et autres génériques importés, dont l'exclusivité détenue auprès des laboratoires étrangers faisait leurs choux gras. Plus tard, par arrangement ou bon vouloir de ces clans, détenteurs du «droit» non écrit mais «convenu» d'accaparement du marché, les firmes internationales commencent à s'implanter sur le territoire algérien. Dans ce climat de suprématie et de toute puissance, ces firmes, en redoutables lobbyistes profitent de l'aubaine et transgressent toutes les règles de déontologie et d'éthique dans un marché qui est justement déréglé. Et ce n'est qu'en 2011 que les pouvoirs publics, les médias et l'opinion publique prennent toute la mesure du mal qui a gangréné le marché algérien des produits pharmaceutiques. La pénurie qui a touché quelque 300 médicaments au niveau des pharmacies centrale des hôpitaux (des pénuries de médicaments sont récurrentes, mais celles de 2011 était marquante par le nombre de produits en rupture et l'effet médiatique en découlant) a révélé le pot aux roses. Ce n'est qu'à ce moment que les officiels (dont le désormais ex-ministre de la Santé Djamel Ould Abbès) ont commencé à crier gare au loup, dénonçant une mafia du médicament. En effet, des milliers de tonnes de médicaments périmés sont enregistrés au niveau des officines de pharmacies et on révèle des pratiques odieuses, telles que la rétention et le stockage de certains produits, pour créer des crises. Ces lobbys du médicament -on notera que selon Ould Abbès sur les 600 distributeurs, seul 23 réalisent 80% du chiffre d'affaires de la filière, chiffres avancé en décembre 2011- engagent un véritable bras de fer pour contrecarrer les tentatives de l'Etat d'imposer un minimum de règles pour juguler leur appétit vorace. La remise au gout du jour, par les pouvoirs publics, de mécanismes de contrôles, comme la procédure de déclaration statistique ou le tarif de référence du remboursement de chaque médicament, et dont les textes législatifs existent depuis 1995, ne sont pas pour les satisfaire. Mais ce qui provoque l'ire des acteurs du marché c'est les lois prônant la préférence nationale en interdisant l'importation des médicaments dont les génériques sont produits localement, le business plan visant à produire localement 70% des besoins nationaux à l'échéance 2014, ainsi que l'obligation faite aux opérateurs d'investir dans la production. Les distributeurs ripostent alors en créant des pénuries sur le médicament et les matières premières. En réaction, l'Etat avance ses pions. Nouveau statut pour les pharmacies centrales des hôpitaux, installation en cours de l'agence nationale du médicament, projet d'un grand pôle de biotechnologie, avantages accordés aux producteurs locaux et, surtout, poursuites judiciaires contre douze laboratoires pharmaceutiques importateurs pour surfacturations de matières premières de médicaments, atteignant 153 milliards de dinars en 2012, et retrait d'agrément pour les importateurs qui ne respectent pas leurs engagements. Et le bras de fer se poursuit avec le nouveau ministre de la Santé, Abdelaziz Ziari, qui promet une réforme rapide du secteur. La régulation du marché du médicament est une tâche ardue face au puissant lobby des firmes internationales. Il est question d'une lutte implacable contre les abus, mais elle nécessite aussi une politique de santé cohérente et efficiente. Il s'agit d'abord de fixer les priorités en matière de santé, les besoins réels des populations et des professionnels du secteur ainsi que d'effectuer un travail de prospective pour éviter que ce qui est écarté par le porte ne revienne par la fenêtre. Car ces lobbys ont plus d'un tour dans leurs sacs. Et on le voit bien avec cet exercice raffiné qui consiste à user de lobbying pour faire prévaloir l'adoption d'un plan de lutte contre une maladie au détriment d'une autre sans prendre en considération les priorités du moment. Qui peut dire, maintenant en Algérie, s'il est plus urgent d'investir dans les centres de lutte contre le cancer que contre les maladies cardiovasculaires ? Cela aussi est un travail de lobbying. S. A.