La déconvenue de Washington était bien perceptible après l'assaut contre le consulat des Etats-Unis à Benghazi, le 11 septembre dernier, et qui s'était soldé par la mort de l'ambassadeur et trois employés de la représentation. L'amertume du président Obama était d'autant plus forte qu'aussitôt après, il fut établi que la tragédie de Benghazi n'était pas un simple incident isolé, favorisé par le pretexte d'un film anti-islam diffusé sur la toile. Il sera établi par la suite, que les assaillants lourdement armés qui avaient commis le forfait, en se joignant à la foule de manifestants venue protester contre le trivial pamphlet couché sur pellicule, s'étaient juste saisis de l'opportunité d'une date anniversaire et d'un légitime mécontentement populaire pour frapper durement les Etats-Unis. Le 11 septembre 2012 marque en effet le onzième anniversaire de l'attentat contre le World Trade Center de New York, œuvre spectaculaire de terroristes islamistes, déterminés, au service de Ben Laden. L'occasion faisant le larron et le terroriste, quelques jours auparavant, le N° 2 d'Al Qaîda, Yahia était tué par un drone américain au Yémen. Le 10 septembre 2012, soit donc un jour avant la date-anniversaire, Ayman al-Zawahiri, successeur de Ben Laden, confirme la mort de son premier adjoint, le libyen Abou Yahia Al-Libi, tué le 4 juin par un drone de l'armée américaine dans le Nord-Waziristan, une zone tribale du Pakistan frontalière de l'Afghanistan. Concordance événementielle et effervescence émotionnelle dans le monde arabo-musulman se sont donc offertes comme trame idéale à un redéploiement mémorable d'Al Qaïda. Le symbole est plus fort encore si l'on considère l'appui apporté par les Etats-Unis à la chute de Kadhafi et dont Benghazi fut un fer de lance essentiel. Pas encore remis de la surprise libyenne, Obama et ses conseillers vont recevoir un autre coup de poignard en Tunisie où, à l'occasion d'un vendredi de manifestations, l'école américaine de Tunis sera incendiée et l'ambassade difficilement défendue par des forces de police désemparées et sans ordres précis d'un gouvernement aux mains des islamistes d'Ennahda. Il a fallu, dit-on, que le président Merzouki fasse appel à la Garde républicaine et ses blindés pour épargner à la représentation diplomatique des Etats-Unis un incendie ravageur, qui lui aurait fait subir le même sort que celle de Benghazi. Tiédeur des nouveaux alliés Là aussi, les Américains croyaient être en pays ami. Ils s'étaient félicités de l'arrivée au pouvoir des islamistes et ont promis d'aider les nouvelles autorités tunisiennes. Le Caire, ce même jour du 14 septembre, ne fera pas preuve de plus de gratitude à l'égard de Washington qui, pourtant, avait soutenu les Frères musulmans dans leur prise de pouvoir. Là aussi, il s'en était fallu de peu pour que l'ambassade américaine s'embrasât. Il a même fallu que Barak Obama hausse le ton pour que le gouvernement égyptien renforce la protection autour de l'édifice diplomatique. Le nouveau président égyptien, Mohamed Morsi, sachant qu'il avait affaire à des Salafistes, de bons alliés contre ses opposants égyptiens, a trop hésité avant de sonner la charge. Ce qui fera dire au chef de l'exécutif américain que l'Egypte n'était «ni un pays allié ni un pays ennemi», livrant sans doute le vrai fond de sa pensée : le seul et unique allié sûr des Etats-Unis dans la région est et restera Israël.Premier enseignement : le fameux discours de juin 2008 prononcé au Caire par Obama, et par lequel il voulait se concilier l'islamisme politique, n'a pas sorti les Etats-Unis de leur statut d'ennemi privilégié des islamistes doctrinaires qui forment le cocon géniteur des djihadistes. Au mieux, les islamistes qui ne prennent pas les Etats-Unis pour cible se suffisent-ils, pour le moment, de les considérer comme le représentant N°1 de l'Occident décadent, en attendant de leur faire épouser la foi musulmane, quand un nouveau rapport de force mondial le rendra possible. Incertitudes en Libye, retour en force d'Al Qaïda au Yémen, avancées victorieuses des Taliban en Afghanistan, multiplication des attentats sanglants en Irak, bras de fer à l'issue incertaine avec l'Iran par Syrie interposée et autour du programme nucléaire de Téhéran…Décidément, là où les Etats-Unis ont eu à s'impliquer, à un moment ou à un autre, par interventionnisme militaire direct ou par ingérences via la CIA et les ONG agissant sous sa férule…partout leur politique, basée sur la préservation de leurs seuls intérêts énergétiques et géostratégiques ainsi que la sécurité d'Israël, a engendré instabilité chronique, résurgence violente du terrorisme et, corollaire naturel, misère sociale et appauvrissement économique. Espérant, à tort, transposer le modèle saoudien et son wahhabisme dans d'autres pays de la région, les Etats-Unis ont, pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, une vision qui n'est pas seulement erronée. En croyant s'acheter la conscience islamique à peu de frais, ils oublient que les pays musulmans qui ont échappé plus ou moins aux contestations internes et au terrorisme des groupes islamistes radicaux sont d'abord ceux que la rente pétrolière a pourvus abondamment. Est-il raisonnable de plaquer le modèle d'un radeau flottant sur le pétrole, comme le Qatar, sur une Tunisie où la donne islamiste s'est révélée, en soi, comme un facteur de régression économique ?Certes, aujourd'hui la première puissance mondiale a le pétrole irakien, saoudien, qatari, libyen…les Etats-Unis quitteront en 2014 l'Afghanistan et leur départ facilitera une entrée triomphale des Taliban à Kaboul. Leur sécurité intérieure, la sécurité de leur approvisionnement en pétrole ne seront pas pour autant à l'abri des turbulences, que leur diplomatie à géométrie variable aura fait naître partout. Ils ont plus instrumentalisé le terrorisme que lutté contre ce fléau, leur analyse et compréhension de l'islamisme politique est trop sectaire et égoïste pour qu'elle leur serve à apaiser les tensions mondiales et à faire avancer la paix. Ils ouvriront sans doute les yeux, un jour, mais le mal aura été fait. A. S.