Photo : Riad Par Faouzia Ababsa Pour pouvoir accomplir son mandat, le respecter et échapper à toute pression d'où qu'elle vienne, le parlementaire algérien bénéficie de ce qu'on appelle l'immunité parlementaire. Un concept universellement admis, en ce sens qu'il permet à la représentation nationale de se libérer de toute contrainte. Cette immunité est consacrée en Algérie par 3 articles contenus dans la Constitution. L'article 109 qui dispose que «l'immunité parlementaire est reconnue aux députés et aux membres du Conseil de la Nation pendant la durée de leur mandat. Ils ne peuvent faire l'objet de poursuites, d'arrestation ou, en général, de toute action civile ou pénale ou pression en raison des opinions qu'ils ont exprimées, des propos qu'ils ont tenus ou des votes qu'ils ont émis dans l'exercice de leur mandat». Cela signifie que le parlementaire ne peut en aucune manière être inquiété pour délit d'opinion, uniquement. Au sens de cet article, l'élu de la Nation ou le membre du Sénat ne bénéficie de cette immunité que pendant l'exercice de sa fonction. Il ne saurait faire l'objet d'entrave alors qu'il est chargé de porter les préoccupations des citoyens que ce soit à l'échelle nationale ou à celle de la circonscription dans laquelle il a été élu, comme stipulé dans la loi relative au statut du député qui met l'élu en position de détachement réglementaire pour qu'il se consacre pleinement aux missions législatives et de contrôle. Mais pas seulement. «Le membre du Parlement contribue par sa mission législative au développement de la société dans les domaines social, économique, culturel et politique et à asseoir les bases de la démocratie». Il est chargé, également, de «contribuer à la législation, d'exercer le contrôle, de représenter et d'exprimer ses préoccupations». C'est dans ce sens que l'article 109 de la loi suprême du pays lui octroie l'immunité, voire l'irresponsabilité. En dehors de cela, il est censé être un citoyen comme tous les autres. Et est soumis aux lois et règlements en vigueur. Toutefois, l'irresponsabilité conférée est contredite par l'article 110 de la Constitution qui place le parlementaire au-dessus des lois et fait de lui un super citoyen. «Les poursuites ne peuvent être engagées contre un député ou un membre du Conseil de la Nation pour crime ou délit que sur renonciation expresse de l'intéressé ou sur autorisation, selon le cas, de l'Assemblée populaire nationale ou du Conseil de la Nation qui décide, à la majorité de ses membres, la levée de son immunité.» Nous sommes, là, devant le cas d'inviolabilité qui permet de libérer d'une procédure judiciaire quand bien même les actes commis par le parlementaire se seraient déroulés en dehors de l'exercice du mandat. Ce qui remet en cause le principe consacré par le texte suprême du pays, selon lequel et aux termes de l'article 29, «les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale.» En fait, le seul cas où le parlementaire peut faire l'objet d'une arrestation, est la flagrance du délit, au titre de l'article 111 de la Constitution : «En cas de flagrant délit ou de crime flagrant, il peut-être procédé à l'arrestation du député ou du membre du Conseil de la Nation. Le bureau de l'Assemblée populaire ou du Conseil de la Nation, selon le cas, en est immédiatement informé.» La suite de l'article tempère tout de même l'engagement des poursuites, en ce sens qu'il dispose que «le bureau de l'une des deux Chambres du Parlement, selon le cas, peut demander, après en avoir été saisi, la suspension des poursuites et renvoi aux dispositions de l'article 110.» Dès lors, l'on se retrouve en face de textes confus, de vide juridique et de dispositions ambigües. Et l'on peut conclure, sans craindre d'être contredit, que l'immunité a été remplacée par l'impunité. Il y a une seule lettre de changée.
Solidarité parlementaire C'est-à-dire que le Parlementaire peut se rendre coupable de n'importe quel crime ou délit commis en dehors de l'exercice de son mandat sans pour autant se soumettre aux lois en cours et concernant l'ensemble des citoyens algériens. Le dernier cas en date, est l'intervention d'un député dans un quotidien arabophone qui a proféré de très graves accusations à l'encontre de responsables d'un parti politique. Une intervention faite en dehors de l'exercice du mandat. Eh bien ! celui-ci ne pourra être inquiété si les mis en cause portent plainte pour diffamation et allégations mensongères. Beaucoup de cas, dans ce sens, ont été signalés. Déjà à l'époque du Conseil national de transition (CNT) - assemblée désignée - une demande de levée de l'immunité émanant du ministère de la Justice à la demande du parquet à l'encontre d'un membre de ce conseil pour avoir agressé un citoyen ou encore d'avoir «dégainé» son arme contre l'un de ses collègues n'a pas eu de suite. Elle n'a même pas franchi le seuil du bureau pour atterrir à la Commission juridique. Cela a fait une sorte de jurisprudence puisque lors de l'avant-dernière législature (2002-2007), au moins une dizaine de procédures de levée de l'immunité parlementaire ont été engagées par le ministère de la Justice qui en a fait la demande au bureau de l'APN. Aucune d'elle n'a eu de suite, voire il y a eu opposition et fin de non-recevoir. En 2007, un député indépendant, ancien maire d'une région de Kabylie, «patriote», s'est rendu coupable d'un crime contre un jeune adolescent. L'élu a invoqué la légitime défense et en même temps s'est dit prêt à se démettre de son immunité parlementaire pour pouvoir être entendu par la Justice. Mai il n'en fera rien pas plus que le bureau de l'Assemblée nationale. Il a, certes, été entendu par le juge d'instruction mais nous n'avons pas souvenance, jusqu'à aujourd'hui, que l'intéressé ait été inculpé. Certaines informations ont fait état du retrait de la plainte de la famille. Quand bien même, selon la loi, l'action publique se poursuit dès lors que le parquet défend les intérêts de la société. D'aucuns s'interrogent sur le laxisme de l'instance exécutive de la Chambre basse du Parlement. La réponse nous est venue d'un ex-parlementaire qui explique ce refus, non exprimé directement, par le fait qu'il y avait risque que cette levée de l'immunité soit refusée par la plénière, surtout quand il s'agit d'un membre de la majorité parlementaire ou encore de l'alliance présidentielle. Cela, d'une part. D'autre part, l'on nous a également expliqué que cette «solidarité parlementaire» se justifie par le fait que si l'APN approuve la levée de la protection, il y a risque de constituer un précédent et qu'il était possible qu'un lobby se constitue contre l'un des élus pour l'exclure définitivement de l'hémicycle. En somme, histoire de régler des comptes contre un collègue qui aurait gêné par ses positions. Par ailleurs, les textes ne prévoient nullement à quel moment intervient le privilège de l'immunité parlementaire. Est-ce à la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel ou lors de la validation du mandat par la Commission juridique et des libertés du Parlement qui soumet son rapport en plénière pour adoption ? Autre interrogation : Est-ce que la personne qui commet crime ou délit avant son élection se voit exempte de toute poursuite pénale une fois investie du mandat parlementaire ? Plusieurs cas se sont présentés où des prétendants se sont bousculés aux portillons des candidatures, y compris en achetant leur place sur les listes, uniquement pour éviter la Justice. Dès lors, le représentant du ministère public devra attendre la fin du mandat (5 ans). Ce qui pourrait poser alors le problème de la prescription, à moins que la plainte ne soit réactivée avant la fin de la législature. Ainsi, censés représenter le peuple, œuvrer à porter ses préoccupations et autres revendications devant les pouvoirs publics, conformément au statut du député, beaucoup de parlementaires, forts de cette immunité, n'hésiteront pas à en user et en abuser sans crainte aucune de se voir inquiétés.