Après l'échec de leurs diaboliques entreprises militaires, appuyées par des opérations de diversion psychologique destinées à neutraliser la wilaya III historique, les «stratèges» de l'armée coloniale mirent au point, à partir de 1959, une nouvelle tactique de guerre consistant en des opérations militaires de grande envergure, dont l'opération «Jumelles» dans le but d'isoler les maquis de l'ALN de la population. Tirant son appellation de la double lorgnette utilisée par l'armée coloniale pour épier les mouvements des moudjahidine et de la population, l'opération mise en branle une année après la reconnaissance de la cause algérienne par l'Onu, et la création du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), consistait à ratisser et raser des villages dont les populations sont déportées dans des camps de regroupement, entourés de barbelés et mis sous une haute surveillance de garnisons militaires fortifiées, assorties de cellules de torture aménagées dans des sous-sol des postes avancés, pour infliger les pires atrocités à tout élément suspecté de collaborer avec les moudjahidine. Le concepteur de cette diabolique stratégie n'est autre que le général De Gaulle, le père de la fameuse «paix des braves» , et fondateur de la cinquième République française. Les généraux Maurice Challe et Bigeard sont les principaux exécutants de la sale besogne contre une population désarmée. Pour «l'épuration» des villages par un déluge de feu, l'ennemi a eu recours à la combinaison des trois armes, mais ce sont les parachutistes qui y jouèrent un rôle prépondérant. 58 ans après le déclenchement de la Révolution de novembre 1954, les Moudjahidine Ait Ahmed Si Ouali, Azouaou Amar et Osmani Belkacem dit «Si Omar» respectivement secrétaires du PC de la wilaya III et chef de zone sanitaire dans la même wilaya se souviennent de ce «temps des léopards» : c'est en juillet 1959, que des bérets verts héliportés commençaient à pleuvoir dans le ciel du massif forestier de l'Akfadou.
Les paras ont poussé comme des champignons « Durant cet été, des paras ont poussé sur cette terre comme des champignons, alors que les effectifs des troupes de l'Armée de libération nationale (ALN) ont considérablement diminué, au point ou des femmes ont pris la relève» , témoignent les trois interlocuteurs. «A Chaque pilonnage des villages à l'artillerie, combiné à des bombardements aériens, apparaissent les redoutables commandos de chasseurs appelés “les soldats de Balboa”, pour qualifier leur férocité légendaire. Ce sont eux qui se chargeaient d'achever avec leurs mitrailleuses ce qui restait de vivant après les vagues de bombardement» . «C'est ainsi que l'ennemi terrifiait la population pour la couper des moudjahidine, pour les affamer et les obliger, comme des chacals, à descendre de leurs tanières» , selon l'amère expression du moudjahid Si Ouali, qui rappelle l'usage intensif du napalm contre les maquis de l'ALN. Des moudjahidine encore en vie portent encore les stigmates de cette arme de guerre, pourtant interdite par la Convention de Genève, fait-il remarquer.
La furie destructrice n'a épargné ni femmes, ni enfants La furie destructrice de la soldatesque coloniale n'a épargné ni femmes, ni enfants, ni vieillards, ni malades, et pas même le bétail qui fut décimé, alors que des forêts entières ont été incendiées à l'aide de pastilles incendiaires larguées par des avions. Comme si cela ne suffisait pas, et pour porter la terreur à son paroxysme, les soldats de l'armée coloniale et leurs supplétifs locaux soumettaient systématiquement tout suspect à d'éprouvants interrogatoires, où sont utilisés diverses méthodes de torture rivalisant d'atrocité, dont l'effroyable gégène consistant à faire passer le courant électrique sur des parties sensibles du corps imbibées d'eau. A chacun de ses revers essuyés sur le terrain contre les djounoud de l'ALN, l'ennemi faisait subir des représailles à la population sans défense, en s'en prenant particulièrement aux femmes. Illustrant cette «bravoure» , les témoignages de ces moudjahidine rapportent qu'un jour de l'été 1959, à Ighil Imoula, village où fut tirée la proclamation de Novembre 1954, une femme enceinte a été froidement éventrée à l'aide d'une baïonnette, devant les siens, par un para qui en a retiré le foetus pour l'exhiber, tout palpitant de vie, comme un trophée de guerre, devant l'assistance entassée sur la place du village. Chaque village a eu son lot de scènes d'horreur dont se sont distingués les paras et autres mercenaires de l'armée coloniale chargés de «mater l'indigène à défaut de le civiliser comme ils le prétendent» , selon l'expression de Si Ouali. Ainsi, dans la région des Ath Djenad ce sont sept femmes qui ont été écrasées par un char qui est passé sur leurs corps, alignées côte à côte dans un fossé. Sept autres femmes, dans un village de Mekla ont été brûlées vives dans une hutte de paille, incendiée avec une torche. Les atteintes à l'honneur sont également monnaie courante. «Aux nouvelles recrues de l'ALN,Krim Belkacem disait toujours qu'il leur est préférable de rester chez eux si ils ne sont pas assez préparés pour supporter les exactions de l'ennemi contre leurs propres familles» ,ont relevé ces Moudjahidine. A Iflissen, ce sont pas moins de 57 civils soupçonnés «d'intelligence» avec l'ALN qui ont été passés au couteau par les paras. Même la Légion étrangère a été mise à contribution dans ce génocide. A Takhlidjt, dans la commune de Souamaa, on se souvient toujours des cinq villageois égorgés par des soldats d'Afrique noire. Les maladies médiévales et la famine étaient, selon la même source, le lot des déportés dans ces camps de regroupement ou de surveillance, estimés à un millier repartis sur le territoire de la wilaya III s'étendant de la Mitidja à Sétif, et de Tizi-Ouzou à M'sila. L'opération «Jumelles» s'est soldée par la perte, au niveau de cette wilaya, de plus de 15 000 civils. L'évocation de cette sinistre opération renvoie également aux nombreuses zones interdites auxquelles elle a donné naissance. Le moindre déplacement, et sous n'importe quel prétexte, était subordonné à la délivrance d'un laissez-passer. Cette autorisation provisoire de circuler est d'ailleurs souvent mise à profit par les moussebilette (les femmes fidaine) pour ravitailler les maquis, témoigne le Moudjahid Azouaou Amar, un des secrétaires du PC de l'ex-wilaya III historique.
Près des deux tiers des effectifs de l'ALN décimés dans cette wilaya Selon les faits rapportés par ce dernier, ce sont près des deux tiers des effectifs des forces de l'ALN dans cette wilaya, soit 7 500 maquisards sur 12 000, qui furent décimés durant cette sinistre opération, qui a failli étêter complètement le commandement de la Révolution dans la région durant ces trois années de braise, marquées par le quadrillage des villages avec des fils barbelés et le passage au peigne fin des maquis (ratissage) pour traquer les djounoud. Selon l'interlocuteur, pas moins de douze officiers de l'ALN sont tombés au champ d'honneur durant cette opération infernale, dont les commandants Abderrahmane, Mira, Ali Bennour, Moh Said Ouzeffoune, Si Amrane Azouaou, et d'autres valeureux cadres de la Révolution. Et de poursuivre en rappelant que cette opération a été précédée, en 1958, par la «récolte» par les services du deuxième bureau de renseignements sur l'ALN par l'intermédiaire des «Bleus» . L'année 1959 a donné lieu, se souvient le Moudjahid Azouaou, à un grand balayage de la région par l'armée coloniale qui s'acharnait sur les maquis de l'ALN «pour mater les maquisards». En 1960, les villages furent mis sous le siège de l'armée coloniale qui a ouvert, en plusieurs endroits, des postes avancés, encerclés de barbelés, et s'appuyant sur des forces d'autodéfense, dégagées d'office parmi les villageois, sous peine de les priver du ravitaillement alimentaire. Cette opération doit aussi sa sinistre réputation aux commandos alpins de chasse, lâchés dans la nature pour écumer les maquis jusqu'au cessez-le feu. Mais il est dit, tel que souligné par ces moudjahidine, que les multiples exactions et la haute surveillance des camps de regroupement n'ont pas conduit, tel qu'espéré par l'ennemi, à la rupture totale du lien ombilical entre la population et les maquisards qui ont pu desserrer l'étau dressé autour d'eux, en s'installant à l'intérieur même de ces camps, dans des refuges aménagés parfois près des postes avancés pour détourner la vigilance de l'ennemi. Les Moudjahidine avaient toujours leur part du peu de biens dont disposait la population, selon le principe de solidarité qui a fait la grandeur de la Révolution de Novembre 1954, ont tenu à rappeler ces témoins privilégiés.«L'opération Jumelles atteste, si besoin est, que De Gaulle a tout fait pour garder l'Algérie dans le giron colonial, contrairement à l'assertion de certains nostalgiques aigris considérant l'indépendance nationale comme un don du concepteur de cette sinistre opération», a conclu le moudjahid, Si Ouali. APS