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«Nous sommes dans une gestion administrative des IDE»
Mohamed Bouchakour(*) à La Tribune :
Publié dans La Tribune le 02 - 12 - 2012


Photo : S. Zoheir
Entretien réalisé par
Salah Benreguia

La Tribune : Le gouvernement s'est réuni récemment avec le patronat et l'UGTA. Cette réunion a permi de faire le point sur la situation économique du pays et le monde des affaires. Comment évaluez-vous cette rencontre ?
Mohamed Bouchakour : Les rencontres de ce genre sont toujours bénéfiques pour tout le monde et en premier lieu pour les trois parties prenantes que vous avez citées. Cela permet à chacune de sortir de son cloisonnement quotidien et d'échanger entre partenaires. Ceci dit, si l'on considère la complexité et la gravité des problématiques économiques et sociales, actuelles et les défis en perspective à moyen et long termes, on est en droit d'affirmer que le dialogue social est carrément absent dans notre pays. Nous avons été habitués à un certain rituel tout à fait stérile: le prince convoque qui il veut, quand il veut, autour de l'ordre du jour qu'il veut. Souvent, l'objectif est de faire le point, de prendre la température, d'annoncer des décisions déjà prises, ou lancer des signaux. Il est grand temps de passer à autre chose. Un dialogue authentique doit être une pratique institutionnalisée, avec des parties pleinement représentatives et préparées, des dossiers construits et suivis, des règles et un agenda convenus et rigoureux. Il ne suffit pas de «faire le point» de temps en temps, mais d'abord de savoir où l'on veut aller, comment y aller et où nous en sommes. Aborder des sujets qui font conflit c'est bien, mettre aussi sur la table des projets, c'est mieux. Le ministre Rahmani a clairement indiqué que la «règle 51/49 pour l'investissement étranger serait bientôt revue sans préjugés », alors que le Premier ministre défend cette règle depuis son installation. On a également assisté à la même situation concernant la problématique de l'éradication du marché des changes parallèle.
Deux ministres (ceux de l'Intérieur et des Finances) se sont exprimés récemment à ce sujet, avec des positions diamétralement opposées.

S'agit-il, selon vous, de l'absence de cohérence au sein de l'équipe gouvernementale ?
Au-delà des ratés en matière de communication, ce que vous dites là révèle que le dialogue au sein même de l'équipe gouvernementale est quelque peu déficitaire. La règle des 51/49 a été prise sur la base d'un argumentaire qui n'a pas été rendu public. En guise de débat, elle a soulevé un tollé sur fond de cacophonie. Personnellement, je pense qu'on s'est focalisé ici sur un faux problème. Le véritable point qui devrait susciter l'attention et l'inquiétude est d'abord l'absence de politique industrielle. C'est elle qui permettrait de dire dans tel secteur, voire dans tel type de projet c'est du 51/49 % qu'il faut prévoir, et dans tel autre une autre clé de répartition. Une politique industrielle doit se donner une panoplie de leviers de pilotage : ouverture à 100%, fermeture totale, en passant par le 49/51%, et d'autres montages intermédiaires étudiés tels que la prise de participation ouverte, la minorité de blocage, la golden share, le sleeping partner. Il est étonnant de s'enfermer soi-même dans une règle unique et exclusive, le 49/51%, et qu'on se prive du même coup des autres manettes de régulation. Nous sommes en plein dans une gestion administrative de l'investissement étranger sans politique industrielle, pensée. Il faut passer à une politique industrielle, pensée et adossée à un dispositif de régulation de l'investissement étranger. En ce qui concerne le change parallèle, il vaut toujours mieux que l'Etat autorise et contrôle les opérations avec les garde-fous qui s'imposent, plutôt qu'il se contente d'édicter des interdits qu'il ne peut pas faire respecter, et ferme les yeux sur des flux qu'il ne contrôle pas.

Le Premier ministre a fait savoir que l'Algérie a accusé un immense retard dans le processus d'adhésion à l'OMC. Il a plaidé pour l'accélération dudit processus, un avis que ne partagent pas les organisations patronales et l'Ugta. Pouvez-vous nous expliquer cette divergence de vision entre le gouvernement et le monde des affaires algérien ? L'Algérie a-t-elle, en l'état où sont les choses actuellement, intérêt à adhérer à cette organisation ?
Le groupe de travail pour l'adhésion de l'Algérie a été installé en 1987 dans le cadre du Gatt. Le passage du Gatt à l'OMC, en 1994, était l'occasion d'adhérer en se fondant dans la masse, sans les contraintes et conditionnalités qui se sont dressées par la suite. On le sait maintenant, avec le recul. Bien sûr, à l'époque le pays et ses institutions traversaient une période de grande déstabilisation institutionnelle, ce qui explique en partie ce ratage. Aujourd'hui, l'OMC compte 157 pays membres, et 26 pays de faible envergure qui ont le statut d'observateur, dont l'Algérie. Ce statut d'observateur implique que leur processus d'adhésion est engagé et devra aboutir tôt ou tard. Il n'y a donc pas aujourd'hui de système commercial multilatéral alternatif à celui de l'OMC et ce dernier couvre la quasi-totalité des échanges commerciaux dans le monde. On peut aimer ou ne pas aimer, mais c'est comme ça. La question n'est pas non plus de savoir si l'Algérie a intérêt ou non à adhérer à l'OMC, mais bien de savoir comment préserver et défendre au mieux nos intérêts dans le cadre de ce que les règles du jeu de l'OMC imposent, mais aussi de ce qu'elles permettent, de ce qu'elles tolèrent et parfois même de ce qu'elles interdisent. C'est ce que font d'ailleurs tous les pays qui ont déjà opéré le saut, d'abord et y compris les plus orthodoxes en matière de libre-échange. Il faut sortir des conceptions mythologiques. Maintenant, est-ce que notre système de gouvernance économique sera capable d'adopter les postures exigées et de prendre les décisions nécessaires ? Il faudra qu'il le soit.

Pouvez-vous être plus explicite. L'Algérie n'exporte que des hydrocarbures et importe de tout, du fait que son tissu d'entreprises est faible et peu performant. Quel intérêt avons-nous à adhérer à l'OMC ?
Les pays de l'OMC ont systématiquement recours à trois pratiques lorsque leurs intérêts se heurtent aux règles de base de l'OMC, celle du libre-échange et de la non-discrimination : primo, ils remplacent les barrières tarifaires, désormais basses, par des barrières non tarifaires drastiques et abusives, secondo, ils passent des accords commerciaux dits régionaux avec les pays et groupes de pays avec lesquels ils ont des convergences géopolitiques, et enfin tertio, si des intérêts majeurs se heurtent à des règles contraignantes et incontournables, ils n'hésitent pas à transgresser ces dernières et à en assumer la responsabilité devant l'organisme de règlement des différends. Dans ces conditions, le débat ne devrait pas tourner autour de l'adhésion ou non à l'OMC, mais autour de la diversification et du renforcement de la compétitivité de notre tissu économique. Si ce défi n'est pas relevé, nous allons droit dans le mur, avec ou sans le titre de membre de l'OMC.
S. B.
(*) Enseignant chercheur, maître de conférences HEC Alger


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