Les rendez-vous électoraux algériens, à force de laisser peu de place à la surprise et l'inattendu ont fini par installer durablement une majorité de l'électorat dans un sentiment de démotivation qui leur fait tenir en haute suspicion les urnes. Ceci en règle générale seulement, car ce constat a été démenti -et de façon cinglante- à au moins deux reprises depuis l'avènement du pluralisme politique. Une première fois en décembre 1991, avec la déferlante islamiste qui avait ramené aux portes du pouvoir l'ex-FIS, puis en 1995 quand, dans un sursaut salutaire et les tripes en vrille, les Algériens s'étaient bousculés dans les bureaux de vote pour confirmer le général Liamine Zeroual à la tête de l'Etat.De ce point de vue, le scrutin du 29 novembre, avec des enjeux strictement locaux, n'a pas tellement dérogé à la règle de l'atonie, que ce soit pour la participation ou les résultats. Mais en observant de plus près les scores des candidats par appartenance politique connue, quelques tendances ne manquent pas d'apparaître, dont certaines peuvent être qualifiées de lourdes, Mieux, ces tendances confirment en les accentuant celles déjà révélées par les élections législatives de mai dernier. Ceci, bien sûr, en partant de l'idée que les fraudes et les irrégularités qui ont émaillé le déroulement de la consultation n'ont pas atteint un niveau qui fausserait significativement, voire inverserait, ces résultats.A tout seigneur tout honneur, et en dépit de contestations la lui déniant, la victoire du FLN n'est pas une surprise. L'ancien parti unique, rodé comme une véritable machine électorale, profite de ses nombreux avantages et positions acquis depuis les temps où il meublait seul la vie politique partisane. Quand il y a une inflation de sigles et d'acronymes, pour la plupart inconnus du grand public, qui descendent dans l'arène électorale il ne faut pas s'étonner de l'irruption pavlovienne d'une prime au plus connu, dans l'inconscient du votant. Comme lors des législatives, la pluralité artificielle a joué en faveur des partis plus anciens, et de ceux dont les leaders sont des personnalités connues ou médiatisées. Par contre, l'arrivée en deuxième position du RND pouvait avoir quelques raisons sérieuses d'être moins évidente que celle de son coéquipier dans le gouvernement et à l'Assemblée.Menacé de destitution par une partie des membres de la direction du Parti pour, entre autres motifs, des résultats jugés insuffisants aux législatives, le secrétaire général du RND est largement sorti par le haut ce 29 novembre. Après s'être démené avec une force titanesque pour mener une campagne électorale intense et productive en termes de résultats, il administre la preuve que ses adversaires n'ont pas -pas encore ?- atteint leur objectif visant à le déstabiliser. A contrario, il semble même avoir été renforcé par les arguments du professeur Guidoum, chef de file de la contestation, consistant essentiellement à le présenter comme anti-Bouteflika, ne bénéficiant pas de l'appui du DRS et dirigeant le parti en autocrate.Le déclin des islamistes -et c'est un autre enseignement de ces élections locales- ne doit pas être assimilé à un recul de l'islamisme politique, loin s'en faut. D'abord, si l'objectif des partis de cette mouvance est l'islamisation de la société, il est en grande partie atteint, et ils n'en ont pas toujours été les maîtres d'œuvre. Sauf si le but en est un totalitarisme de cette couleur. Le «Printemps», dont le vent a tourné à son arrivée aux frontières algériennes, a paradoxalement desservi les partis islamistes et, pour une fois, les images de sang et de terreur verte d'El Djazira semblent avoir grandement contribué à ce reflux du vote islamiste. De là à plaider pour un affaiblissement plus grand encore des partis islamistes, ce serait peut-être une erreur à ne pas commettre. C'est un courant qui existe dans la société et son «containment» dans des limites qui préservent les libertés individuelles doit plus être l'œuvre de la société et des partis démocratiques que du pouvoir.Elle est plus que jamais présente, forte malgré sa dispersion et ses querelles de clocher et dispose d'une assise populaire prête à l'envoyer à l'assaut des institutions : la mouvance démocratique aura été l'autre révélation confirmant le sillon dégagé en mai. Le FFS et le RCD, le nouveau parti d'Amara Benyounes, de nombreux élus parmi les indépendants et quelques nouveaux partis, mais également dans les rangs du RND et du FLN, les élus acquis à la modernité et aux valeurs républicaines et de progrès sont en mesure de peser d'un poids considérable dans les représentations populaires et au sein des institutions étatiques. Il leur suffit de prendre conscience qu'ils n'existent pas chacun séparément et que la démocratie n'est pas appropriable et défendable par lots divisibles. En un mot, le challenge serait de passer d'un pluralisme numérique artificiel et «immobiliste» à une démocratie pluraliste à travers des alliances et des regroupements par familles politiques durables. A. S