Le photographe et cinéaste français, Marc Garanger, expose, depuis hier, au Centre culturel algérien (CCA) de Paris, une série de photographies représentant des femmes algériennes en 1960 et en 2004. Sous le thème «Femmes algériennes 1960», les photographies de Marc Garanger qui, en 1960, était un soldat appelé dans les rangs de l'armée coloniale française, représentent des femmes algériennes rurales obligées de poser têtes nues et qui fixaient l'objectif de l'appareil avec des yeux où se mêlaient colère et crainte. L'administration coloniale, qui avait ordonné la prise de ces photos de manière humiliante, se proposait de recenser les populations des villages dans le but de mieux les maîtriser et de resserrer l'étau autour des éléments de l'Armée de libération nationale (ALN). Sur le site du CCA, le photographe écrit : «En 1960, je faisais mon service en Algérie. L'armée française avait décidé que les autochtones devaient avoir une carte d'identité française pour mieux contrôler leurs déplacements dans les «villages de regroupement». Comme il n'y avait pas de photographe civil, on me demanda de photographier tous les gens des villages avoisinants : Aïn Terzine, Le Merdoud, Le Maghine, Souk el Khrémis.»Pour cadrer ses portraits, Marc Garanger dit s'être souvenu des photos d'Edward Curtis avec les populations amérindiennes au début du XXe siècle. Muni de son Leïca, le photographe aux armées a donc pris ses portraits en buste, avant de les recadrer sous format identité pour ses supérieurs.De cette expérience amère, il gardera un souvenir pénible qui le poursuivra pendant de longues années. Il confie à ce propos dans la présentation de l'exposition : «C'est le visage des femmes qui m'a beaucoup impressionné. Elles n'avaient pas le choix. Elles étaient dans l'obligation de se dévoiler et de se laisser photographier [...]. J'ai reçu leur regard à boutportant, premier témoin de leur protestation muette, violente. Je veux leur rendre hommage.» Marc Garanger était passionné par la photographie dans les années 1950. Il rejoignit l'armée française, 12 ans après, pour accomplir son service militaire et fut chargé de photographier près de 2 000 femmes algériennes, en majorité rurales, dans la wilaya de Bouira, Aïn Terzine et El Mardoud notamment, dont les populations avaient été transférées dans les villages de regroupement. Les photographies avaient été publiées pour la première fois dans une revue suisse et avaient été considérées comme un témoignage de la barbarie coloniale française avec son corollaire : le racisme. Elles ont été ensuite exposées dans plusieurs villes françaises, en Grèce et en Finlande. Marc Garanger a reçu plusieurs distinctions internationales, dont le prix du New York photo festival, en 2010, pour ses photographies sur des peuples et communautés dans différentes parties du monde. Il est à souligner que la thématique même de l'exposition a suscité une forte polémique sur les réseaux sociaux. Un commentaire dénonce notamment le fait que «ces femmes ont été photographiées sous la contrainte par l'armée coloniale criminelle. Je ne comprends pas comment le Centre culturel algérien de Paris accepte d'exposer leurs photos ? Ces femmes, si elles étaient au courant (ou vivantes), refuseraient à coup sûr de voir leurs photos exposées. Maintenant, sur le plan légal, il y a là le droit à l'image qui interdit ces reproductions sans accord préalable de la personne photographiée». Face a cette levée de bouclier, le photographe Marc Garanger a posté un commentaire sur la page sur laquelle a été lancé cet appel pour expliquer sa démarche. «Par ces photos, j'ai donné la parole à ces femmes qui protestent par le regard à cette agression militaire qui leur était faite. Je suis allé les retrouver en 2004, c'est le sujet de l'expo ‘‘Retour en Algérie''», écrit-il. En 2004, Marc Garanger retourne dans la région même où il avait séjourné et photographié, uniforme sur le dos, quarante-cinq ans auparavant. Pour retrouver les lieux, les personnes, pour montrer ce que sont devenues ces femmes, raconter leur parcours depuis lors, il accomplira un voyage au cours duquel il aura des échanges et des rencontres bouleversantes. Ainsi, sous le thème «Retour en Algérie» le photographe présente d'autres photographies, prises en 2004 dans l'Algérie indépendante dans sa quête pour retrouver les mêmes femmes de 1960 et de les «réhabiliter». L. A.