«Si tu ne sais pas où tu vas, tu risques de mettre longtemps pour y parvenir» : ce proverbe touareg s'appliquerait bien à ceux qui prônent nolens volens une solution militaire à la crise malienne. On sait pourtant qu'entre la profession de foi, la proclamation d'intention, la préparation du terrain et l'action directe in situ, il y a tout un monde. Aujourd'hui, personne ne conteste le principe d'une intervention armée. D'autant moins qu'elle vise à ramener à résipiscence les islamistes radicalisés qui se sont incrustés dans le Nord Mali désormais en sécession depuis la proclamation de son indépendance par les irrédentistes du Mlna. A ce sujet, il y a les adeptes plus ou moins convaincus de la locution latine si vice pacem, para bellum. En gros, la France et, derrière elle, les pays de la Cédéao qui veulent mobiliser une force d'intervention rapide de 3 300 hommes, convaincus qu'ils sont que «si tu veux la paix, il faut alors préparer la guerre». Ils sont, d'une manière ou d'une autre, contredits par l'Algérie, pays concerné, impliqué et touché notamment par les contrecoups terroristes de la crise. Une Algérie qui inverse la formule latine, estimant que si on voulait la paix, il faudrait donc éviter la guerre. Ou, du moins, l'envisager comme ultime recours, après épuisement de toutes les voies de la négociation. Alors qu'à un moment donné, la solution militaire paraissait inéluctable, voire même envisageable dans les meilleurs délais, voilà que des acteurs majeurs de la scène diplomatique et des acteurs de terrain, parties prenantes à la crise, trouvent des vertus certaines à la position algérienne. Ainsi de l'ONU et des Etats Unis sur l'arène internationale. Et de même d'un des principaux protagonistes au nord du Mali, Ansar Eddine. Les Etats-Unis d'abord. On sait que Washington, qui ne s'oppose pas à l'idée d'une action armée, insistait au départ sur sa rigoureuse planification. Puis, avec le temps, des voix de haut niveau au sein de son Administration se sont exprimées pour émettre des doutes au sujet de sa faisabilité. On a alors entendu que le plan de la Cédéao ne répond pas finalement à des questions essentielles. Notamment à l'interrogation sur les capacités de l'armée malienne et de la Cédéao à réaliser les objectifs d'une intervention militaire. Le questionnement concerne précisément les capacités opérationnelles de ces forces, notamment l'interopérabilité de la task force de la Cédéao et de l'armée malienne quasi inexistante à ce jour. De même qu'il n'y a pas d'autre part de réponse à la question du financement des opérations militaires projetées et de leur durée. Du coup, les Etats Unis appuient de plus en plus la position algérienne, comme on l'a compris des récentes déclarations à Washington du Secrétaire d'Etat adjoint aux Affaires africaines et du Secrétaire d'Etat adjoint, en visite à Alger. Même appui ou plutôt une meilleure compréhension de l'ONU qui estime que le dialogue doit rester la priorité et que l'intervention armée ne doit être envisagée qu'en dernier ressort. En termes de calendrier, et de l'avis même des Nations unies, elle ne serait théoriquement possible qu'au début de l'automne prochain. Dans le camp du dialogue préalable à une éventuelle solution militaire, et c'est déjà une bonne nouvelle, Ansar Eddine. L'Algérie, qui a misé sur ce mouvement autochtone, 100% touareg, dont elle connait bien l'histoire et la composante humaine, du moins son leadership, a-telle eu raison de le faire ? Question d'autant plus légitime que son islamisation inattendue et, surtout, à un moment donné, la confusion établie entre lui, Aqmi et le Mujao, avaient jeté le doute sur sa fiabilité, sa représentativité et sa légitimité. C'est quoi donc Ansar Eddine, un mouvement dont d'aucuns pensaient, fidèles à leurs grilles de lecture manichéenne et figée, qu'il serait sorti tout droit des éprouvettes du DRS ? Curieux décodage qui attribue mécaniquement aux services algériens une incroyable propension à se tirer une balle dans le pied en créant, tels des apprentis sorciers, un abcès de fixation supplémentaire et un facteur d'accélération du pourrissement, juste aux frontières sud de l'Algérie ! Certes, on peut légitimement se demander de quel poids pèse Ansar Eddine dans l'échiquier malien et que vaut-il dans la balance de l'influence par rapport au Mlna ? Comme on est également fondé à se demander de quelle utilité et de quelle efficacité serait-il face à Aqmi et au Mujao ? Et là, on est agréablement surpris de constater que les chefs d'Ansar Eddine s'avèrent être finalement de vrais politiques. Des hommes raisonnables qui raisonnent en termes de géopolitique, de rapports de force, qui semblent être assez bien informés de l'évolution de la situation dans le nord du Mali. Et, plus intéressant encore, qui sont favorables à une solution politique et rejettent toute action armée. On en a eu l'intime conviction à la lecture d'une récente et édifiante interview par nos confrères de Liberté de Ahmada Ag Bibi et Ag Aharib, négociateurs à Alger et à Ouagadougou et respectivement porte-parole et responsable des relations extérieures du mouvement. Et l'on confirme alors ce que l'on savait déjà, à savoir qu'Ansar Eddine est un mouvement religieux, islamiste assumé mais qui n'est pas composé de djihadistes internationalistes. Que ce n'est pas non plus un mouvement terroriste, à l'instar d'Aqmi et du Mujao, inclus dernièrement dans la liste noire du Comité des sanctions de l'ONU. D'ailleurs, Ansar Eddine, n'a jamais organisé la moindre opération terroriste, n'a jamais kidnappé qui que ce soit. Bien au contraire, il est intervenu efficacement pour la libération d'une otage suisse et d'un otage espagnol. Méconnu, le mouvement a été méjugé et négligé, voire diabolisé et assimilé à une succursale touareg d'Aqmi. Mais, comme le dit le dicton touareg, «l'oreille a entendu, mais l'œil n'a pas vu». Les Algériens, eux, on entendu et vu. Et ils savaient que «le targui revient toujours à son premier campement», selon un autre proverbe des «hommes bleus». N. K.