Plus de cinquante-cinq ans après l'assassinat de Maurice Audin, dont on n'a jamais retrouvé le corps, le président français, François Hollande, vat-il faire ce geste qu'aucun de ses prédécesseurs n'a su faire, en reconnaissant officiellement que le jeune mathématicien communiste est mort sous la torture ? Pour Josette Audin, la veuve de Maurice Audin, dans un entretien à lire ci-dessous : «Il faut une condamnation de ce qui a été fait au nom de la France en Algérie». L'humanité : Qui était Maurice Audin ? Josette Audin : Qui était Maurice Audin ? C'était mon mari… Nous vivions à Alger. Il était mathématicien à la faculté d'Alger. Nous avions trois enfants. Il était engagé auprès des Algériens dans la lutte pour l'indépendance.
Pourquoi le jeune intellectuel européen qu'il était s'est-il engagé pour l'Algérie algérienne ? Nous étions membres du Parti communiste algérien, qui luttait pour l'indépendance, aux côtés de ce peuple. Nous ne supportions pas le racisme, la façon dont les Algériens étaient traités, ou plutôt maltraités.
Comment s'est passé l'enlèvement de Maurice Audin par les parachutistes à votre domicile ? Ce jour-là, des Pieds-Noirs ultras avaient manifesté, toute la journée. Il y avait eu des ratonnades monstrueuses dans toute la ville. À la fin de cette journée, il était tard, aux alentours de 23 heures, alors que nous étions sur le point d'aller nous coucher, des parachutistes sont venus tambouriner à la porte. C'était Maurice qui était recherché, pas ceux qui se livraient à la chasse aux Algériens et venaient de commettre des meurtres.
Lorsque les autorités vous signifient que Maurice Audin s'est «évadé», les croyez-vous ? Evidemment non. Tout le monde savait que ces prétendues évasions étaient en fait des exécutions. C'était connu de tout le monde, pas seulement des familles algériennes dont un membre avait subi ce sort. La plupart des Pieds-Noirs savaient et s'en réjouissaient.
Il y a eu, tout le long de la Guerre d'Algérie, des milliers de Maurice Audin. En quoi cette affaire illustre-t-elle la violence inouïe déployée alors par la France coloniale ? Cette affaire a eu un grand retentissement en France comme, auparavant, l'assassinat de l'avocat Ali Boumendjel. Maurice était européen, il avait des connaissances en France, dans le domaine des mathématiques. Un comité Audin a été créé, avec Pierre Vidal-Naquet, Laurent Schwartz et d'autres intellectuels qui ont, tout de suite, exigé la vérité. Ils n'ont pas lâché, ils ont dénoncé sans relâche la torture. Je pense que l'action de ces gens en France au sujet de l'Algérie a peut-être aidé par la suite à accélérer le processus de paix.
De quelle façon la vérité peut-elle être connue, plus d'un demi-siècle après ce crime ? Dans la lettre que j'ai adressée en août au président de la République, je ne demande pas seulement la vérité. Bien sûr, je voudrais qu'on connaisse la vérité, c'est évident, même si je suis de plus en plus sceptique sur le fait qu'on l'obtienne vraiment un jour. Ce que je demande au président Hollande, c'est une condamnation de ce qui a été fait au nom de la France en Algérie. Je ne demande pas qu'il s'excuse : il s'est produit en Algérie des choses qui ne sont pas excusables. Je demande une reconnaissance et une condamnation. On peut condamner l'usage de la torture. On dit toujours que la France est le pays des droits de l'homme. Mais comment continuer à se qualifier ainsi, quand ces droits de l'homme ont été piétinés, sans que leur violation ait été condamnée ?
Comment jugez-vous le récent hommage officiel rendu à Fréjus au général Bigeard, symbole de l'institutionnalisation de la torture durant la Guerre d'Algérie ? Cet hommage est scandaleux. Le ministre de la Défense aurait pu se dispenser d'aller jeter des fleurs à ce militaire, qui a peut-être fait de belles choses lorsqu'il s'agissait de libérer la France, mais qui a pratiqué la torture en Indochine puis en Algérie. Le glorifier est scandaleux.
Pourquoi la France a-t-elle tant de mal à reconnaitre officiellement ses crimes de guerre ? Je ne l'explique pas, je ne le comprends pas. En de nombreuses occasions, nous avons demandé cette reconnaissance, et condamnation officielles de la torture, des crimes de guerre sans jamais être entendus.