Le marché du médicament en Algérie, à l'instar des autres produits de consommation de première nécessité, connaît des perturbations «chroniques». Cette «marchandise» indispensable et primordiale dans un secteur stratégique, la santé, garant de la stabilité et de la cohésion sociale, souffre des mêmes maux liés à la distribution et à la production que la farine, le sucre ou l'huile. L'ouverture brutale et mal préparée du marché de la distribution du médicament, en 1990, a créé une hydre robuste et sans scrupule. Des lobbys puissamment enracinés, jouant des coudes pour dominer un marché déstructuré, ont pris en otage aussi bien les citoyens que les autorités publiques (parfois prises à défaut, d'autres fois complices). Le jeu de pouvoir et de domination ont atteint un paroxysme l'année 2011, avec des pénuries importantes de produits indispensables pour des maladies chroniques. Plus de 200 produits manquants étaient ainsi listés au plus fort moment de la crise. Ce qui poussa le ministre de la Santé de l'époque, Djamel Ould Abbès, à s'attaquer de front, toujours sans les nommer, à ces barons du médicament. Ces laboratoires pharmaceutiques, spécialisés presque exclusivement dans l'importation, ont créé un marché sur-mesure où situation de dominance, vente concomitante, surfacturation et rétention de produits font partie des règles du jeu. Un jeu malsain, dont l'objectif est de barrer la route à toute tentative de l'Etat d'imposer de nouvelles règles. Les principales cibles de ce qui est appelé «la mafia du médicament» ont été les mesures prise en faveur de la production locale, l'Institut Pasteur d'Algérie et les pharmacies centrales des hôpitaux. Ould Abbès révélait alors que la lutte contre la surfacturation a permis d'économiser 94 millions de dollars, des firmes ont été estées en justice. On révélait également que la vente concomitante de produits pharmaceutiques a engendré la péremption d'un stock de 10 000 tonnes de médicaments au niveau de 8 400 officines. Alors, les pouvoirs publics, sous la pression médiatique et populaire, ont dû engager de nouvelles mesures pour mettre un peu d'ordre dans ce chaos. La première mesure d'urgence prise était la révision du statut de la PCH (Pharmacie centrale des hopitaux) dès le début de l'année. Règlement des dettes, ouverture de lignes de crédits et surtout le droit de passer des marchés de gré à gré, sont les décisions prises pour satisfaire rapidement à la demande nationale. A la tête du secteur de la santé depuis septembre 2012, Abdelaziz Ziari prend le train en marche. Objectif : plus de contrôle sur le marché, avantage accordé à la production locale et vision stratégique sur la biotechnologie. L'une des mesures phares prise par le nouveau ministre est la mise en place de l'Agence nationale du médicament. Cette instance dirigée par le Professeur Mohamed Mansouri, créée par décret en juillet 2011, a pour rôles l'amélioration de la disponibilité du médicament, l'enregistrement et l'homologation des produits pharmaceutiques, la délivrance des visas pour l'importation ainsi que la détermination des prix à la production et à l'importation. En plus des contrats d'investissements pour le développement de la production locale et la biotechnologie avec plusieurs firmes internationales (Françaises, Américaines, Anglaise ou des pays du Golfe), le ministre, à quelques jours de son installation, a tenu une réunion, à huis clos, avec les acteurs et opérateurs publics et privés de l'industrie pharmaceutique, pour s'enquérir de la situation du marché du médicament et des entraves enregistrées sur le terrain par ces opérateurs. Il se trouve que les problèmes de la production de médicaments en Algérie souffrent des mêmes maux que ceux des autres investissements. Lenteurs bureaucratiques handicapantes, indisponibilité de foncier industriel, frilosité du système financier… Lors du dernier Conseil des ministres, une nouvelle orientation en matière d'encouragement des investissements a été lancée. L'Algérie, qui s'est fixé comme objectif de satisfaire la demande locale en médicaments, à hauteur de 70% à l'horizon 2015, a un gros challenge à relever dans ce domaine. Avec l'évolution démographique et épidémiologique (12% de seniors en 2020) que connaitra le pays, il est urgent qu'une nouvelle politique générale de santé soit initiée. Il est question d'établir les priorités et des plans prévisionnels, y compris en matière de production et d'importation de médicaments. Aller vers la biotechnologie, créer une industrie locale compétitive et réguler la distribution du médicament sont des actions indispensables. Mais elles restent incomplètes sans une politique cohérente de la santé. Les dix premiers mois de l'année 2012, la facture d'importation des produits pharmaceutiques a connu une hausse de 20,38% par rapport à la même période de l'année précédente. De 1,52 milliard de dollars, la facture a atteint 1,82 milliards de dollars. Le volume de ces importations a enregistré un bond de 50% (28 851 tonnes contre 19 231 tonnes). Selon le professeur Chaoui, un fin connaisseur du système de santé, lors de l'une de ses sorties médiatiques, les dépenses en médicaments par Algérien sont loin d'être lourdes. Selon lui, l'Algérie dépense 60 dollars par habitant là où la France consacre 800 dollars. S. A.